Némésis - Partie I

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"Elyssa était la fierté de la famille Eléazar. Belle autant d'apparence que d'âme, elle avait l'art de se faire aimer et respecter. Lorsque la mort la pris dans sa prime jeunesse, la Tour d'Ivoire fut plongée dans un deuil qui devra durer des semaines.
Tandis que les autres oublièrent peu à peu la princesse dorée, Maria perdu à jamais toute gaieté. Et ainsi fut brisé l'héritage secret et ancestral des cadets Eléazar. Et ainsi Maria Eléazar découvrit les secrets du vieux monde. "

Mémoire de la Tour d'Ivoire, par l'Inconnu au visage de cendre


-Peuple de la Tour ! annonça Ayaan d'une voix forte. C'est avec un immense bonheur que je vous ai invité ici à partager avec moi une grande joie.

            Assise dans la loge privée des Malkam, bien à la vue de toutes dans une robe d'un rouge profond, assez ample pour cacher mon ventre rend, je ne pus m'empêcher de repenser à la dernière fois où je m'étais trouvée là. Lorsque Melech avait pris le pouvoir, lorsque mes fiançailles avec Ayaan avaient été annoncées.

            J'empêchais mon visage de trahir sa peur et je souris.

            -Ma femme, Era Eléazar, revenue saine et sauve parmi nous, nous a tous fait cadeau d'un grand trésor.

            Un silence royal envahit la salle.

            -Mesdames et Messieurs, entonna Ayaan un grand sourire aux lèvres, je vous annonce avec fierté la grossesse de ma femme, et la naissance prochaine de mon héritier, futurs prince et roi de la Tour d'Ivoire !

            Un tonnerre d'applaudissements s'ensuivit.

            Je me levai et saluai la foule, posant les mains sur mon ventre, comme Ayaan me l'avait demandé, permettant ainsi à tous de constater sa rondeur.

            Melech à mes côtés souriait avec arrogance. Il avait accepté cette mascarade, à mon plus grand étonnement. Ayaan pariait sur le fait qu'il comptait ainsi endormir notre méfiance. C'était bien joué, à le voir si heureux, on aurait pu le prendre pour un grand-père plein de fierté. Écœurant.

            La suite des festivités serait nombreuse, opulente et durerait trois jours.

            Lorsqu'Ayaan annonça les festins et bals des prochains jours, il fut acclamé par la foule. Que c'était triste, il leur en fallait bien peu. Ils oubliaient bien vite que des tyrans les gouvernaient. Du pain et des jeuxdisaient les Romains, je comprenais bien mieux cette phrase, à présent.

***

            Les festivités avaient débuté, l'heure était à l'allégresse et à la joie. La salle de bal était immense, de cristal, d'or et de diamant, elle me fit douloureusement penser à En Bas, avec leurs traditions des gemmes et pierres précieuses.

Il aura suffi qu'Ayaan quitte ma compagnie quelques minutes pour saluer d'autres invités, pour que Ravana profite de cet instant. Drapée d'une longue robe noire de la même couleur que ses cheveux, elle avança vers moi, pleine d'assurance. Ses lèvres étaient si rouges qu'on les aurait dites pleines de sang.

            Je posai mon verre - auquel je n'avais pas touché - sur la table et me préparai à affronter la vieille harpie.

            -Era Eléazar, chantonna-t-elle d'une voix plus aiguë que dans mes souvenirs.

            Eléazar et non Malkam. Elle ne faisait même pas l'effort de faire croire qu'elle m'avait accepté dans sa famille. 

            -Ravana, répondis-je, en omettant son nom, m'obstinant ainsi à la traiter avec effronterie.

            Elle sourit encore plus et posa les yeux sur mon ventre.

            -Des félicitations s'imposent, lâcha-t-elle.

            -Merci, répondis-je d'un ton sec avant de m'en aller.

            D'un mouvement rapide, elle me rattrapa par le bras.  Surprise, je regardai sa main.

