Le roman de Kelly

By EpriseDeMots

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Cette dernière année au lycée Leclerc est sans aucun doute celle qui marquera à jamais la vie de Kelly... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29

Chapitre 4

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By EpriseDeMots

Il y a deux choses que je déteste à l'école : les cours de physique et les élèves qui aiment rabaisser les autres; et dans ma classe, il y en a un en particulier qui en a fait sa spécialité.

Je vois Ekale Ismaël avancer d'un pas sûr vers moi et déjà, mon système de défense se met automatiquement en garde.

— Samba, Samba, chantonne-t-il... la journée n'est même pas encore terminée que je sens déjà que tu vas me manquer ce week-end.

Je l'ignore et continue calmement de lire le roman de Calixthe Beyala qui fait ma joie depuis deux jours.
Ekale s'assoit sur la table devant moi et s'empare du bouquin.

— C'est intéressant ? Oh, Les Honneurs Perdus... Je l'ai lu il y a trois ans.

Je fais rouler mes yeux de la façon la plus blasée qui soit. Ce garçon ne peut pas s'empêcher de se comparer à moi. Pourtant habituel premier et par conséquent chef de classe, c'est évident qu'il n'a rien à m'envier sur le plan intellectuel.

— Dis-moi, comment ça s'est terminé avec madame Bafandi ?

Je lui reprends brusquement le livre des mains.

— Pourquoi ça t'intéresse ?

Il lève les mains en signe de capitulation.

— Si on ne peut plus se soucier de ses amis...

Je manque de m'étouffer avec ma salive. Soit il se moque de moi, soit à force de ne pas en avoir je n'ai plus une définition exacte du mot « amis ».
Je suis probablement sur le point de l'insulter, lorsque Laeticia, ma voisine de banc arrive en soupirant fort comme un buffle. Elle enlève son sac à dos, le laisse tomber sur son côté de la table et s'installe avec l'enthousiasme de quelqu'un qui doit passer chez le dentiste.

— Bonjour, grince-t-elle.

Je me serais bien fichée de la voir dans cet état, si je ne la connaissais pas comme la personne la plus pétillante de mon entourage. Même les jours de pluie, elle mettait des chaussures colorées et était apte à chanter toute la journée (pour mon plus grand malheur).

— C'est quoi cette tête ? Je l'interroge.

Elle tire sur sa jupe avec rage.

— Je suis censée prendre ça pour une réponse ?

— J'ai croisé un surveillant dans la cour, il m'a réprimandée sur le fait que mon uniforme soit « trop serré » et a dit que lundi je ne revienne pas avec le même.

Ismaël s'est esclaffé tandis que ma curiosité se repliait, déçue.

— Bof, ai-je soufflé. C'est sûr qu'il a même déjà oublié ton visage alors, à moins que vous ne vous re croisiez, je ne pense pas qu'il s'en souviendra.

— C'est vrai, a-t-elle reconnu soulagée. En tout cas j'espère.

Ismaël s'est raclé la gorge.

— Qu'est-ce qu'il veut, lui ? A-t-elle demandé en lorgnant le garçon perché à notre table.

Tout à coup le brouhaha s'est arrêté et les uns et les autres se sont mis à regagner précipitamment leurs places dans la classe. J'ai alors compris que quelqu'un arrivait et deviné qui.

Notre prof de philosophie avait quelques minutes de retard mais s'était finalement pointé pour dispenser son cours.

Monsieur Ondoa, dans son costume classique de fonctionnaire avait son habituelle fière allure et se tenait devant, prêt à partager une fois de plus son infime sagesse avec nous.
J'aimais particulièrement ce professeur car bien plus que les leçons en rapport avec la matière dont il était chargé, il nous édifiait sur d'autres choses importantes, des sortes d'armes pour mieux envisager l'avenir et affronter la vie.
C'était un anticonformiste qui se vantait peu, selon moi, de son incroyable bagage intellectuel et des multiples voyages à l'international qui ont contribué à forger son expérience aussi bien professionnelle qu'existentielle.
En faisant des recherches sur lui en début d'année, je me suis laissée intriguer par un essai qu'il avait écrit quelques années auparavant sur l'esclavage, le colonialisme et tous leurs effets. Aussi surprenant que cela m'a paru, il défendait fermement la thèse selon laquelle les peuples ayant subi ces atrocités, précisément les noirs d'Afrique, devaient arrêter de s'apitoyer sur leur sort et que, au lieu de se conforter dans le rôle de victimes, avaient une certaine part de responsabilité à accepter. Et même, il soutenait cela en disant que « le premier pas vers la guérison est d'accepter qu'on est malade. » Dans son argumentaire, il évoquait le fait qu'on s'entretue pour des richesses éphémères au lieu de se battre et lutter ensemble pour notre émergence et autonomie. Il dénonçait la paresse, l'égoïsme, la superstition et la méchanceté dont le peuple en général ferait preuve et qui malheureusement, constitueraient les premiers barrages à l'évolution de nos sociétés.

