La gorge nouée, Ange fixa le trottoir. Il ne lui restait plus que quelques pas à franchir pour rejoindre la porte de la maison où il avait vécu autrefois. Malheureusement, il sentait que le courage l'avait abandonné.
— Vas-y, l'encouragea Fabrice.
A la demande d'Ange, son ami l'avait suivi. Parce que le blond savait qu'une fois arrivé à destination, il bloquerait. Et bien sûr, il avait bien vu, car c'était désormais le cas.
— Tu peux le faire.
Étrangement le discours de son pote ne semblait plus vraiment le motiver.
— Ange, affronte tes démons un peu ! Je te rappelle que c'est ce que j'ai fait. C'est juste un mauvais moment à passer, mais je te jure qu'on se sent mieux après.
Dans un soupir, celui qui avait fait l'effort de raser sa barbe pour paraître plus présentable fit un pas. Puis d'un, il passa à plusieurs, jusqu'à se retrouver devant la porte de son enfance. Là, le ventre noué, il s'obligea à toquer avec son poing pour signaler sa présence.
Les secondes de silence qui suivirent le torturèrent. Ange avait envie de s'enfuir à grandes enjambées. Et alors qu'il s'apprêtait véritablement à le faire, une femme ouvrit.
— Oui ? demanda cette dernière en regardant Ange.
Les yeux de la dame se posèrent d'abord sur l'hématome qu'il avait récolté de son ancienne bagarre puis lorsqu'ils croisèrent les iris du jeune homme, ils s'agrandirent.
— Maman... souffla le concerné.
Elle avait pris de l'âge, tellement qu'il avait failli ne pas la reconnaître. Cette pensée-là d'ailleurs lui fendit le cœur. Aurait-il capable de passer à côté d'elle dans la rue sans s'en rendre compte ?
— Mon Dieu, mais que fais-tu ici ? Si ton père te voit...
— Je suis venu parler, la coupa Ange.
La surprise semblait vouloir devenir l'expression définissant le visage de sa mère.
— Non, non Ange, tu ne peux pas ! dit-elle faiblement après avoir jeté un coup d'œil derrière elle. Ton père est là et s'il te voit...
— Eh bien justement, qu'il vienne ! s'emporta Ange.
Le temps qu'il réalise que ce n'était pas le mieux à faire, c'était trop tard, ses lèvres avaient déjà parlé et son daron était déjà dans le couloir.
— Toi ! Comment oses-tu ? s'écria l'homme en voyant Ange.
En sortant de la maison, il paraissait si grand, si en colère, si vilain. Tant de si qui donnèrent envie à Ange de reculer, mais il se força à rester fort. Parce qu'après tout, il avait déjà mis des hommes plus baraqués que lui au tapis et ce n'était pas parce qu'il était son père que ça allait changer grand-chose.
Depuis sa bagarre dans la rue, Ange se sentait différent. C'était comme s'il avait fait ses adieux à ses anciens passe-temps. Comme s'il avait tourné une page.
— Papa, souffla le blond
C'était de lui qu'il tenait sa chevelure de feu. Pourtant en ce moment, ils ne se ressemblaient en rien. Oh non, ils étaient le jour et la nuit.
— Fous le camp de chez moi !
Ange tourna la tête vers la voiture de Fabrice au loin pour lui demander de l'aide. Mais son ami resta à sa place car il savait qu'il n'arrangerait rien en venant. C'était entre Ange et sa famille. C'était à eux de régler l'affaire.
— Je ne veux pas de monstre dans mon jardin.
— Comment tu peux... je veux juste savoir comment va Charlotte, avoua Ange en reculant.
Tant pis si ça le faisait passer pour un faible. C'était trop désormais pour lui. Il fallait qu'il recule, qu'il s'éloigne de cet homme odieux qui l'avait autrefois banni. Parce que s'il perdait le contrôle, il savait que son père ne réagirait pas comme le conducteur de l'autre fois, il n'abandonnerait pas. Il l'avait compris au regard de l'homme.
Au final, cet homme qui le jugeait n'était pas mieux que lui. Il était pire encore.
Ange n'avait pas imaginé les retrouvailles ainsi. Il avait naïvement cru que les années passées apaiseraient les choses. Mais il avait eu tort. D'ailleurs, en voyant sa mère pleurer, il comprit qu'il avait posé la question qu'il ne fallait pas.
— Tu veux savoir comment va ta sœur ? Ton acte vengeur a causé sa perte ! Voilà comment va ta sœur !
— Mon acte de vengeance ? Dois-je rappeler que c'est ce connard qui lui a pété ce tympan ?
— Après ton intervention, ta sœur a reçu des tonnes de messages d'insultes. Notre famille a été montrée du doigt. Parce que nous avions élevé le monstre qui a tabassé cet homme au milieu de tout le monde. Parce que nous avions élevé le monstre qui a purgé une peine de prison.
Ange n'en croyait pas ses oreilles. Comment son père pouvait lui cracher à la figure alors qu'il n'était pas celui qui avait offert de la violence gratuite ? C'était l'ex de Charlotte qui avait frappé, c'était lui qui avait causé des choses irréversibles.
