Mayzel n'aimait pas les portes éthériques. Enfin, ce n'est pas qu'elles ne les aimaient pas, c'était plutôt l'inverse. Elles lui donnaient la nausée. Elle cherchait le contact de la pierre froide sous les regards inquiets de Camille, Hélène et Frigga, les premières arrivées.
« La prochaine fois, tu aurais plus vite fait de venir en balais, commenta Frigga.
— Ah, ah.
— Non, mais vraiment. Tu peux utiliser un passage du voile. C'est old school mais si à chaque fois que tu voyages par l'éther tu finis comme ça...
— Je pense pas que Mayzel sache faire. Puis bon, voire une une fille sur un balai au milieu du ciel savoyard pourrait légèrement attirer l'attention.
— Un sort, Cam. Un sort, souffla Hélène en riant. Tu sais que tu es une sorcière, hein ? Même en dehors de l'école.
— Ah... Oui. J'ai presque oublié ma baguette ce matin. Je n'utilise pas la magie à la maison.
— En attendant, commença Mayzel toujours blanche. Je reteins l'idée du balai. Je pensais que ça allait mieux, mais... Je ne sais pas comment passer à travers le... voile, par contre.
— Je t'expliquerais. C'est comme des portes éthériques, mais plus directes. Faut juste les trouver.
— Trouver quoi ? »
Corwynn déboula avec Henuie. Il ne manquait que Sorën. Le revenant les trouva sans problème. Ces cheveux avaient encore poussé. Mayzel le trouvait adorable comme ça. Le père de Frigga lui avait concocté une potion : les cheveux des revenants ne poussaient pas sans un peu d'aide. Son ami les avait gardés blancs, assortis à son teint gris.
« Bon, j'ai un plan, commença Corwynn. »
Mayzel sentit tous ses poils se hérisser. Elle détestait cette phrase, avant que son ami ne se lance dans ses explications acadabrantesque, elle s'immisça.
« On fait nos achats scolaires puis on va boire un verre ? proposa-t-elle. Je rêve d'un cidre chaud.
— Par cette chaleur ?
— On se refait pas.
— J'allais propose de se séparer pour mieux conquérir, mais ça me va. »
Ils s'en allèrent bras dessus, bras dessous. Heureusement cette année ils n'avaient pas une tonne de choses à acheter. Des livres surtout, leurs uniformes, des fioles, des parchemins et bien sûr un nouvel équipement de protection A2, cette fois-ci. Pour leurs tenues de bals, le groupe avait décidé d'aviser et de profiter de la ville près de Soralen pour avoir un plus grand choix et peut-être mettre à profit leur cours de création. Mayzel devait d'une robe faite elle-même avec la supervision de l'aide d'Hélène et d'Henuie, bien sûr. Ces amies avaient la main mise sur toutes décisions vestimentaires.
Tous avaient grandi, et ils avaient décidément besoin de nouvelles tenues. Corwynn avait presque pris une tête cet été. Son corps semblait s'être étiré trop vite. Cette année Mayzel opta pour une tenue avec un short, une avec un pantalon, une avec une jupe et une robe. L'été à Soralen était frais, mais quand la sorcière avait regretté l'année dernière les shorts larges que certains de ses amis avaient pris avec leurs uniformes ? Camille elle s'abonna aux jupes longues et à robe alors que Henuie prit exclusivement des pantalons, insensible à la chaleur. Le groupe discutait comme s'il ne s'était pas vu depuis des mois.
