Mi-septembre
En traversant le petit couloir passant à côté du salon Claire ne put ignorer son amie, assise sur le fauteuil face à la grande fenêtre. Les genoux ramenés contre la poitrine, le menton posé sur ces derniers, le visage tourné vers la lumière, sa colocataire broyait du noir visiblement. Comme tous les jours, ces derniers temps en fait.
— Luce ?
A l'entente de la voix de Claire, la concernée sursauta. Malgré les années qui passaient, la jeune femme ressentait toujours ce sentiment de culpabilité lorsque son amie laissait voir qu'elle avait été surprise de son arrivée.
— Tu lui as envoyé un message ?
Claire avait accompagné son amie pour acheter un nouveau portable. Et désormais qu'elle avait le moyen de recontacter le blond, Luce semblait bloquer. Enfin ça, c'était le point de vue de la châtaine du moins...
— Et pour quoi faire ? Dois-je te rappeler qu'il n'a même pas été fichu de répondre à mon mail ?
Ça avait été trop fort pour Claire qui avait pris contact avec Fabrice pour savoir ce qu'il se passait. C'était ainsi qu'elle avait appris que le même jour où Luce avait perdu son portable, la boite mail d'Ange avait planté et que quelque temps plus tard, il avait découvert qu'elle avait été piratée.
Voilà qui expliquait pourquoi son amie n'avait jamais reçu de réponse de la part de son camarade d'aventures estivales. Parce qu'il n'avait plus accès à ses messages.
Seulement Claire avait passé un accord avec Fabrice : ils ne devaient pas se mêler de l'histoire d'Ange et Luce. Parce qu'ils l'avaient fait à de trop nombreuses reprises et qu'ils n'étaient pas les acteurs de cette comédie sans fin. Aussi, la jeune femme avait dû se forcer pour rester extérieure à la situation. Parce que dans le fond, elle savait que Fab avait raison : s'ils essayaient d'aider, ça allait finir par leur retomber dessus et ils n'auraient même pas le droit à un merci.
— Il n'y a pas marqué bouffonne de service sur mon front, hein !
Le soupir de Claire fut long. Doucement, elle vint poser son dos contre le mur à côté de son amie et observa cette dernière. Son visage trahissait sa souffrance. Luce avait le cœur en miettes. Car elle avait failli faire du mal à son ami Dorman, et surtout parce que l'absence d'Ange devenait de plus en plus dure à vivre.
— De toute façon, on s'était perdus avant même qu'on arrête de se parler, souffla la brune.
Désormais, c'était carrément la déprime qui l'attrapait.
— Et donc, si je comprends bien, tu comptes continuer à te morfondre toute ta vie ?
Le rictus de sourire mauvais de Luce fit comprendre à Claire qu'elle allait avoir le droit à une réplique cinglante.
Sauf qu'elle n'arriva pas finalement.
— Pourquoi a-t-il fallu que je le rencontre ? Pourquoi a-t-il fallu qu'il change ma vie à ce point, si c'était pour en sortir aussi vite ?
Claire songea aux personnes qu'elle avait rencontrées dans sa vie, les personnes qui avaient changé son existence et étaient reparties comme des voleuses. Il y en avait beaucoup et même si Angèle était la dernière en date, elle n'avait pas été la première.
Bien sûr, tout le monde ressentait de la nostalgie en repensant à ces personnes.
— Parfois c'est comme ça. Parfois, ce sont les gens qui t'amènent à changer. Parfois, il faut que ces personnes-là qui comptent à tes yeux, partent. Parce que c'est la vie. Chaque rencontre, relation et séparation fait la personne que tu es désormais.
Le soupir de Luce fit comprendre à Claire qu'elle n'aimait pas ce qu'elle disait et que c'était sûrement car elle savait qu'elle avait raison.
— C'était une histoire courte et haute en émotions, mais ça t'a permis de t'ouvrir aux gens. Ça t'a permis de passer des vacances spéciales, loin de la routine.
Cette fois-ci, Luce rigola.
— Ça, pour avoir quitté ma routine, je l'ai quittée oui !
Claire préférait vraiment voir son amie rire ou sourire plutôt qu'être un légume.
— Essaie de garder de bons souvenirs de ces vacances et de cette relation. Lui comme toi vous êtes beaucoup impliqués et ça serait bête de tout ternir à cause d'un final qui n'a pas été à la hauteur de vos attentes.
— Tu as raison, déclara Luce en étendant ses jambes.
Claire fut rassurée de l'entendre.
— Comment a été ta journée ? enchaîna la brune pour faire la conversation.
— Oh, l'enfer ! soupira Claire avant de se lancer dans le résumé de ses tribulations.
