— Je suppose que c'est à mon tour, souffla Ange tandis que la main de Luce sur sa joue était en train de le rendre fou.
L'envie de l'embrasser était si grande qu'il avait dû s'envoyer plusieurs claques intérieures pour résister à son cerveau qui lui avait crié de se jeter sur ces lèvres qui tremblotaient encore d'émotion. Il était certain qu'elles auraient été salées. Elles auraient eu le goût de la souffrance de la brune.
Mais malgré les apparences, Ange pouvait être gentleman parfois, et là, il refusait de profiter de la faiblesse d'une femme attristée. Sans oublier qu'il avait dit qu'il ne s'intéresserait plus à elle. Maudites étaient ces paroles qui avaient quitté son cerveau malmené pour franchir la barrière de ses lèvres. Il se détestait désormais.
— J'ai une petite sœur, elle s'appelle Charlotte.
Les doigts de Luce quittèrent doucement sa peau pour le laisser libre de parler et il regretta aussitôt son contact.
— Elle était en couple avec un mec que je n'aimais pas. Elle le trouvait formidable alors que je savais qu'il s'agissait d'un salopard. Mais toute ma famille semblait du même avis que Cha. Alors je me la fermais.
Un flash lui parvint et il grimaça, implorant à son esprit de ne pas le torturer. Mais celui-ci, pas d'accord avec sa demande, lui renvoya l'image de Charlotte, le visage tuméfié, les yeux coléreux, en train de pleurer et crier dans sa chambre d'hôpital.
— Un soir, il l'a giflée. C'était la première fois et mes parents ainsi que Charlotte lui ont cherché des excuses parce qu'apparemment, ma sœur l'avait provoqué.
Ange remarqua que Luce était concentrée dans l'écoute de son récit. Elle était une des seules personnes qu'il connaissait à entendre parler de cette histoire, et elle était vraiment attentive. Pas comme cette Danielle en qui il avait cru avoir trouvé la femme de sa vie, quatre ans plus tôt, avant qu'elle ne se casse après avoir couché avec tous ceux qu'il considérait comme ses amis. Seul Fabrice avait résisté à la rousse au regard de velours. C'était d'ailleurs lui qui lui avait fait part des avances de Dani.
— Pourtant, continua-t-il en essayant d'oublier Danielle et son moment de faiblesse, un mois plus tard, il a recommencé. D'après ses dires, il avait attendu ma sœur durant toute la soirée parce qu'ils devaient diner en amoureux. Et Charlotte a reconnu que c'était vrai. Ce soir-là, elle ne l'a pas appelé pour décommander, car elle avait une réunion professionnelle pour un contrat important et que les clients avaient voulu qu'elle les accompagne au restaurant. A cette époque, elle n'était qu'une petite stagiaire, mais on lui avait dit que c'était en se faisant des contacts qu'elle pourrait gravir plus rapidement les échelons.
Un nouveau souvenir l'envahit. Cette fois-ci, il était plus auditif que visuel et il comprima le cœur d'Ange.
— A son retour, Charlotte a vu qu'il était énervé. Il était persuadé qu'elle l'avait trompé. La première gifle est partie. La seconde est arrivée lorsqu'elle lui a dit qu'elle le trouvait un peu trop jaloux. Quand elle lui a dit que c'était moi qui l'avais remarqué, elle s'était pris le premier coup dans le ventre. Ensuite, Cha n'a pas été capable de raconter la scène, parce que les poings sont arrivés par avalanche. La dispute s'est terminée lorsqu'un des voisins, alerté par les propos, est sorti sur son pas de porte. C'est à ce moment-là que ce connard a poussé ma sœur dans les escaliers de la résidence.
Le souffle de surprise de Luce lui confirma qu'elle vivait avec lui la scène.
— Dans sa chute, son tympan gauche a éclaté. Elle a été transférée à l'hôpital, et alors que mes parents ont été là pour son réveil et l'annonce comme quoi elle était devenue sourde d'une oreille, j'étais en train de tabasser celui qui avait levé la main sur ma petite sœur. C'est un passant dans la rue qui m'a empêché de tuer ce connard.
Ange remarqua l'expression de Luce changer. Avait-elle peur de lui désormais ? Elle se plaignait de ne pouvoir voir les traits des autres, mais en ce moment, l'homme avait beau pouvoir se servir de ses yeux, ses derniers ne l'aidaient pas trop.
— A mon arrivée à l'hôpital, mes parents et Charlotte avaient été mis au courant de ce que j'avais fait.
Une fois de plus, la colère, le désir de vengeance et la fureur carrément, envahirent Ange. Parfois, durant la nuit, il revivait cet instant sanguinaire. Il se revoyait cogner en criant qu'il ferait payer à cet homme pour ce qu'il avait fait à Charlotte. Mais même si une part de lui continuait à se dire qu'il avait bien fait, sa conscience elle, se chargeait de le faire culpabiliser.
C'était un poids qu'il se traînait depuis des années.
— Ils m'ont aussitôt banni de la famille.
— Mais pourquoi ?
Ange fut surpris que Luce monte à ce point le ton et qu'elle semble indignée.
— Tu as fait ça pour défendre ta sœur !
Il avait envie de lui dire qu'il était d'accord avec elle, sauf qu'il manquait tout de même une petite partie de l'histoire. Une partie qu'il avait essayé d'oublier, en vain.
— Je n'ai pas eu l'adolescence la plus exemplaire.
Un soupir lui échappa.
— Plus jeune, j'étais plutôt du genre à faire sortir ma colère plutôt que la faire taire. J'étais le type qui aimait cogner. Tu vois, le gars qui était violent et aimait chercher des noises. Si je dois être tout à fait honnête, j'ai vraiment fait de la merde. Casser la gueule aux autres, ou me la faire casser, c'était ainsi que je me droguais, à coups de poing dans la tronche.