— Je vais maintenant vous poser une question : Est-ce que vous croyez au surnaturel ?

Les « oui » se sont mêlés aux « non » moins nombreux dans un chahut abrégé. Les élèves étaient curieux de connaître l'avis de l'enseignant.

— Bien, a-t-il simplement dit en nous tournant le dos.

Il a pris un morceau de craie et a dessiné un arbre au tableau.

— Pensée, physique, métaphysique, a-t-il nommé en désignant successivement le feuillage de l'arbre, son tronc et ses racines. Je suppose que les deux premières notions ne vous sont pas étrangères. Mais en ce qui concerne la métaphysique, qui a une idée de ce que c'est ?

Quelques doigts se sont levés, le professeur a donné la parole à une fille de petite taille au troisième banc de la rangée du milieu.

— C'est la science de tout ce qui est abstrait.

Il hoche mollement la tête, son geste ne semble signifier ni oui ni non.

— Quelqu'un d'autre veut essayer ?

Cette fois, c'est à un volontaire à l'uniforme froissé qu'il demande de se lever pour proposer sa définition.

— C'est une branche de la philosophie.

— C'est à peu près ça, concède le prof. Je complèterais ta définition en disant que c'est une branche de la philosophie qui étudie la nature fondamentale de la réalité. Elle comprend notamment des questions sur la relation entre l'esprit et la matière, ou entre la substance et l'attribut. Mais dans ce contexte, je parle de métaphysique comme... Vous voyez, cet arbre, selon Aristote, c'est la représentation de tout ce qui nous entoure. Comme quoi, tout a un aspect métaphysique. Bien que ce dernier soit plus ou moins caché comme les racines d'un arbre, il n'existe pas moins pour autant et est tout aussi important que le reste.

J'ai levé la main, monsieur Ondoa m'a permis de poser ma question en glissant un « oui » à mon intention.

— Est-ce à dire que vous croyez au surnaturel, vous, monsieur ?

Il a souri.

— Non, a-t-il avoué. Mais je ne vous conseillerais pas d'en faire de même. Vous savez, dans la vie il y a de nombreuses choses que la science ne peut pas expliquer, tellement de choses qui dépassent l'entendement humain... J'en suis conscient, mais je préfère m'en tenir à ce que ma raison peut concevoir.

— Pourquoi ? Je demande, un peu confuse.

— Parce que tout ce que je ne peux pas expliquer m'effraie. Ce qui est absolument lâche. Alors vous, croyez à ce que vous ne pouvez ni voir, ni toucher, ni entendre, ni sentir... Croyez si je vous dis par exemple que l'esprit du bac vient d'entrer par cette porte pour choisir les admis, il passe au-dessus des têtes de ceux qui sont couchés sur les tables mais il s'accroche à vous qui êtes assis droits et qui croyez. Est-ce que vous croyez ?

Un « OUI » collectif et gorgé d'espoir a transpercé mes tympans. Certains élèves qui étaient couchés se sont redressés, d'autres ont continué à roupiller en ne se souciant pas le moins du monde de la leçon.

*

À la pause, je reviens de la cantine le ventre plein et l'humeur satisfaite quand...

— Eh, Kelly !

Je me fige et me pince les lèvres en fermant les yeux comme si je venais de me faire prendre en plein délit. Déjà agacée, je me retourne pour faire face à la voix grave que j'ai étonnamment reconnue.

— Salut, poursuit Jordan. Ça va ?

— Ouais.

— C'est étrange que je ne t'aie jamais vue avant quand même, non ?

J'esquisse un sourire intentionnellement maladroit. Et alors que le garçon qui l'accompagne me détaille de haut en bas d'un air mitigé, une fille à la peau très claire débarque avec trois canettes de soda et en donne une à chacun. Je la reconnais sur le champ. Marine Bengo : jolie, toujours bien apprêtée, fille de diplomate et amie de tout le monde. Ou du moins, connue de tous.

— Salut, m'adresse-t-elle, tout sourire.

Je hoche simplement la tête en guise de réponse tandis que ses yeux s'attardent un peu trop à mon avis sur mes chaussures.

— Didier, Marine... Kelly, ma nouvelle répétitrice.

Ils commencent à s'étonner mais je m'empresse d'ajouter :

— Temporaire. C'est juste temporaire... Une drôle histoire de punition.

Je rigole en m'attendant à ce qu'ils fassent de même avant de demander des précisions, mais la façon dont ils me dévisagent me coupe net et me met mal à l'aise; une étrange sensation de gêne, voire de honte, l'impression de quémander une conversation.

— Enfin bref, à demain, je finis par souffler à Jordan avant de m'éclipser.

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