Mi-novembre
En ce week-end de novembre, Claire semblait plutôt excitée. Enfin ça, c'était ce qu'avait ressenti Luce en entendant son amie courir partout. La veille au soir, elle avait cuisiné. Et c'était vraiment rare que son amie cuisine avec autant d'implication.
— Est-ce que tu vas enfin te décider à me dire ce qu'il y a ? rouspéta Luce tandis que Claire faisait un nouvel aller-retour entre la cuisine et le salon.
— Comment ça ? demanda la châtaine sans pour autant arrêter son action du jour.
Elle n'avait pas de temps à perdre. Les heures filaient à une folle allure et si elle ne mettait pas les bouchées doubles, elle allait se faire avoir.
— Je ne dis pas que tu n'as jamais eu d'ami chez qui tu as dormi, mais tu parais si enjouée que ça en parait douteux.
— Je n'ai pas le droit d'être enjouée à l'idée de voir un ami du travail ?
Luce croisa les bras sur sa poitrine et fronça les sourcils. Ça y est, Claire avait lâché une nouvelle information : l'hôte mystérieux était un collègue du boulot...
— C'est Marc ?
Claire soupira.
— Oh bon sang, tu ne vas pas me lâcher avant que je ne te dise qui je vais voir, c'est ça ?
La vérité, c'était que Fabrice avait invité Claire à venir dormir chez lui.
Sauf que Luce ne savait toujours pas que Fab et Ange étaient sur Toulouse. La châtaine n'avait pas réussi à le lui dire après avoir appris pour la malheureuse aventure du blond. Combien y avait-il eu de chance pour que celui-ci arrive au moment où Dorman embrassait son amie ? Très peu. Pourtant, c'était arrivé.
— La semaine prochaine, on pourrait aller faire quelque chose après le boulot. Je ne sais pas moi, genre aller boire un café en terrasse, ça fait un peu qu'on ne l'a pas fait.
— Avec le froid de canard qui arrive ? Non merci, je n'ai pas envie de me transformer en esquimau !
Comme toujours, miss Luce faisait son boudin.
— Puis ce n'est pas parce que le seul ami que je croyais avoir s'est avéré ne pas vraiment être mon ami que je dois me coltiner ta pitié Claire. Ça va aller, je vais m'en remettre, comme une grande fille.
En plus du fait que son amie avait réalisé ne pas être prête à passer à autre chose, il y avait aussi la blessure de l'amitié fantôme qu'elle avait cru avoir avec Dorman. D'après ce qu'avait compris Claire, ça avait affecté la jeune femme.
— Bon, ben bonne soirée entre collègues de boulot. Et pas trop de drague hein, rigola Luce.
A l'entente de la phrase de son amie, Claire roula des yeux.
— Haha, très drôle !
— C'est pas de ma faute si tu n'as pas d'humour.
Claire regarda son amie et haussa un sourcil. Luce essayait de remonter la pente. C'était la première fois qu'elle la voyait autant se battre et ça l'émue.
— A demain, souffla la châtaine.
***
Lorsqu'elle arriva dans le quartier de résidence de Fabrice, Claire en resta bouche bée. Son ami de vacances n'avait pas menti, ils étaient dans un bon coin de Toulouse.
Son sac de rechange sur l'épaule, elle attendit que Fab réponde à son appel à l'interphone.
— J'arrive, l'informa son ami.
Cela avait été si rapide que Claire en sursauta. Un peu plus et elle en aurait presque fait tomber sa tarte aux tomates par terre.
Durant ses quelques secondes d'attente, elle en profita pour regarder autour d'elle. Fabrice avait dû payer cher pour avoir un endroit si fabuleux. Même Luce et elle, avec leur balcon, n'habitaient pas dans un coin si agréable et si rupin, elle devait le reconnaître.
— Salut.
Fabrice tendit la main pour attraper son sac et Claire lui sourit.
— Ça va, tu n'as pas trop galéré à trouver ?
— Non, tu sais bien que je suis la meilleure pour me repérer en ville.
— Si seulement tu avais été dans le camion de déménagement, tu aurais évité au conducteur de se paumer.
Claire rigola et suivit son ami. Elle essaya d'être attentive au discours de ce dernier tandis qu'ils traversaient le long couloir de la résidence, mais ce fut difficile, car tout attirait le regard. Ça rendait presque jaloux.
