Une bonne demi-heure était passée depuis leur danse dans le bar, pourtant, Ange avait encore l'impression de flâner. Il faut dire que la belle Luce lui avait réservé une belle surprise en dansant dans ses bras. L'homme se demandait encore s'il rêvait ou bien s'il s'agissait de la réalité.
— Tu es sûre de toi ? interrogea-t-il la brune, pour la énième fois.
— Mais puisque je te le dis ! soupira la concernée. Claire m'a envoyé un SMS pour me dire qu'ils avaient décidé de passer la nuit sur la plage avec des gens qui faisaient une fête.
Cette information n'était pas ce qui importait le plus pour Ange. Que Claire, Fabrice et Angèle ne soient pas au camping, il s'en foutait pas mal. Par contre, que Luce veuille toujours de lui, c'était autre chose !
Certes, durant le trajet du retour, Ange avait bien senti l'envie de la jeune femme, mais de là à être certain que ce serait encore le cas une fois rentrés au camping... Et surtout qu'elle ne regretterait pas d'avoir pris cette décision... Là, il n'aurait même pas parié un centime.
Quoi donc ? Son envie de parier était-elle en train de revenir ? Peut-être.
— Arrête-toi.
Comme si la situation n'était pas assez stressante, lui, rentrant en pleine nuit, avec une voiture sur laquelle il n'était pas assuré, sur le point de faire l'amour à la femme qui lui faisait tourner la tête depuis des jours... Voilà maintenant que Luce venait de lui dire de s'arrêter ! Se rendait-elle qu'elle lui faisait faire les montagnes russes, en plus hard encore ?
S'il restait sain d'esprit à la fin du séjour, il pourrait se déclarer capable de faire n'importe quoi dans la vie à l'avenir.
— Qu'est-ce qu'il y a ? T'as oublié quelque chose au bar ? demanda-t-il sans lâcher la route des yeux.
Ce n'était pas le moment d'avoir un accident ou quoi que ce soit. En plus, désormais qu'il connaissait la raison de la perte de vue de Luce, il ne comptait pas lui rappeler de mauvais souvenirs. Puis de toute façon, il ne souhaitait pas frôler la mort, tout court.
— Arrête-toi dès que tu trouves une aire de repos ou quelque chose du genre.
Cette absence de politesse dans les demandes, le blond avait fini par s'y faire.
Si au départ, il avait pensé que Luce donnait des ordres uniquement pour le faire chier, il avait finalement compris qu'il s'agissait simplement de la façon de s'exprimer de la jeune femme.
— Besoin de faire pipi ? insista Ange, question de redescendre sur Terre.
Car il venait de comprendre que c'était fini. Fini l'instant où ils avaient flâné. Fini l'instant durant lequel sa libido avait explosé.
Désormais, c'était le retour à la réalité et à la normalité surtout. Luce allait aller au petit coin, puis en revenant, elle allait lui dire que tout cela n'avait été qu'une mauvaise idée.
Une semaine plus tard, il quitterait le camping et ne la reverrait plus jamais.
Puis des années plus tard, amour trouvé ou pas, il se remémorerait ses vacances dans un instant de faiblesse et se maudirait pour les erreurs commises. Parce que les remords et les regrets, c'est ce qui bouffe le plus les gens au fur et à mesure que le temps passe, bien évidemment.
— Non, j'ai juste besoin de faire une pause.
Les doigts crispés sur son volant, Ange hocha la tête. Et même s'il s'efforça de se montrer cool, dans son esprit, une horde de questions ne cessait de le bousculer.
Depuis quand était-il du genre à se torturer avec de stupides interrogations ? OK, quand cela concernant Luce, ce n'était jamais stupide, mais tout de même !
— Ange, s'il te plaît, mets ton cerveau en pause et arrête-toi. Faire pipi sur le siège de ton meilleur pote ne me tente pas vraiment, tu sais ?
Malgré le ton calme de Luce, la jeune femme commençait à sentir l'agacement prendre du terrain. Et si le conducteur continuait à vouloir lui faire cracher le morceau, elle ne lui garantissait pas ne pas s'énerver. Heureusement pour lui qu'il avait réussi à faire fondre son cœur, sans quoi elle ne serait pas restée aussi patiente...
— Ah ! Donc j'avais raison ! Tu as vraiment besoin d'aller aux toilettes ! s'exclama Ange, à moitié rassuré.
Premièrement, elle venait d'être polie. Et deuxièmement, à moins qu'il fasse fausse route, elle n'avait pas demandé qu'il s'arrête pour essayer de s'enfuir car elle commençait à regretter d'avoir dansé dans ses bras et surtout de l'avoir embrassé...
C'était déjà ça.
— Oh, ce que tu peux être gamin des fois, soupira-t-elle.
Ceci dit, Ange remarqua le sourire de la jeune femme. Est-ce que cela avait un rapport avec son discours de l'autre fois, quand elle lui avait dit qu'elle regrettait d'avoir vu une part de la personnalité du blond disparaître après ses mots ?
— Là, c'est bon. Je m'arrête, déclara Ange.
L'homme mit son clignotant, puis tout en doucement, se déporta. A nouveau véritable calme, Luce attendit qu'il termine sa manœuvre.
