Point de vue Soukeyna
Je suis comblée. Vraiment. Depuis que Zahra est là, je suis redevenue la fille pétillante que j'étais. J'étais un peu déprimée depuis mes fausses couches mais Alhamdoulillah tout va mieux maintenant. Vu que je suis en télétravail, j'en ai profité pour emmener Zahra chez le pédiatre et c'est un bébé en pleine santé. On avait déjà aménagé une chambre pour notre premier et depuis lors on n'a rien changé. On a juste ajouter quelques touches de rose parce que c'était une chambre de couleur neutre. Mouhamed s'est aussi occupé des papiers pour l'adopter officiellement et on était de surpris de voir que le nom de famille de son véritable père est Gueye aussi. Je me suis même demandé si Maimouna n'a prémédité ce qu'elle a fait. De tous les hommes du monde elle a fallu qu'elle choisisse un homme avec le même nom que mon mari. Mais bon, pas la peine de s'attarder sur cela.
Durant ces jours je n'ai parlé à mon père qu'une fois. Je n'arrive toujours pas à digérer cette information. Je suis dans une sorte de déni parce que je ne parle même pas de ma véritable mère. Je regarde juste ses photos mais c'est tout. Je ne veux pas en parler maintenant et je ne sais pas quand je serai prête pour ça. Il me faudra beaucoup de temps j'ai l'impression.
Mouhamed est allé au travail. Ces temps-ci il rentre tard d'ailleurs parce qu'il organise le défilé. Ça sera son plus gros événement depuis la création de l'entreprise. S'il rentre tôt, il passe son temps à dessiner des croquis pour les tenues. Je le comprends et je suis très fière de lui. Il vient de loin et il mérite tout ce qui lui arrive. Les grands couturiers européens ne sont pas meilleurs que lui.
J'étais entrain de cuisiner lorsque mon téléphone. Je réponds et mets sur haut-parleur.
- « Diank cas amna, j'ai du gossip. Tu es chez toi ? »
C'était la voix de ma cousine, Amina. Ki khawma rek loutakh mou eupeul. Elle est trop agitée.
- « Bonjour d'abord. Je suis entrain de cuisiner, qu'est-ce qui se passe ? » dis-je calmement contrairement à elle
- « Loy togg ? Tu cuisines quoi ? Façon j'arrive. Si je te dis ce que Amdy m'a fait tu vas pas me croire »
Elle ne me laisse même pas le temps de répondre qu'elle raccroche déjà. Elle est folle cette fille. Momo m'a déjà dit que son ami a proposé un rencard à Amina et c'est pour ça qu'elle flippe comme ça. Je continue mon thiebou dieune sachant qu'elle n'arrivera pas avant une heure si elle quitte sa maison maintenant.
Comme je l'avais prédit, elle arrive juste au moment où Astou dresse la nappe. J'avais Zahra dans les bras parce qu'elle n'arrêtait pas de pleurer.
- « Depuis quand t'as un enfant ? » demande-t-elle en me faisant les gros yeux
- « T'es bête ou quoi ? Je t'ai déjà expliqué » je réplique
- « Non tu as expliqué à ma mère et à mame mais bref. Elle est trop mignonne » s'exclame-t-elle
Elle tend ses bras pour prendre Zahra mais cette dernière s'accroche à moi et redouble ses pleurs.
- « Ah ki mo seytané nak. J'espère qu'elle ne va pas prendre ce côté vicieux de sa mère rek » déclare Amina
- « Quelle mère ? C'est moi sa mère je te rappelle » dis-je fermement
- « Wa mangeons »
J'appelle mère Aida qui était à la boutique et on mange ensemble avec Clémence et Astou. Après ça, je fais le thé et sert quelques petits fours. Ensuite je pars dans mon appartement avec Amina et laisse Zahra à sa mamie.
- « Je ne pourrai jamais faire ce que tu as fait » déclare Amina en sautant sur le canapé du mini salon
- « Qu'est-ce que j'ai fait ? »
- « Adopter l'enfant de l'ex de ton mari. Je suis désolée mais moi je ne pourrai pas » expose-t-elle
- « Oui toi. Si on l'a adoptée c'est parce qu'on le voulait et le fait qu'elle soit la fille de Maïmouna ne nous dérange pas. Honnêtement parfois j'oublie même ce détail » affirmé-je
C'est ma cousine et je l'adore mais faut que les gens arrêtent de se mêler de ce qui ne les regarde pas.
