"La relation qui unissait Maria Eléazar et Siora Sarkis fait partie des plus grands mystères de siècles (le 46ème). Certains historiens parlent d'une admiration partagée, depuis longuement nourrie chez Siora Sarkis. D'autres encore, plus rares, évoqueront l'amour (et non simplement l'amitié) que nourrissait Siora Sarkis envers Maria Eléazar. Les deux femmes auraient-elle été amantes ? Juste Amies ? L'une aurait nourrie des sentiments non partagés pour l'autres ? Aucun de ceux qui se sont penchés sur ces deux personnages mythiques n'ont pu trancher la question. à ce jour, le mystère reste donc entier."
Mémoire de la Tour d'Ivoire,
par l'Inconnu au visage de cendre
Seth
Seth resta muet. De stupeur, d'étonnement, de colère.
Il avisa la femme devant lui. Elle n'avait l'air ni gênée ni apeurée. Elle le regardait droit dans les yeux, avec toute la grandeur qui allait à son nom.
Violette.
Maria Eléazar.
L'Eléazar la plus connue de tous les temps après Alexander en personne.
Il était resté sans rien dire pendant tout son discours. Elle était revenue le trouver il y a une heure, lui disant qu'elle avait quelque chose d'important à lui dire. Il ne s'était pas attendu à cela. Elle lui avait alors fait le récit de sa vie, d'un pan de sa vie, du moins.
Maria lui avait parlé de son fils, Azel, qui l'avait laissée fuir la Tour pour lui éviter la mort. Souffleuse de Rêve, tout comme sa fille, elle aurait eu la peine capitale pour haute trahison. En Bas, comme il le disait dans la Tour, elle avait alors rencontré Siora Sarkis. Elle lui avait révélé qui elle était et lui avait demandé l'hospitalité, ainsi que l'oubli. Maria lui avait demandé que jamais personne ne sache qui elle était vraiment. Seth connaissait sa mère, elle avait toujours admiré Maria Eléazar, il se doutait sans mal que sa mère avait aidé la femme avec un plaisir immense.
Mais le pire dans tout ça restait la fin de son récit. Lorsqu'elle lui avait fait part du dernier secret de sa mère, Siora. Cette dernière savait, elle avait tout de suite compris pour Lévana, pour sa véritable identité. Voyant Maria si proche de cette jeune fille, sa mère avait tout de suite fait le lien. Mais elle n'avait rien dit, rien fait. Elle avait continué à cacher les deux femmes aux yeux du monde entier, de lui compris. Elle ne lui avait pas fait confiance.
-Je suis navrée pour votre mère, Seth, fit doucement Maria. C'était une femme courageuse, et pour moi, une amie fidèle.
Seth hocha simplement la tête.
-Et moi je suis navrée pour votre petite fille, pour Arianna, dit-il d'une voix neutre.
La nouvelle avait été relayé à Narda, Arianna Eléazar, la traitresse, acquise à la cause des Souffleurs de Rêves, une des leaders du mouvement, était morte.
Il vit alors un profond chagrin envahir les traits de l'ancienne ivoirienne.
-Elle ne vous a pas trahi, vous savez, fit-elle d'une voix grave, changeant soudain de sujet. Je sais que vous lui en voulez. (Elle fit une courte pause.) Vous l'aimiez.
Il savait très bien de qui elle parlait. Inutile de mentir à cette femme, elle était trop intelligente.
-Oui, je l'aimais.
-Alors c'est la douleur qui vous pousse à vouloir l'oublier, mais vous avez tort.
Elle se redressa fièrement.
-Ma petite fille est votre meilleure chance de triompher, des Diamants, de la Tour, de tout.
-Elle a choisi de partir, je vous rappelle.
Elle sourit.
-Elle a fait ce choix pour vous, uniquement pour vous. Parce qu'elle a vu en vous tous une famille, des amis. Elle a compris qu'elle menaçait tous ceux qui l'entouraient. Alors elle a préféré fuir. Pouvez-vous lui en vouloir ?
-Elle aurait dû m'en parler, insista-t-il. Nous aurions pu trouver une solution, ensemble.
-Ah oui ? Elle vous a offert un moment de répit. Sinon, vous auriez eu les Diamants, les Rubis et la Tour en même temps contre vous. Vous aurez dû ployer le genou devant eux. La guerre n'aurait même pas eu lieu.
-Vous êtes stratège de guerre, maintenant, Maria Eléazar ?
-Je l'ai toujours été.
-Donc vous pensez qu'elle a fait ce qu'il fallait en se rendant ?
-Pas forcément, mais je pense que sa décision n'était pas forcément mauvaise. Il m'est difficile de le dire, je l'aime comme ma fille. Malgré tout, il était temps qu'elle fasse preuve de courage et d'abnégation, sinon comment pourra-t-elle un jour rassembler toutes ces Nations derrière sa seule personne ?
-Vous pensez donc toujours que cela arrivera ? lâcha-t-il, morose malgré lui.
Les yeux de Maria lancèrent des éclairs.
-Par les Créateurs ! Vous êtes un Joyau d'Émeraude, un Roi. Le roi des rois, le plus grand qu'il n'ait jamais eu. Votre légende a été écrite dans les étoiles et dans la poussière, Seth Sarkis, vous êtes grands, vous le serez plus encore lorsque vous aurez compris qui vous êtes, et qui est Era. Elle n'est pas votre ennemie. Le désespoir ne vous sied pas, Mon Roi. Vous êtes l'espoir, Era la lumière.
Seth secoua la tête, un sourire aux lèvres.
-Vous parlez comme une prophétesse des temps anciens.
Elle rit.
-Peut-être en étais-je une, fut un temps, qui sait...
-Pourquoi semblez-vous si certaine que les Nations décideront de suivre... Era ? Elle reste une Ivoirienne, et sauf votre respect, notre confiance en vous et votre peuple est très limitée.
Le regard qu'elle lui envoya le cloua sur place.
-Parce que je sais quelque chose sur Era que personne ne sait...
S'il en jugeait à la soudaine gravité qui se lisait sur le visage de Maria, cela devait être une information extrêmement importante. Elle regarda autour d'elle, légèrement paniquée, puis posa sur lui des yeux affolés.
Il y lut tant de choses qu'il faillit s'y perdre.
Peur. Culpabilité. Urgence. Excitation.
-Vous l'aimez encore, n'est-ce pas ? murmura-t-elle.
Il n'hésita pas une seconde, cela le surprit lui-même.
-Oui, mais elle doit surement croire le contraire, et me haïr pour mon comportement. Elle en aurait le droit.
-Elle vous aime encore, Seth Sarkis, croyez-moi. Elle a perdu sa liberté pour vous... et vous, que seriez-vous prêt à accomplir pour elle ?
Seth ne s'attendait pas à cette question.
-Je ne sais pas... je...
-Si vous l'aimez vraiment, insista Maria, alors vous trouverez en vous le courage et l'amour pour lui pardonner. Je répète ma question, mon Roi, que seriez-vous prêt à faire pour elle ?
-Tout. J'abandonnerai vie, famille, trône, royaume.
Elle soutint son regard.
-Tu ne mens pas, affirma-t-elle simplement en se redressant fièrement.
Dire cela à voix haute lui fit prendre conscience que c'était vrai. Il aimait Lévana. Il l'aimait toujours. Le dire fut comme si un voile se retirait de ses yeux, de son cœur. Un voile qui avait obscurci ses pensées, son jugement et son amour.
-Me promets-tu de la sauver ? Me promets-tu de tout faire pour la faire sortir de la Tour ?
-Si c'est ce qu'elle veut également, alors oui, je ferai tout ce qui est mon pouvoir pour la tirer de cet enfer.
Dire ces mots le soulagea, comme s'il avait voulu les dire depuis longtemps déjà, comme s'il avait toujours brûlé de les laisser franchir la barrière de ses lèvres, mais que le faire revenait à faire un pas qu'il n'avait pas encore le courage d'effectuer.
-Bien, alors tu es digne de savoir ce que je vais te dire.
Puis les lèvres de la femme remuèrent, lui révélant le plus grand secret depuis au moins un millénaire. D'abord sous le choc, abasourdi, Seth Sarkis comprit enfin.
Era Eléazar était la personne la plus importante de leur siècle.
Era Eléazar était le plus grand espoir de leur monde.