Néanmoins ils ne trainaient pas. S'il voulait profiter de l'après-midi, ils avaient plutôt intérêt à ne pas trop fureter. Heureusement acheter des fioles et des parchemins ne demandait pas beaucoup de temps. Pour les livres, cela était une autre histoire. Camille, Henuie et Mayzel furetaient dès les rayons en gloussant. Ils n'avaient qu'une dizaine de titres à acheter, mais Mayzel avait déjà deux livres dans ses mains. Un sur l'histoire et un second sur les légendes Corvusienne. Et elle ne m'avait pas encore visité les rayons fictions. Frigga et Hélène étaient allées demander les livres pour le groupe, pendant que les autres couraient après les retardataires. Henuie cherchait quelque chose sur les vieilles familles vampires, et Camille sur les runes. La jeune fille s'intéressait beaucoup aux langues, magique ou humains, et elle était douée. Elle avait appris cet été de bonnes bases de gaélique et de Russes et son langage magique était le plus perfectionné après Frigga.
Mayzel elle, profitait du contact des vieux livres sous ces doigts. Elle en aurait pris des dizaines si elle avait pu. La librairie était belle : remplie de plantes, de lumières et de bois sculpté. Les titres offraient leur plus bel atout aux enfants, entre lettre dorée, argentée ou gravée. Elle avait tellement lu cet été. Elle ne perdait pas cette habitude. Elle avait dévoré une dizaine de romans sorcier. Elle avait appris tant sur leur monde et leur mode de vie. Sans compter ces manuels de botanique, d'histoire et de sort défensif. Elle maitrisait très bien la magie usuelle, et évitait si bien ses tâches ménagères qu'elle profitait du reste du temps pour lire. Armée de quatre livres, elle rejoignit ses amis en guettant les ouvrages sur son chemin.
« Vous êtes à Soralen ? »
Mayzel se figea. D'un geste discret, elle porta sa main à sa maquette et l'attrapa par le bout. Ce n'était pas le plus pratique, mais son autre bras était pris.
« Oui. Pourquoi ? »
La pointe sur sa paume, elle murmura rapidement une formule. Une lumière irradia. En un instant, ces amis furent à ces côtés, la paume illuminée de couleurs. Ils n'avaient pas oublié leur sort. Essoufflés, ils lui jetèrent un regard inquiet. Son interlocuteur était un homme. Elle n'aurait sur dire son âge. Le squelette la fixait. Il était accompagné d'un fantôme. Ces amis se placèrent près d'elle. Le deux arrivant ne semblait pas avoir remarqué leurs petits tours, les bras chargés et visiblement préoccupés.
« Notre fille s'y rend. Pour sa première année, commença l'homme. Mon ami est inquiet. Vous savez après les évènements de l'année dernière...
— Je voulais envoyer Marrioussia à l'école de Coelbedian. Certes c'est un institut privé, mais de quel renom. Mais l'entrée y est si compliquée... Soralen ce sera. Je veux, dire... Ne vous y trompé pas, je respecte Soralen et son histoire, mais son heure de gloire est passée.
— Soralen est très bien attaqua Frigga, suivit de Corwynn et Henuie.
— La directrice fait du bon travail. Ce sont des choses qui arrivent. »
Mayzel ne nomma pas l'incident, mais elle n'en avait pas besoin. Elle rajouta, fière.
« De plus, l'école à gagner la compétition interécole l'année, contre de nombreuses autres institutions du monde sorciers.
— Tu vois, mon chéri. Et il parait même qu'une première année était sur le podium.
— C'est Mayzel, pointa Camille. Elle a même battu le record de la meilleure moyenne de France.
— Ouais. Entre la compétition et ça. Elle est une humaine en plus. »
Les deux nouveaux arrivants fixèrent le groupe incrédule. Mayzel rougissait. Elle ne planifiait pas de se donner en spectacle de la sorte, mais si cela permettait de redorer l'image de l'école. Elle se contentant d'ajouter :
« Les cours sont très bien et les professeurs aussi. J'ai beaucoup appris. »
Ceci parut convaincre le couple, qui devait avoir vu sa tête quelque part. Ils discutèrent encore un moment. Les élèves firent une très bonne publicité pour l'école. Si bien que le reste fut oublié. Une tête joufflue traversa le fantôme. Une jeune fille aux cheveux bruns désordonnée.