- « Ah kone bakhna, parfait. Parlons de mon cas, Amdy m'a invitée à un date. Il est effronté n'est-ce pas ? »
- « Tu n'as pas accepté ? » questionné-je en arquant un sourcil
- « Bien sûr que non. Ki dafma attane, il ne peut pas subvenir à mes besoins et j'en ai extrêmement » révèle-t-elle
- « Pourquoi ? Parce qu'il fait de la couture ? T'es sérieuse Amina ? Je te rappelle que mon mari est couturier aussi hein »
- « Oui mais c'est le boss lui. C'est comme Jean Paul Gautier ou je sais pas moi »
- « Et tu crois que Jean Paul Gautier coud ses vêtements tout seul. Amdy est le premier couturier de l'entreprise, il est même plus important que Mouhamed parce que c'est lui qui supervise toute la confection. J'ai bien peur nak que tu aies hérité ce trait de ma mère. Vous êtes trop matérialistes »
- « Je ne suis pas comme ta mère, enfin je veux dire ... bref tu as compris. Qu'est-ce que je fais ? »
- « Accepte et arrête de penser à l'argent. Amdy n'est même pas pauvre en plus, il gagne très bien sa vie. Si tu continues comme ça tu vas finir vieille sans enfant et tu le regretteras »
- « Okay maman. Je vais rentrer et lui dire ma décision. Je te tiendrai au courant » fait-elle en levant les yeux au ciel
Je hoche la tête pendant qu'elle se lève pour partir. Je l'accompagne jusqu'à sa voiture avant de remonter. Je prends une douche et reprends le travail.
Le soir, j'étais toujours éveillée lorsque Momo rentre à 01h du matin. Je ne me couche jamais tant qu'il n'est pas à la maison.
- « Je t'ai dit d'aller te coucher et de ne pas m'attendre » dit Mouhamed lorsque je referme la porte de la chambre derrière lui
- « Tu peux dire ce que tu veux mais tu sais que je ne le ferai pas » dis-je en souriant
Il me rend mon sourire avant de venir me prendre dans ses bras. Je saute et encercle mes jambes autour de sa taille et mes bras autour de son cou. Il réduit la distance entre nos bouches et m'embrasse passionnément. Ces derniers jours nous sommes plus tactiles que nous ne l'avons jamais été. Notre relation est plus charnelle, plus sensuelle dans le sens où on fait l'amour presque tous les jours. J'ai un mari très énergétique.
- « Je t'aime » lui murmuré-je à l'oreille
- « Je t'aime aussi. Je vais aller prendre une douche vite fait »
Je hoche la tête avant de descendre de ses bras. Il me fait un dernier bisou et part dans la salle de bain. Moi je plonge dans le lit et je sens immédiatement mes paupières s'alourdir.
Point de vue Mouhamed
Lorsque je sors de la douche, Keyna était déjà endormie comme un bébé. Je rigole légèrement et pars lui faire un bisou sur le front avant de réciter quelques invocations pour nous deux. Je me couche a ses côtés et lorsqu'elle sent ma présence, elle vient se blottir contre moi.
Le lendemain, après la prière de Fajr je la vois mettre sa tenue de sport.
- « Qu'est-ce que tu fais ? » demandé-je amusé
- « Je viens avec toi. Le télétravail me rend paresseuse » dit-elle en enfilant ses baskets
- « Tu vas courir dix minutes et après me dire que tu es fatiguée »
- « C'est pas grave, je vais marcher derrière toi. C'est parce que toi tu cours trop vite »
- « Okay princesse, on y va alors »
On a couru une heure de temps et madame ne s'est pas plainte. Enfin un peu mais ce n'est rien comparé aux crises qu'elle me faisait d'habitude. Je suis fière. Il était presque 8h lorsqu'on est revenu à la maison et on a pris notre douche ensemble.
- « Et les préparations du défilé, ça avance bien ? » demande-t-elle
Elle s'est recouchée avec sa serviette pendant que moi j'étais entrain de m'habiller pour aller au travail. C'est moi qui ait suggéré à Keyna de faire du télétravail pendant un moment le temps qu'elle se sente beaucoup mieux mentalement.