— Je préfère te prévenir, Ange est là et il est quelque peu... Comment dire ? Il n'a pas fière allure.
Après ce qu'il s'était passé et la sorte de quiproquo qui résumait sa dernière « rencontre » avec Luce, Claire comprenait.
— Comment ça va niveau boulot ? demanda-t-elle pendant que Fabrice ouvrait la porte.
— J'ai passé un entretien pour être hôte d'accueil dans un opéra du centre. J'attends leur réponse.
— Je croyais que tu voulais partir dans les arts ? nota Claire en haussant un sourcil.
— C'était mon but, mais comme tout le monde, va arriver le jour où j'aurais besoin de faire rentrer l'argent. Alors je préfère découvrir le monde du travail avant de me retrouver à la rue et voir cette solution comme ma seule échappatoire. Puis l'opéra est un art, un peu éloigné de celui qui me plait, mais je reste quand même dans la même branche.
Claire s'apprêtait à répondre à son ami que c'était une bonne idée lorsque son regard se posa sur une chevelure rousse. Ange aurait beau dire ce qu'il voulait, elle le voyait plus comme un rouquin qu'un blond.
— C'est...
— Je t'avais prévenu, souffla Fabrice.
La jeune femme suivit son ami jusque dans le salon, mais se sentit tout à coup de trop.
— Ange, il y a Claire qui est là.
Des iris claires se posèrent sur la châtaine. Durant une fraction de seconde, la jeune femme se demanda si Ange l'avait reconnue. Il faut dire qu'avec les cernes qui creusaient le dessous de ses yeux, il paraissait planer.
— Tiens, la meilleure pote de celle qui torture les cœurs sans pitié !
L'invitée ravala sa salive, mal à l'aise.
— Arrête un peu, tu sais bien que Claire n'y est pour rien.
— Y est pour rien ? Elle est bien amie avec une femme sans cœur, cracha Ange avant d'attraper la bière sur la table basse.
Ce n'était pas la première et même si Ange n'avait pas refait d'épisode similaire à celui de Halloween, Fabrice n'aimait pas voir son ami tout reporter sur l'alcool pour oublier que ses défaites aux nombreux jeux l'avaient endetté.
— Tu devrais stopper avec l'alcool pour aujourd'hui.
— T'es pas mon père Fabrice. Je fais ce que je veux.
Le ton avec lequel Ange avait répondu à son ami ne plut pas à Claire qui décida de s'asseoir à côté du blond.
— Tu veux savoir pourquoi je n'ai jamais dit à Luce que tu étais sur Toulouse ? Parce que mon amie briseuse de cœurs comme tu dis, est tombée amoureuse d'un mec qui avait la tête sur les épaules. Or, ce n'est pas l'homme que je vois en ce moment sur ce canapé. Celui que je vois actuellement ressemble plus à une épave qu'autre chose et n'est pas à la hauteur de Luce.
La jeune femme croisa le regard perdu de Fabrice. Il ne semblait pas comprendre son élan de révélations. Pourtant, dans l'esprit de la châtaine tout avait été évident : elle s'était dit qu'en crachant la vérité à la figure d'Ange, ce dernier essayerait de se reprendre. Mais visiblement, elle s'était trompée.
— De toute façon, je n'ai jamais été à la hauteur de mademoiselle-je-pète-plus-haut-que-mon-cul.
Claire eut du mal à maintenir le regard avec Ange. Elle ne l'avait pas remarqué durant les vacances mais l'homme avait quelque chose d'intimidant dans le regard. Quelque chose qui n'avait pas été visible cet été. Était-ce sa douleur qui parlait pour lui et mettait les gens mal à l'aise ?
— Luce ne sort pas avec l'homme que tu as vu au bar.
Ce fut au tour de Claire de se tourner vers Fabrice, surprise. A quoi jouait-il ? N'avait-il pas vu qu'en disant la vérité, ça ne menait à rien ?
— Vas-y, raconte-lui tout.
La châtaine hésita quelques secondes. Puis après avoir pris une grande inspiration, elle osa affronter à nouveau le regard du jeune homme et attrapa la bière de celui-ci. Elle posa l'objet derrière elle et Fab s'empressa de l'attraper pour l'éloigner de son ami.
