— Alors ? demanda une voix fluette dès le retour du blond.
Le visage d'Angèle était si proche d'Ange que ce dernier ressentit le besoin de faire un pas en arrière. N'était-elle pas capable de se rendre compte quand elle empiétait sur l'espace vital de quelqu'un ? Cela agaça l'homme.
— Rien ! cracha-t-il en fourrant les mains dans les poches de son bermuda.
— Rien ? répéta la brune en haussant un sourcil. Mais... tu l'as embrassée au moins ?
Le soupir du jeune homme fit comprendre à son amie que l'histoire était bien plus compliquée. Après tout, depuis quand les problèmes étaient simples, hein ?
— Allez raconte, proposa-t-elle alors dans un léger sourire se voulant compatissant.
— Pas envie.
La moue qu'affichait Ange voulait tout dire. Ce dernier se renfermait sur lui-même, refusant de parler de la situation, préférant se comporter comme le gamin d'autrefois. Sauf que cette fois-ci, le garçon n'était pas en mode clown mais boudeur.
— Mais euh ! Raconte, insista Angèle en lui donnant un coup d'épaule amical.
— Pour quoi faire ?
— Pour te libérer et peut-être comprendre des choses.
— Ah, parce que toi tu comprends tout ? T'as tout juste la vingtaine mais tu vas mieux comprendre les choses qu'un mec de bientôt trente piges ? T'as cru quoi ? Que t'étais un génie ? Eh ben excuse-moi de casser ton illusion, mais t'es bien loin de l'être ! Oh très très loin.
Cette fois-ci, Fabrice s'interposa entre les deux amis. En fait, il avait voulu le faire plus tôt mais avait eu espoir que le blond se calme tout seul. En vain...
— Arrête Ange, tu vas trop loin ! Elle veut juste t'aider et toi tu te montres infect.
Mais comme le regard sombre de son meilleur pote le supposait, il n'était pas prêt à se stopper. Il était rare que celui-ci rentre à fond dans son jeu du connard, mais lorsque cela arrivait, ce n'était jamais bon signe. Et le pire était probablement à venir, car en plusieurs années d'amitié, Fab pouvait le confirmer, jamais il n'avait vu le blond ainsi.
Cette Luce avait un pouvoir sur son ami, un pouvoir éblouissant et ô combien dangereux.
— Ah ouais ? Eh bien si elle veut m'aider, elle n'a qu'à se la fermer !
— Ange ! s'écria Fab en faisant un pas vers le concerné.
— Quoi ? rétorqua ce dernier en montant le menton.
— Fais pas ton connard.
— Donc toi aussi tu penses que je suis un connard ?
Désormais, Claire se ramenait pour voir ce qu'il se passait. A vrai dire, elle n'était pas la seule. Toutes les personnes du coin jetaient des coups d'œil vers celui qui se rendait en spectacle.
— Ange viens avec moi, souffla Fabrice, les dents serrées.
— Pourquoi ? rétorqua le concerné, toujours pas décidé à se la jouer discret.
— Peut-être parce que tu te comportes comme un gamin et qu'on en a marre de t'entendre faire ta diva !
Cette voix... Il ne s'agissait d'aucun de ses amis. Le jeune homme remarqua rapidement la présence de Luce et ne sut s'il était plus malheureux de l'apercevoir ou en colère.
Comment pouvait-elle continuer à le faire chier après sa remarque précédente ?
Pourquoi fallait-il qu'elle loge juste à côté de sa tente ?
— C'est l'hôpital qui se fout de la charité là, tu me traites de gamin ? Sérieusement ? Et toi, tu crois que t'es quoi, à part une gamine colérique et capricieuse ?
— Doucement, doucement les gars. S'il vous plaît !
— Tu veux que je te dise ton problème ?
La réflexion de Fabrice avait bien et belle été inutile. Et même si ce genre de scénario ne lui était pas inconnu, il se sentit soudainement nul. Cette impression d'être invisible et de ne servir à rien... Cela lui donna envie de tout envoyer valser.