— Voilà, souffla-t-il une fois la voiture immobilisée.
Le silence qui opéra soudainement dans la voiture déstabilisa Ange. Il avait envie de dire quelque chose, mais comme il ne savait pas ce qu'il se passait dans la tête de la brune, il préféra se taire. Enfin... pendant trois secondes du moins.
— Luce ? Tu veux que je t'accompagne, c'est ça ? Tu as besoin d'être guidée ?
Ici, elle ne connaissait pas le nombre de pas qu'il fallait faire pour rejoindre les WC, si toutefois il y en avait. Ange n'avait pas songé à vérifier. Quel mauvais accompagnateur il faisait ! Le blond s'en voulut aussitôt. Mais ce n'était pas vraiment de sa faute, il n'avait pas l'habitude et... Se cherchait-il des excuses ?
— Est-ce que ce que tu as dit tout à l'heure, quand je t'ai proposé que toi et moi on fasse l'amour... Est-ce que tu as refusé à cause de mon handicap ? Est-ce que c'est quelque chose qui te repousse ?
Pour le coup, Ange en tombait des nus. Franchement, qu'est-ce qu'allait s'inventer Luce ?
C'était la femme la plus belle, la plus provocatrice et la plus tape sur le système qu'il avait rencontrée de toute sa vie. Sa cécité n'était qu'un détail parmi d'autres. Certes, Luce n'aurait certainement pas le même avis concernant son handicap mais...
Mais pour Ange, les sentiments qu'il éprouvait pour elle étaient bien plus importants. Et tout ce qu'il pouvait dire en ce moment, c'était qu'il était raide dingue de cette nana.
— Attends, tu es sérieuse, là ?
— Quoi ? rétorqua froidement Luce.
— Écoute, soupira Ange.
Il songea à attraper la main de la brune mais ne le fit pas. Ce n'était peut-être pas la première chose à faire, puisque sa Pocahontas semblait vouloir montrer les crocs à nouveau.
— Tu es aveugle, oui. Et alors ? Enfin non, je ne veux pas dire que c'est rien mais...
Voilà qu'il devenait maladroit et que le visage de la brune se fermait. Non, ils ne pouvaient pas avoir fait tout ce chemin pour rien quand même...
— Luce, tu ne te résumes pas à ça. Tu es intelligente, belle, charismatique et chiante aussi. Tu as plein de qualités. Et ouais, je viens bien de compter le dernier adjectif positivement. Alors arrête de croire que les gens ne remarquent que ça chez toi. On t'apprécie pour ton entièreté. Pas pour une partie de toi.
Un nouveau silence s'installa. Puis Ange remarqua que la main de Luce cherchait la sienne. C'était plutôt bon signe. Ouf, l'homme était définitivement rassuré.
— Merci, souffla-t-elle faiblement.
Un demi-sourire s'installa sur le visage du blond.
— Bon alors, je t'aide pour cette pause pipi ou pas ? enchaîna-t-il, car leur petite conversation avait failli lui faire oublier la raison pour laquelle il avait dû s'arrêter en bord de route.
Le rire de sa Pocahontas rebelle le laissa pantois. Qu'y avait-il de drôle dans sa demande ?
— Je n'ai pas besoin de pisser. Je voulais juste mettre les choses au clair, mais je n'avais pas envie qu'on aille s'encastrer dans un arbre si toutefois on se disputait.
Sage décision, Ange dut le reconnaître. En même temps, compte tenu du passé de Luce, songea-t-il, elle doit être du genre à faire attention désormais...
— Je suppose que ton envie que je te saute dessus a déserté ? hasarda Ange.
Même s'il connaissait la réponse, il avait fallu qu'il pose la question.
— Un peu, je dois l'avouer. Mais je ne suis pas contre une nuit passée dans tes bras.
L'absence de réponse de l'homme fit comprendre à la jeune femme qu'il ne suivait pas son raisonnement, ou bien qu'il ne comprenait pas ses intentions.
— Dormir, collée contre toi. Dans ta tente. Je ne parle pas d'autre chose, Ange.
Même si ce n'était pas tout à fait ce à quoi il avait rêvé durant sa conduite, cela dépassait tout de même toutes ses espérances. Tellement qu'il dut se forcer à se concentrer pour rentrer entier au camping.
Ce soir-là, lovée contre l'ancien clown, Luce dormit d'une traite. Et même si contrairement à la jolie brune, Ange resta éveillé durant des heures, à essayer de se prouver qu'il s'agissait bien de la réalité et non pas d'un rêve, il passa la plus belle nuit de sa vie.
Car il avait celle son ensorceleuse à ses côtés.
Car il se sentait amoureux.
Car il se sentait pousser des ailes.
Car il avait Luce, tout simplement.
Voilà, ce sera le dernier chapitre de la journée. Luce et Ange n'ont pas fait ce qu'ils avaient prévu, mais n'est-ce pas mieux ? Cette nuit, dans les bras l'un de l'autre, c'est aussi fort...
Certes, ils n'ont plus beaucoup de temps à passer ensemble puisque les vacances touchent à leur fin, mais aller trop vite, ce n'est pas la solution non plus ;)