— Tu es arrivé au mauvais moment. Luce a voulu avoir un rendez-vous avec Dorman parce que depuis son retour de vacances, il avait été présent pour elle. Luce avait envie de savoir si elle était prête à tourner la page « Ange ». Et la réponse, elle l'a eue, lorsqu'il l'a embrassée. Tu es parti quelques secondes avant qu'elle ne mette fin à leur échange pour lui avouer qu'elle pensait à un autre homme en étant dans ses bras.
Claire ne savait pas comment interpréter le regard d'Ange.
La jeune femme regarda cette chevelure dense et flamboyante se pencher en avant. Elle observa ce visage torturé passer par plein d'émotions. Et elle regretta que son amie ne puisse jamais voir la face de celui qui lui avait permis d'avancer. Parce que ce physique, pas parfait, peut-être même atypique, elle savait que Luce l'aurait adoré.
Encore plus désormais, car son cœur en vrac l'avait amené à adopter une allure de mauvais garçon égaré. Claire en était certaine, Luce aurait voulu le prendre sous son aile.
— Et vous étiez tous les deux au courant de toute l'histoire ? demanda Ange en regardant à tour de rôle Fabrice puis Claire.
Les deux amis restèrent silencieux pendant que le blond se leva.
— J'y crois pas ! dit-il en se grattant la barbe. J'y crois pas sérieux ! Putain merde, mais à quel moment vous avez cru que vous pouviez décidé à notre place ?
— On s'est dit que ça ne nous concernait pas. On s'est trop mêlé de vos histoires cet été et ça a empiété sur chacun de nous deux. Alors cette fois-ci, on s'est promis de rester extérieur à tout ça.
— Extérieur ? répéta avec amertume Ange. Mais à quel moment vous pouvez être extérieur à l'histoire à partir du moment que vous savez des choses que Luce ou moi ne savons pas ?
Fabrice baissa la tête. Car cette remarque, il savait bien qu'un jour où l'autre, il l'aurait entendue.
— Je te jure que j'aurais voulu te le dire. Mais je doute qu'en te montrant comme tu es actuellement, Luce voudra t'écouter.
— C'était ton délire en fait, de me voir dépérir. Tu parles d'un ami !
— Et toi, tu crois que tu es mieux ? Une blessure amoureuse et ça y est, tu fous tout en l'air ! T'es tellement à découvert que c'est moi qui suis obligé de payer les moindres choses dont tu as besoin.
Claire, qui était toujours assise sur le canapé, se demanda si elle n'aurait pas mieux fait de ne pas venir. La soirée que lui avait promis Fabrice semblait vouloir s'envoler, loin, très loin.
— J'ai besoin de prendre l'air.
— C'est ça ! répliqua Fab en voyant son ami peiner à avancer droit. Va donc errer dans le quartier pour que le voisinage puisse avoir des potins à raconter sur le défoncé du coin.
— Je t'emmerde !
— Moi aussi.
Claire sursauta à l'entente de la porte de l'appartement qu'Ange venait de claquer.
— Oh ne t'en fais pas, il sera de retour d'ici deux heures. C'est ainsi presque tous les soirs où j'essaie de lui faire comprendre qu'il est en train de s'enterrer vivant.
La jeune femme eut pitié de Fabrice et Ange. La situation semblait encore plus compliquée qu'elle avec Luce qui avait des sautes d'humeur. D'ailleurs, elle devait reconnaître que son amie les avait fait taire ces derniers temps. Car contrairement au blond, elle voulait s'en sortir.
— Voilà pourquoi je dis qu'il n'est pas prêt à revoir Luce. Si on le laisse faire, il détruira la dernière chance qu'il lui reste.
Pour le coup, Claire partageait l'avis de son ami.
— Au fait, j'ai eu des nouvelles d'Angèle, choisit de changer de sujet Fabrice.
Il avait besoin de penser à autre chose.
— Ah bon ? répondit la jeune femme, encore un peu perturbée par la scène qui venait de se passer sous ses yeux.
Le temps qu'elle réalise que le châtain s'apprêtait à parler de son ex, Fabrice s'était déjà lancé dans son récit.
Claire qui revoit Ange... Hum, pas facile le blondinet. Tout comme Luce avec son sale caractère autrefois. On plaint Claire et Fabrice quand même.
Est-ce que vous êtes du même avis qu'Ange ? Est-ce que d'après vous, Fab et Claire auraient dû tout dire à Luce et Ange ? Ou bien pensez-vous comme eux, que les anciens amoureux ne pourraient pas se donner de seconde chance vu l'état dans lequel ils se trouvent actuellement ?