***
Les trois jours suivants, Luce se força à reprendre du poil de la bête.
La jeune femme alterna entre son boulot, les discussions de soirée avec sa colocataire qui visiblement ne connaissait pas le même calme professionnel qu'elle et des messages échangés avec Dorman.
D'ailleurs, en parlant de lui... Son ami lui avait réaliser qu'elle n'était plus la même Luce.
Durant ces vacances, Ange avait poussé la jeune femme à faire la paix avec ses émotions, à se dépasser. Et de son côté, son ancien collègue de boulot lui avait fait comprendre qu'il était peut-être temps de songer à autre chose. Parce qu'elle aussi voulait être passionnée en parlant de son job. Et accorder des pianos ne lui procuraient pas cette satisfaction.
Pour le moment, Luce ne savait pas encore par où commencer pour sa recherche d'identité professionnelle, mais elle était plutôt contente d'avoir déjà franchi le pas.
— Tu sais, j'ai bien réfléchi à ce que tu as dit, à propos d'Ange, de ce que l'on a vécu et le fait que parfois, des personnes sortent de notre vie plus vite encore qu'elles ne sont entrées.
Claire, qui avait décidé de se faire un petit mojito pour se détendre, haussa un sourcil.
— Je pense que de toute façon, je n'étais pas prête à vivre une histoire d'amour et Ange non plus, on avait besoin de régler des problèmes personnels avant.
Aussitôt, la châtaine repensa à ce que lui avait dit Fabrice : Ange était allé voir sa famille et avait fait son deuil. Luce avait raison sur ce point, le blond avait réglé un problème personnel et il devait certainement mieux se sentir.
Tout comme Fab qui s'était libéré de ses chaînes d'ailleurs.
— Dorman m'a proposé qu'on sorte un soir, continua Luce d'une voix stressée.
Comme la jeune femme s'arrêta ensuite et sembla attendre quelque chose, Claire comprit que le rendez-vous ne serait certainement pas amical.
— Luce, je t'ai déjà dit que...
— Oui, que je ne devais pas sortir avec Dorman pour oublier Ange. Mais et si je sortais avec Dorman pour essayer de vivre une histoire d'amour ? Mes intentions sont différentes, alors je me dis que peut-être que...
— Le résultat le sera aussi, compléta Claire.
Elle ne savait pas vraiment si c'était une bonne idée. Certes, Dorman était là depuis longtemps et Luce avait eu un faible pour lui autrefois. Mais ce projet d'essayer de vivre quelque chose avec lui était-il vraiment motivé par un désir de démarrer une relation amoureuse ou bien l'envie de combler le trou dans le cœur de la brune ?
Ça, Claire n'arrivait pas vraiment à le savoir. Il faut dire que son amie avait mis les bouchées doubles en l'espace de trois jours. Elle le sentait, Luce se cherchait sur plein de domaines. D'un côté, Claire se disait que c'était bien, d'essayer de trouver la personne que l'on est, mais si son amie avait pu le faire un peu plus doucement, ça aurait été bien.
— Je sais à quoi tu penses et je t'assure que j'ai bien réfléchi à la situation.
La châtaine resta dubitative. Après tout, la dernière fois qu'elles avaient parlé de Dorman, Claire lui avait dit qu'elle serait malheureuse de perdre son ami après avoir joué avec son cœur. Luce était une véritable girouette ces derniers temps et sa colocataire peinait parfois à suivre.
Bien sûr, elle ne voulait que son bonheur. Mais est-ce qu'elle allait le trouver en devenant aussi impulsive et aventurière ?
— C'est pas comme si j'étais rentrée de vacances il y a deux jours. Je te rappelle que plus d'un mois est passé désormais. J'ai eu le temps d'évaluer la situation. Ange m'a aidée sur de nombreux points et même s'il n'était pas destiné à rester à mes côtés, je sais que notre rencontre peut impacter sur mes comportements à venir. Autrement dit, je me sens plus prête à me confier à quelqu'un et à confier plus que des souvenirs.
Comme Claire resta silencieuse, Luce s'écria :
— N'était-ce pas toi qui avais dit que je devais arrêter de me morfondre ? Tu devrais être contente pour moi ! C'est ce que je fais, en décidant d'avancer.
Claire aurait voulu être aussi positive qu'elle, seulement contrairement à son amie, elle savait ce qu'il se tramait à propos d'un certain déménagement. Était-ce trop tard pour dire à Fabrice qu'il valait mieux qu'il choisisse une autre ville ?
On dirait que Luce a réfléchi à sa situation, à son histoire avec Ange et elle semble décidée à aller de l'avant.