- « Il nous reste un mois. Les tenues avancent bien mais on n'a pas encore trouvé notre mannequin pour porter la tenue vedette » confié-je
- « C'est vrai que c'était Maïmouna votre égérie et honnêtement elle assurait grave »
- « Ouais » dis-je lasse ne voulant pas trop entrer sur ce sujet là
- « Je peux le faire si tu veux » affirme-t-elle dans le plus grand des calmes
- « Hors de question. En plus tu n'es pas mannequin je te rappelle » dis-je fermement
- « Je sais mais j'ai la bonne taille non ? En plus je suis belle et je marche comme elles. Et question notoriété mon père est célèbre » déclare-t-elle en souriant
- « N'y pense même bébé » dis-je en rigolant
- « Je suis sérieuse. Tu n'as même pas besoin de me payer. Réfléchis-y » poursuit-elle avant de fermer ses yeux
- « Bon j'y vais. Je vais aller voir Zahra avant de partir. À tout à l'heure »
Je penche pour l'embrasser avant de sortir de la chambre pour aller dans celle à côté. Elle est folle. Si elle pense que je vais laisser ma femme aux regards de tout le monde. Les gens dans ce milieu ne sont pas de gens biens. La plupart d'entre eux. Je ne prendrai pas le risque que certains s'immiscent dans notre ménage.
Je toque à la porte de la chambre de Zahra. Astou dort avec elle donc je ne veux pas entrer comme ça. Elle vient m'ouvrir et je vois qu'elle était déjà réveillée.
- « Ah tonton c'est vous ! »
- « Combien de fois on t'a dit de passer par nos prénoms. Zahra est réveillée ? » je demande
Elle hoche la tête et me laisse entrer. Zahra était entrain de jouer dans son berceau et commence à sourire lorsqu'elle me voit. Elle me reconnaît désormais et ça me rend heureux mine de rien. Je la prends dans mes bras et lui fais des bisous, ce qui la fait rire. Je joue avec elle pendant quelques minutes avant de partir. Mon chauffeur, Ibou est entrain de m'attendre.
Une fois au bureau, je suis toujours à fond dans la confection des tenues. Heureusement que j'ai Amdy avec moi et il comprend rapidement ce que j'ai dans la tête. Il me facilite vraiment la tâche. Nous étions à l'atelier lorsque je reçois un appel de mon architecte.
- « Babacar » dis-je simplement
- « Oui Mouhamed comment tu vas ? Je sais que tu es occupé mais c'était pour te dire que les plans de la maison sont prêts »
- « Ah super. On pourra commencer les travaux sous peu alors. Est-ce que tu peux me les amener à mon bureau ? Je suis là jusqu'à ce soir » annoncé-je
- « Pas de soucis. Je passerai dans l'après-midi. Bonne journée »
Je lui souhaite pareillement avant de raccrocher.
- « Tu veux toujours déménager ? » demande Amdy
- « Oui bien sûr. Ça a toujours été le plan depuis le début » déclaré-je
- « Mais c'était à cause de ta mère et maintenant tout s'est arrangé non ? »
- « Je sais mais Mbao est trop loin par rapport à nos activités et nos proches. En plus si nos enfants commencent l'école ça va être difficile de faire la navette. Le terrain est aussi dans le même quartier que celui de mon beau-père » expliqué-je en prenant mon carnet de croquis
- « C'est chouette ça. T'as raison, faut quitter la république de Mbao, je te vois une fois par mois en dehors du travail » rigole-t-il
- « Et ton date, tu en es où ? » je me renseigne
- « Elle a accepté. On se voit samedi mais elle n'a pas l'air trop emballé » dit-il en coupant un tissu
- « Elle fait la meuf c'est tout. C'est toujours comme ça au début avec les femmes, elles aiment se faire désirer. Faut pas lâcher » certifié-je
- « Eupna deff, jamais. Je ne vais pas abandonner si près du but » il garantît
- « That's the spirit my bro » m'exclamé-je
- « Cheuut je ne parle pas anglais. Toi tu parles très bien et ta femme est bilingue » rappelle Amdy
- « Ouais c'est vrai. On parle souvent en anglais à la maison » affirmé-je
Soukeyna est même entrain de transformer « papa » en « dada » lorsqu'elle parle à Zahra.
- « Nous dh on parle sérère et toucouleur et c'est mieux que votre anglais là » taquine mon ami
- « N'importe quoi » je réplique dans un rire
Toucouleur ça va parce que même si Soukeyna ne parle pas la langue, elle est de cette ethnie donc je ne vais rien dire.