« Papa, Papa.
— Marroussia. Ma chérie. On ne traverse pas papa en public, c'est impoli.
— Désolé, mais viens voir !
— Attends ma grande on parle avec ses élèves.
— Ils seront à Soralen comme toi.
— Oh enchanté. On sera peut-être dans le même dortoir.
— Ah, peut-être claironna Corwynn, je suis chez les Hydres avec ces deux-là, et Hélène est chez les Licornes et celle-là chez les Sphinx.
Il acheva de présenter le groupe. Il enchaina ensuite ajoutant qu'ils devaient se dépêcher et laissait les deux parents avec leur progéniture passionnée de créature magique. Mayzel lui glissa le nom du magasin d'Anis, si elle désirait en savoir plus. Il lui ferait un tour de la boutique avec plaisir. Elle les aimait bien finalement, malgré la frousse qu'ils lui avaient mise. Une fois dehors, elle s'excusa.
« Je pensais que... enfin... Ils m'ont demandé si j'étais à Soralen. Je suis un peu sur les nerfs, j'imagine.
— Ça aurait pu. On n'a pas notre uniforme.
— Ça pourrait corrigea Henuie, plus méfiante.
— Non. Je leur ai jeté un sort de vérité, avoua Frigga. Très rapide. Rien de fou. Je le suis entraîné tout l'été. J'ne pouvais plus de la divination entre ma mère et ma grand-mère...
— Ils ont surement vu Mayzel dans le journal. Puis bon, il n'y a que deux écoles publiques et quelques une privée en France. Il y a bien l'Allée des Menhirs, ou le Boulevard des Champs Sacrées. Mais ici c'est quand même le territoire de l'école.
— C'est pas faux. Les écoles ont toujours défini des zones pour chacune d'elles...
— Surement. Je suis juste très à cran avec les inconnus. On va finir nos achats ? On peut prendre nos ingrédients et la tenue de protection à la boutique d'Anis.
— Oh oui, j'adore ton frère. C'est le plus cool des humains.
— T'en connais d'autres, des humains Corwynn ? se moqua gentiment Sorën. »
Le sorcier lui tira la langue. Ces ceux-là étaient devenus aussi proche que des frères durant l'été et se taquinaient allègrement.
Anis travaillait dans un magasin au milieu de l'allée. Le groupe le trouva sans peine. Sa pancarte se balançait fièrement, dessinant un griffon endormi autour d'une fiole de potion. L'intérieur était divisé en deux, une partie où les animaux paîtraient, ou attendaient leurs soins et une seconde, remplie d'ingrédients. Son frère discutait avec des clients. Plutôt que de le déranger, le groupe se faufila dans l'animalerie. Les animaleries magiques étaient très différentes de celle du monde des hommes. Toutes ventes de créatures et d'animaux étaient contrôlées pour éviter le braconnage. Et l'abandon n'existait pas. Si un sorcier était coupable d'abandon volontaire, les sanctions étaient très lourdes, et il y avait une tolérance zéro. Chaque créature était considérée et les animaux avaient des droits. Considéré comme des êtres consciences et intelligents à part entière. Chacun d'entre eux était dans un enclos agrandi magiquement à leur aise. La plupart ne s'intéressaient pas au groupe, mais à leur sieste. Ou à leur gamelle. Un serpent volant les regardait avant de s'étirer et de se rendormir aussi sec.