            -Lâchez-moi.

            Mon ton était sec, impérieux.

            -Je n'y irai pas par quatre chemins, petite Eléazar. Ton enfant est une abomination. Tu ferais mieux de retourner chez tes amis les sauvages.

            Elle avait craché ces derniers mots avec tant d'écœurement que je me hérissais. Tous les gens que j'avais rencontrés En Bas valaient mieux qu'elle, y compris Constantin et Dana.

            -Je suis chez moi ici, ripostai-je. Je ne vous permets pas de me parler ainsi. Vous n'êtes plus rien, Ravana. Votre temps est révolu. Vous avez eu votre chance de laisser votre marque dans l'histoire, vous n'avez pas réussi. Maintenant, laissez-moi en paix. Je serai bientôt votre reine, et je ne tolérerai pas de tels comportements.

            Elle me détailla longuement, ses iris gris fixés sur moi avec insistance.

            -Melech disait donc vrai, dit-elle en me lâchant. Tu as changé. Je ne l'ai d'abord pas cru. Jusqu'à présent, rien ne laissait présager que tu aurais le cran de ta grand-mère. Je ne pensais pas qu'un jour tu pourrais lui ressembler. Je me suis trompée... Une meurt, et l'autre se réveille, dit-elle d'un ton rêveur.

            Une alarme s'alluma en moi.

            -Une meurt ? soufflai-je.

            Elle rit.

            -Tu n'es pas au courant, ma chérie ? Ton mari n'a pas encore eu le courage de te le dire... Arianna Eléazar est morte.

            Arianna. Morte ?

            -Quoi ? balbutiai-je.

            Heureuse de me voir déstabilisée, Ravana sourit.

            -Mon fils a bien fait, elle n'était qu'un déchet. Lui a réussi, pas moi.

            -Comment ça ?          

            Elle se pencha vers moi.

            -Attenter à ta vie a été une des plus belles choses qui me soit été donné de faire, me susurra-t-elle à l'oreille. Encore plus lorsque j'ai su ce que tu portais...

            Je reculai en trébuchant. C'était donc elle... elle qui avait tenté de m'empoisonner, elle qui avait failli faire tuer mon enfant.

            -J'ai échoué, certes, dit-elle, déçue. Quel plaisir cela aurait été de rajouter une autre Eléazar à mon tableau de chasse.

            -Une autre ?

            J'avais le tournis, mon cœur battait la chamade.

            -Ta grand-mère n'a jamais réussi à savoir comment sa si précieuse sœur est décédée. Oh, murmura Ravana, tout le monde aimait Elyssa Eléazar. Belle, rayonnante... en réalité, elle était stupide et d'une naïveté navrante. J'ai utilisé le même poison que le tien, mais en le distillant petit à petit, pour que tout le monde croie à une lente maladie incurable. Quel dommage... son amant a mis longtemps à s'en remettre, heureusement j'ai été là pour lui. Et ensemble nous avons pu avoir cette belle et grande famille.

            Horrifiée, je fis encore quelques pas en arrière.

            -Un Malkam a toujours ce qu'il veut, continua-t-elle cruellement. Je voulais l'amant d'Elyssa. Elle est morte. Maria me faisait de l'ombre. Elle est morte. Tu mets le pouvoir de mon fils et mon petit fils en danger. Tu mourras. Toi et ton enfant. Pour une fois, petite princesse, je serai clémente, en l'honneur de ton sang, je te laisse le choix : soit tu pars, soit tu meures.

            Devant ses effroyables révélations et la cruauté que je voyais bruler dans ses yeux, je m'enfuis s'en demander mon reste. Je sentais encore son regard sur moi.

            Ayaan. Je devais trouver Ayaan. Malheureusement, je ne le trouvais nulle part. Ce fut mon père qui me trouva.

            -Era, me souffla-t-il à l'oreille. Viens avec moi.

La Tour d'Ivoire - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant