"Pour tous, Maximilian Malkam était la voix des Créateurs, leur âme et leur leader. Mais dans le secret de leurs échanges, les Créateurs savaient - Maximilian y comprit - que le véritable génie entre les deux hommes du groupe était Alexander Eléazar. L'un était l'ombre, l'autre la lumière. Les Créateurs savaient que les peuples ont toujours préféré suivre la lumière, elle rassurait, caressait, enchantait. L'ironie de la situation a été quant réalité, le peuple n'a jamais fait que s'enfoncer dans les ténèbres, mené par un homme dont l'intelligence impitoyable était faite d'ombre et de cruauté."
Récit de la fille de poussière,
Les Chroniques des Souffleurs de Rêves d'avant la chute.
Azel
Melech Malkam était mort.
Arianna était vengée.
-A nous, mon ami ! fit le jeune homme blond en levant une coupe du meilleur champagne de la Tour.
Azel leva son verre, imitant les gestes du jeune homme.
Ils burent une gorgée puis posèrent leur verre.
Azel n'avait jamais vu autant de bonheur sur le visage d'Ayaan Malkam.
Ses yeux couleur de rivière, si semblables à ceux de l'homme qu'ils venaient d'assassiner ensemble, brillaient d'une lumière exaltée.
Après la mort d'Arianna, Azel n'avait pas hésité.
Il était allé retrouver Ayaan, et ensemble, ils s'étaient mis d'accord : Melech devait mourir.
Ils se souvenaient encore bien de cet instant qui avait changé la face de la Tour.
***
Quelques jours auparavant ...
Il était assis sur un riche canapé de velours rouges. Ayaan se tenait en face de lui, bras croisés, le regard dur. Ils se trouvaient dans les appartements d'Ayaan et d'Era, cette dernière devait surement se trouver dans une des chambres plus loin.
Il savait le bureau d'Ayaan complètement sur, sans micro ni autres.
-Alors comme ça, mon père a assassiné Arianna Eléazar...
La voix d'Ayaan était lente, grave, doucereuse.
Azel restait sur ses gardes. Il ne connaissait que trop bien les Malkam.
-En effet. Il a agi sans m'en faire part. Arianna était ma sœur. Elle était de ma famille, de mon sang. En tant que dirigeant de la famille Eléazar, c'est à moi de décider du sort de ceux qui partagent le sang d'Alexander Eléazar.
Ayaan haussa un sourcil.
-N'est-ce pas plutôt au roi de la Tour de décider qui doit vivre et mourir ?
-Certes, mais ici, il s'agit de lois concernant les Familles de Créateurs. Des lois ancestrales s'appliquent, répliqua Azel.
-Les Perles des Temps, bien qu'inviolables, ont pourtant été bafouées plus d'une fois ces derniers mois.
-C'est vrai. Certaines choses doivent changer, ne le penses-tu pas ? Si c'était le cas, la vie d'Era pourrait être protégée...
-Je ne suis pas le chef de la famille Malkam.
-Cela pourrait changer.
Les yeux d'Ayaan brillèrent soudain avec plus d'intensité.
-Tu veux dire que si j'étais le dirigeant de la famille Malkam, et que nous décidions que la vie des descendants de chaque famille respective revient véritablement aux chefs de famille, je pourrais ainsi protéger Era ? fit Ayaan.
-C'est une simple possibilité.
-C'est surtout une trahison, trancha Ayaan.
-Je pensais que la vie d'Era passait avant tout ?
Azel avait visé juste, il le savait. Ce garçon aimait désespérément sa fille. Hélas pour lui.
-Oui, elle passe avant tout.
-Tout comme ce fut le cas pour moi en ce qui concerne ma sœur.
Azel se leva.
-Je vais être clair, Prince Ayaan. Melech a assassiné ma sœur. Il n'aurait pas dû. Il n'aurait jamais dû. Je l'ai servi pendant longtemps. Je partageais sa vision du monde, mais ce qu'il a fait est une trahison. Arianna n'était pas une menace, pas avec moi en vie. Je refuse qu'il s'attaque à une autre personne que j'aime. Era sera la suivante sur sa liste. Je ne veux de la voir mourir elle aussi.
Ayaan l'observa longuement puis hocha la tête.
-Je serai clair moi aussi. Cela fait quelques jours que je souhaite également avoir cette discussion avec toi. Era court un terrible danger.
-Elle a toujours été en danger, renchérit Azel.
Ayaan secoua la tête.
-Jamais autant. Azel, mon ami, Era est enceinte. Personne ne le sait encore.
Azel se rassit, choqué.
-Enceinte ? Mais...
-Je suis le père.
-Par les Créateurs...
-Tu comprends à présent.
-Melech est-il au courant ? paniqua Azel.
-Oui, répondit Ayaan d'un air sombre. Il a déjà essayé de soudoyer Era. Il veut l'enfant. Mais je ne lui fais pas confiance sur ce point, il pourrait très bien changer d'avis et les tuer tous les deux.
-Alors, nous n'avons plus le choix... souffla Azel.
Ayaan eut un petit ricanement.
-Oh par pitié, Azel. Ne me dis pas que ce n'était pas ton but depuis toujours !
Azel se contenta de le regarder d'un air calme et maitrisé.
-Disons que je sais attendre. Et que j'ai toujours su que tu étais plus intelligent que ton père. J'ai attendu, Ayaan, attendu que tu comprennes qui tu pouvais devenir.
Ayaan hocha la tête.
- Mon père t'a trop longtemps sous-estimé. Il a même cru ta sœur plus dangereuse que toi. Lourde erreur. J'ai toujours su que cela finirait ainsi. Toi et moi.
Azel sourit d'un air mystérieux.
-Les choses sont en train de changer...
Ayaan lui tendit la main.
-Pour la grandeur de notre sang, dit-il.
-Pour la grandeur de notre nom, répondit Azel en lui serrant la main.
Alors qu'Azel s'apprêtait à quitter la pièce, il se retourna, se souvenant d'une chose importante.
-L'enfant. Anna. Ma sœur souhaitait qu'elle vive. J'aimerais que sa volonté soit faite.
Après tout, l'enfant était de son sang, de celui de sa sœur. Et s'il n'éprouvait pour elle aucune affection, il pouvait bien encore faire ça pour Arianna.
Ayaan le regarda avec intensité.
-Era m'a demandé la même chose. À défaut d'avoir pu lui offrir la vie d'Arianna, je lui offrirais celle de l'enfant. Tu as ma parole. Mais c'est plutôt ton fils que tu devrais éloigner d'elle. Sa soif de sang est énorme.
Azel acquiesça puis quitta la pièce.
Jamais il n'aurait pensé que cela soit si simple. Avec horreur, il se rendit compte qu'il avait lui-même aussi sous -estimé le fils Malkam. Ayaan était dangereux. Sans scrupule. Il devait rester prudent, très prudent. Faire un marché avec monstre était risqué. Heureusement pour lui, il en était aussi un.
***
À présent, c'était fait.
Ayaan avait été propulsé Roi de la Tour d'Ivoire, posant lui-même la couronne pleine de sang de Melech sur sa tête. Et lui, Azel, traitre parmi les traitres, était devenu le nouvel émissaire du roi.
Il n'aimait pas l'idée d'être à nouveau à la botte d'un nouveau souverain. Mais il n'en était rien. En apparence, il resterait le discret Azel Eléazar. Ayaan et lui s'étaient cependant mis d'accord, ils gouvernaient ensemble. Du moins, jusqu'à ce que Azel trouve un moyen de se débarrasser de jeune homme et de la famille Malkam une bonne fois pour toutes.
Beaucoup trop sûr de lui, Ayaan recoiffa ses cheveux clairs vers l'arrière de son crâne.
-Era est-elle bien en lieu sûr ? demanda soudain Ayaan.
Azel hocha la tête.
-J'ai chargé Galaad de l'emmener.
Ayaan fit la grimace.
-À l'avenir, je préférais que Galaad et elle ne se retrouvent plus seuls.
Azel haussa un sourcil.
-Je soupçonne ton fils de nourrir quelques penchants peu recommandables pour sa sœur, expliqua Ayaan.
Ça, Azel le savait déjà.
-Je sais, mais, au moins, il la protégera comme il faut.
-Soit. Qu'est-ce que cela fait, dit finalement Ayaan en le regardant attentivement, de se retrouver tout d'un coup maitre du jeu ?
Azel rit doucement.
-Mon très cher roi, j'ai toujours été le maître du jeu.
Ayaan eut un sourire en coin.
-Je m'en suis toujours douté. Tu paraissais trop intelligent pour te contenter d'être un simple second. Mon père savait-il ? Aviez-vous un marché ? Il représentait officiellement le pouvoir aux yeux du monde tandis que toi, tu en étais le véritable cerveau ?
-Je risque de te tuer, tu le sais ? demanda Azel à la place.
Cette fois, le sourire d'Ayaan fut diabolique.
-Oh oui, je le sais. Mais je ne suis pas mon père ni Maximilian Malkam.
-Deux Alexander Eléazar, et un seul trône, laissa échapper pensivement Azel.
-Et une Amara, ajouta doucement Ayaan.
Azel leva subitement les yeux vers le nouveau roi, ce dernier le fixait étrangement.
-Amara ?
Ce nom provoquait toujours en lui une drôle de sensation. La vie de cette femme lui rappelait trop celle de sa sœur.
-Nous devons agir, Azel, répondit simplement Ayaan. Et vite.
Alors ils en étaient là... déjà...
-Je te laisse gérer ça, soupira Azel en soupirant.
Ayaan opina et quitta la pièce sans rien ajouter d'autre.