— Ouais, mais vas-y, je t'en prie ! Vas-y, madame l'exécrable !
Claire qui avait abandonné le club des amis, venait de rejoindre la brune. La main posée sur l'avant-bras de Luce, elle murmura quelque chose qu'Ange n'entendit pas. Cela ne l'empêcha pas cependant de comprendre que celle-ci mettait sa pote en garde. Mais s'il y avait bien quelque chose dont il était certain, c'était que la Pocahontas rebelle n'écouterait rien. Et cette dernière confirma sa pensée dans la seconde qui suivit :
— Ton masque du mec rigolo qui ne pense qu'à déconner, il est tellement faux que tu n'arrives plus à le faire tenir. Parce qu'au fond, t'es juste un pauvre homme effrayé par les émotions qu'il est incapable de gérer. Tu préfères t'apitoyer sur ton sort du type qui a été violent pour défendre l'honneur de sa sœur et qui a fait de la taule que de reconnaître que t'as pas de couilles !
Luce, qui était bien trop lancée dans son élan, ne se rendit pas compte que l'atmosphère était tendue désormais qu'elle venait de parler de la prison. Mais les regards perdus de Claire et d'Angèle, eux ne passèrent pas inaperçus.
— Tais-toi, siffla Ange entre ses dents.
Fabrice savait maintenant qu'il fallait qu'il retienne son ami pour que celui-ci ne fonce pas sur la rebelle. Il fallait à tout prix éviter la catastrophe. Mais une part de lui avait tout de même envie de le laisser faire car après tout, la jeune femme venait de révéler un élément plus qu'important du passé de son ami. Un passage dont il ne parlait pratiquement à personne. Elle venait de violer son secret.
— Ange ? l'interrogea Angèle.
Mais bien loin d'avoir entendu la réplique de la jeune femme et de se douter de ce qu'elle venait de lancer, Luce enchaîna :
— Car si tu en avais, tu serais allé voir ta famille depuis longtemps. Alors au lieu de ça, t'essayes de tromper les gens et toi-même par la même occasion en faisant le pitre. Tu te prends même pour une Brigitte Bardot qui récupère les chatons fragiles. Désolée Angèle, je n'ai rien contre toi, sauf qu'à un moment, il faut savoir se rendre compte des choses.
Claire, qui était toujours à côté de son amie, lança un regard pour la brune. Au fond d'elle, la jeune femme savait que Luce avait raison. Mais les yeux tristes de celle qui devenait la plus grande victime de l'histoire, lui donnèrent envie de tout lâcher pour aller la réconforter. Seulement, comme bien souvent, elle fit taire ses idées et resta stoïque.
— Mais au final, continua Luce d'une voix presque tremblante, parce que tu ne gères plus même avec ce visage-là, tu deviens méchant, parce que t'es frustré. Frustré de ne pas être toi, frustré et déçu de ta personne. Et tu sais quoi ? Tu pourras dire que j'ai plein de problèmes, c'est vrai. Mais t'es quand même celui qui est le plus minable de nous deux. Car contrairement à toi, je n'ai pas choisi de foutre ma vie en l'air.
Claire s'apprêtait à dire à son amie qu'elle était légèrement hypocrite quand Ange la devança :
— Tu parles de méchanceté, toi, la sorcière ? Tu parles de frustration et de choisir de foutre sa vie en l'air ? Tu te moques de qui ? T'es certaine que c'est mon histoire que tu racontes ou bien c'est la tienne ? Honnêtement, tu veux que je te dise ?
— Peu importe que je refuse, je devine que tu le diras quand même ! rétorqua Luce en montant le menton.
Elle sentit rapidement le parfum du blond. Il venait de marcher vers elle et vu les effluves qui chatouillaient ses narines, elle devina qu'il était à moins de deux mètres d'elle.
— J'ai des problèmes ouais. Je suis un type paumé, OK. Je foire beaucoup de choses, d'accord. J'ai essayé de me cacher durant longtemps. Et j'ai fait de la taule comme tu dis ! D'ailleurs, merci de balancer ce moment de ma vie, c'est vrai que c'est la première chose que je dis aux gens quand je les rencontre. Mais tu sais quoi ? S'il y a bien quelqu'un qui foire encore plus que moi, c'est bien toi ! Alors que tu joues à l'hypocrite... ça ne fait que te rendre encore plus détestable et pitoyable. Et franchement, je suis fatigué. Ouais, je suis grave fatigué de me disputer avec une meuf qui ne changera jamais. Fatigué de donner de l'énergie pour rien. Fatigué de donner des secondes chances à une meuf qui n'a qu'un seul but dans sa vie, détruire celle des autres.
A l'entente de ce discours, Luce comprit qu'elle avait définitivement fait le pas de trop. Désormais, elle réalisait à quel point l'atmosphère était tendue. Elle entendit les questions d'Angèle. Elle sentit la peur de Claire et l'agacement de Fabrice. Et surtout, elle réalisa que la haine qui avait flirté avec elle n'était pas la sienne mais celle d'Ange.
— T'es qu'un pauvre con ! ne put-elle s'empêcher de dire malgré tout.
Oui, elle savait qu'elle aurait dû s'excuser. Mais c'était plus fort qu'elle. Ange la mettait hors d'elle, une fois de plus.
— C'est parce que t'es à court d'argument ?
La provocation dans la voix d'Ange lui fit mal. En effet, elle venait de blesser la peluche et cette dernière venait de se transformer en animal sauvage. Le changement faisait mal. Vraiment mal.
— Claire, dis quelque chose ! s'emporta une Luce terrifiée.
Les yeux d'Ange croisèrent ceux de l'amie de la brune.
— Il serait peut-être temps que vous arrêtiez de vous balancer des vacheries à la gueule et que vous soyez tous les deux des adultes. Moi j'en ai marre d'être impliquée dans vos histoires. Cette fois-ci, ça sera sans moi.
Malgré la résistance de Luce quand cette dernière sentit la main de Claire lâcher son bras, la jeune femme parvint à se libérer. Et peut-être est-ce pour cette raison, à cause de ce sentiment d'abandon, ou tout simplement un trop plein, mais à la plus grande surprise d'Ange, ce fut une Luce fragilisée et pleurante qui fonça dans ses bras :
— Je suis désolée.
En fait, le jeune homme ne fut pas le seul à manquer de tomber la mâchoire. Même la troupe d'amis resta sans voix.
— Je suis désolée de détester tout le monde. Je suis désolée de vous jalouser. Je suis désolée d'être ainsi. La vérité, c'est que je te hais. Je te hais parce que tu arrives à me faire faire des choses que les autres n'arrivent pas à faire. Je te hais parce que tu es tout le contraire de moi. Je te hais parce que tu me fais mal. Et je te hais parce que malgré tout ça, j'ai des sentiments pour toi, sale petit con.
Et ce fut sur cette dernière phrase que le château de cartes, simple armure de protection, qu'Ange essayait de construire depuis le début de son engueulade avec la brune s'effondra.
Oublier Luce ? Même après avoir balancé son secret, quand cette dernière sortait sa dernière attaque, la plus puissante au monde, la partie semblait soudainement perdue d'avance...
Enfin Luce semble prête à arrêter de jouer. Espérons qu'elle ne nous réserve pas un nouveau retournement de situation d'ici le prochain chapitre...
C'est une partie que j'ai eu du mal à écrire car Ange et Luce, c'est tellement explosif. Ils passent plus de temps à s'engueuler qu'à se dire des choses gentilles. Pourtant, ils sont tellement importants l'un pour l'autre. Ils sont les seuls qui peuvent se faire avancer mutuellement. Et ils avancent, je le vois, mais tellement lentement argh.
Du coup, c'est un gros dilemme pour moi leur couple. Il peut être autant génial que destructeur et chiant. Et je dois avouer qu'ils m'ont énervée, mais à un point ! Haha, truc de fou. Bref, j'espère que vous avez aimé ce chapitre :)