«Oh un griffon ! s'exclama Hélène. »
Mayzel se figea. Il n'y avait que deux choses qui lui faisaient encore peur dans le monde magique (enfin trois si on comptait les groupes terroristes) : les krakens (et tout ce qui avait des tentacules) et les griffons. (Hippogriffe compris, tout ce qui avait une base oiseau et la taille d'un cheval). L'idée de s'approcher de ces créatures mortelles ne l'enchantait pas. Malheureusement, Henuie l'entraina avant qu'elle n'eût le temps d'ouvrier la bouche. Les griffons en question dormaient pour la plupart. Leur enclos aménagé d'arbres, d'herbe était tout de même entouré de grande barrière pour protéger les clients. Mayzel en était reconnaissante même si à ses yeux un mur avait été plus à propos. Henuie attrapa une carotte mise à disposition et glissa sa main dans un de petits espaces pour nourrir l'un des rares griffons réveillés. Son bec vola le légume avant de s'éloigner et de jauger le groupe.
« Euh, vous savez il y a autre chose... Regardez, là, des renards. Et... oh ! »
Mayzel venait d'apercevoir un dragon. Un bébé dragon endormi. Elle adorait les dragons à défaut d'aimer les créatures géantes à plumes et bec, celles à écailles l'attiraient. Corwynn tira sur sa manche. Elle l'ignora et tendit le cou. Les dragons devaient avoir quelques semaines. Contrairement au monde des humains, les animaux et créatures choisissaient leur maître. La jeune sorcière était très tentée de s'approcher. Sa raison lui disait pourtant de ne pas y aller. Elle ne pouvait pas garder un dragon. Dans quelques mois, il serait aussi grand que son immeuble.
« Cor, deux minutes, tu me pinces.
—May'
— Attends il y a un dragon, là...
— Mayzel ! »
La jeune fille se retourna. Elle était plus proche de l'enclos que prévu. Un griffon lui mâchait la veste. La jeune fille cria et fit un bon en arrière. Elle manqua de tomber. Corwynn et Henuie la sauvèrent de sa chute.
« Tout va bien ? .. Mayzel ! »
Son grand frère déboula. Après l'inquiétude, une once de reproche se faisait sentir dans sa voix. Ce n'était quand même pas sa faute si ce griffon voulait la mâchonner. Elle se redressa et indiqua la bête.
« Il a voulu me manger. Je te jure.
— Il t'aime bien. Figgy n'est pas très sociable, il montre son affection comme ça.
— Eh bien, dis-lui que je ne cherche pas de copain. Et surtout pas un copain avec un bec et des griffes de la taille de ma tête.
— Des serres, corrigea Anis en donnant une friandise au griffon éconduit. »
Mayzel croisa les bras. Ce n'était pas de sa faute. Elle craignait les griffons, avec leur tête d'aigle géante et leur oeil vide. Anis changea de sujet. Il salua correctement le groupe avant de lancer :
« Vous avez peu trouvé tout ce dont vous aviez besoin ?
— Oui. Il nous manquait quelques ingrédients pour nos cours de potion. Et Moon' et Juni ont besoin de nouveaux lits.
— Venez je vais vous montrer. Yrina va vous préparer les ingrédients qu'il vous faut. »
Une jeune fille leur sourit. Mayzel la connaissait. De nom du moins. Anis la bassinait avec et à quel point elle était géniale depuis le début de l'été. Elle ne dit rien quand elle vit qu'elle portait la veste de son frère et lui rendit son sourire. Anis était efficace, et doué. Il naviguait avec aise entre les rayons en discutant avec le groupe. Il leur conseilla même quelques ingrédients supplémentaires pour des potions aux programmes. Mayzel les avait déjà. Son frère lui en avait ramené durant les vacances. Elle n'avait rien dit, mais parfois, les insomnies lui rendaient à nouveau visite. Elle érigeait alors une bulle insonorisée et étudiait. Elle connaissait déjà toutes les options de cette année, et avait commencé celle de l'année prochaine. Et elle avait officiellement parcouru tout le programme d'histoire de la première à la quatrième année. Elle n'avait pas tout compris, mais elle se doutait que cette avance serait bénéfique. Hélène se moquait souvent d'elle. Elle en se doutait pas que sans ces insomnies, Mayzel aurait beaucoup moins d'avance.