— Alors c'est moi le monstre ? C'est vraiment ce que tu es en train de dire ?
Désormais, le cœur du jeune homme pleurait.
— Et tu ruines notre image, une fois de plus. Regarde, même monsieur Truffaut vient de sortir dans sa pelouse pour voir ce qu'il se passe !
— Tout n'est qu'une question d'image avec toi. Avoir un fils qui a fait de la prison pour venger sa sœur est plus affreux qu'avoir une fille qui est devenue malentendante à cause d'un abruti de première !
Les yeux du père d'Ange étaient si sombres désormais.
— S'il vous plaît, arrêtez ! supplia la mère d'Ange.
Si le père fit un pas dans la direction du jeune homme, le blond lui, ne fit rien. Car il venait de voir les larmes sur le visage de sa génitrice. Et contrairement à son paternel qui semblait s'en foutre, Ange ne voulait pas voir sa mère pleurer.
— Je veux qu'en ressortant dans deux minutes, tu te sois cassé ! Et ne t'avise pas de revenir !
Ange comprit soudainement quelque chose qui le soulagea : ses problèmes de violence, son père les avait créés de par sa personnalité et surtout, les avait entretenus avec les années.
Certes, si le jeune homme avait ressenti ce besoin de cogner, ce n'était pas uniquement à cause de son paternel, mais il avait participé à tout cela. Autrement dit, il était un personnage néfaste pour lui et pour la famille.
Seulement parfois, il fallait penser à soi avant de penser aux autres... Et c'était ce qu'aller faire le blond en quittant les lieux.
— T'en fais pas, je quitte la ville alors tu n'es pas prêt de me revoir ! s'exclama Ange tandis que son père rentrait à nouveau dans la maison.
Bien évidemment, celui qui l'avait toujours vu comme un raté ne se retourna pas.
— Tu quittes la ville ? releva sa mère en essuyant ses larmes.
Ange se retrouva à nouveau dans une bulle plus douce, bien que larmoyante.
— Oui, Fabrice s'est libéré de sa famille et voudrait recommencer à zéro. Alors il m'a proposé de le suivre. On part dans peu de temps.
Le visage soudainement triste de sa mère laissa Ange sans voix. Comment pouvait-elle être triste alors qu'elle ne s'était pas opposée au discours de son mari ? Dans un soupir, le jeune homme dut reconnaître qu'il connaissait déjà la réponse.
— Charlotte a rencontré un homme peu de temps après ta sortie de prison. Elle l'a rencontré à une réunion de malentendants.
Le cœur d'Ange se serra. Alors sa sœur avait trouvé l'amour ? Son père n'avait vraiment pas changé, il mélangeait toujours l'histoire des gens avec la sienne. La visite en prison d'Ange n'avait pas détruit la vie de Charlotte. Uniquement celle du père ou du moins, sa réputation.
— Elle a un fils désormais, continua sa mère. Et elle a porté plainte contre son ex qui a dû lui verser une grosse somme d'argent, deux mois après ta condamnation.
Cette fois-ci, Ange sentit une larme couler sur sa joue. Pourquoi ne lui avait-on pas dit tout cela ? Il aurait pu vivre une vie un peu plus paisible ainsi.
— J'espère que toi aussi tu trouveras la force un jour de te libérer de tes chaînes maman, souffla-t-il avant de déposer un baiser sur sa joue.
La main qui attrapa son poignet était douce et rêche à la fois.
— Je ne l'ai jamais dit, car ton père restera toujours celui qu'il est et que ta sœur t'en voulait à cette époque mais, ce que tu as fait pour Charlotte, c'était beau. Je ne parle pas des dégâts physiques que tu as causés mais du fait de vouloir lui faire justice.
Ce qu'il avait espéré pouvoir entendre un jour sortir de la bouche de sa famille venait d'être prononcé.
— Tu ne peux pas savoir à quel point j'ai cru être le monstre que mon père décrivait, avoua-t-il la gorge nouée.
— A mes yeux, tu ne seras jamais un monstre. Tu as été un justicier Ange. Et je sais que désormais Charlotte pense pareil.
Fabrice avait eu raison, cette venue avait eu un point positif : il allait quitter la ville avec le cœur plus léger.
— Merci maman.
— Peut-être que tu veux que je te passe le numéro de ta...
— Non, trancha-t-il les yeux encore larmoyants. Non maman, je pars définitivement. Je ne reviendrai pas. Vous n'entendrez plus jamais parler de moi. Et je ne ferai plus jamais honte à mon père. C'est bien pour vous, et pour moi.
Le câlin qu'elle lui offrit, il l'avait attendu toute sa vie. Non, il l'avait attendu depuis sa sortie de prison. Et il en profita comme s'il s'agissait du dernier, car de la part de sa mère c'était véritablement le cas.
Voici les adieux d'Ange pour sa famille. On apprend que son père n'est pas facile du tout. Rien ne changera jamais entre eux, mais Ange l'a enfin compris. Puis il a le cœur plus léger d'apprendre que sa sœur connait le bonheur désormais.