Luce ne semblait plus vraiment savoir comment réagir désormais.
— Je sais, souffla-t-il. J'étais le roi des crétins. Et tout ça parce que je me disais que les vieux ne me comprenaient pas et que je voulais qu'on me remarque. Ce qui est étrange, c'est que même si j'en voulais à mes parents de m'oublier pour Charlotte, je n'ai jamais détesté ma sœur. Bien au contraire. Dès que quelqu'un l'embêtait, il fallait que je vienne la secourir. Même cette fois-ci, avec mon beau-frère, ça a été la fois de trop. Ma famille a dit que j'étais un monstre. Que j'étais incapable de me contrôler et qu'il fallait tout le temps que je cogne.
Ce fut au tour d'Ange de sentir l'émotion le gagner. Allait-il pleurer comme Luce quelques minutes plus tôt ? Depuis combien de temps cela n'était pas arrivé ?
— Tu n'es pas un monstre.
Cette phrase, il aurait aimé que ce soit Charlotte qui le lui dise. Mais malheureusement, sa petite sœur, qui était désorientée à cause de la nouvelle concernant sa santé ainsi que le piteux état de son ex, n'avait pas été capable de lui dire autre chose que de se casser. Si, en fait, elle avait rajouté qu'elle avait peur de lui. C'était la réplique qui lui avait le plus de mal.
Qu'on le compare à celui qu'il avait tabassé, qu'on le traite d'hypocrite de dire qu'il avait bien fait de cogner un homme violent, qu'on le fasse passer pour une ordure qui avait besoin d'être soignée, rien ne l'avait autant atteint que sa sœur lui disant qu'elle avait peur de lui. Ange revoyait encore ses yeux effrayés. Il revivait cet instant où elle s'était reculée en voyant la main de son frère vouloir lui frôler le bras.
C'était tellement dur.
— L'ex de Charlotte a porté plaintes contre moi pour coups et blessures. Et il a pris le passant comme témoin. A cette époque, je ne roulais pas sur l'or. Enfin, je ne roule toujours pas dessus. Mais ça, plus ma famille qui ne voulait plus entendre parler de moi et m'a laissé tomber, bien évidemment, ont fait que je me suis présenté seul au tribunal et que je n'ai pas pu défendre mon cas. J'ai été condamné à six mois de prison pour avoir voulu rendre justice à ma sœur qui aurait dû être celle qui portait plainte. Mais son ex ayant été arrêté professionnellement pour deux semaines, avait réussi à monter un bon dossier contre moi.
Ange ferma les yeux. Désormais, il revoyait des scènes qu'il avait enfuies au plus profond de son esprit. Ces gars qui se faisaient violenter... Comment pouvait-on ressortir de prison avec le cerveau intact ? Lui aussi avait été abîmé là-bas.
— Tu es une des seules personnes à qui je parle de ça. Seuls mes proches et Fab le savent après. Il faut dire que ce n'est pas très glorieux d'être un ancien détenu.
Parce que Luce ne disait rien, le jeune homme soupira.
— Après cette histoire, quand j'ai pu sortir de prison, j'ai quitté la ville. Je me suis longtemps demandé si ma famille avait raison, si j'aurais dû laisser ce bâtard s'en tirer. Et pour être certain de ne pas devenir celui qu'ils avaient banni, j'ai commencé à prendre la vie à la rigolade. Chaque défi que je réalise et que je gagne, c'est comme si je cognais, mais sans faire de mal. Tu comprends, c'est ma façon à moi de m'éclater.
Comme il venait de dire cela la voix tremblante, la main de Luce reprit sa place sur sa joue.
— Tu sais, il y a d'autres moyens de s'amuser qu'en cognant ou en gagnant un pari.
— Venant de la part d'un psychorigide, je trouve cela assez marrant...
Contre toute attente, Luce rigola. Et son rire fut si délicieux que l'envie de l'embrasser rattrapa Ange.
— Je ne suis pas psychorigide. J'ai juste un caractère de cochon. En tout cas, c'est qu'a dit quelqu'un dernièrement.
— Je vois ! rigola à son tour Ange. Cette personne est visiblement très intelligente.
— Malgré les airs de gamin débile qu'il essaie de se donner, je crois aussi. En tout cas, grâce à cet homme, j'ai réussi à parler de ma vie, ce qui d'après Claire, était nécessaire pour que j'arrive à m'aimer.
— Elle est vachement intelligente cette Claire aussi, nota Ange dans un sourire.
— Elle n'est pas qu'intelligente. Elle est superbe.
Les doigts d'Ange étaient à nouveaux posés sur la main de Luce.
— Merci de t'être confié à moi.
— Confidences pour confidences, non ? C'est pas comme ça que ça fonctionne ? plaisanta le blond.
— Je ne me suis pas confiée pour que tu fasses de même.
— Je sais.
— OK.
Un silence s'ensuivit durant lequel Luce planta ses yeux dans ceux d'Ange et même s'il savait qu'elle ne le voyait pas, il se sentit exister dans ses iris foncées.
— Et tu n'as pas peur d'être assise à côté d'un ex-taulard ?
— Tu n'as rien fait de mal pour moi. Tu n'as fait que défendre ta sœur.
Ange jugea préférable de ne pas lui parler des bagarres auxquelles il avait dû participer pour ne pas finir comme moyen de décompression. Être dans une prison remplie d'hommes qui avaient des besoins physiques, ça n'avait pas toujours été facile. La loi du plus fort qui cognait pour garder son statut, le rôle des détenus dits femmelettes qui se retrouvaient plaqués contre des murs pour soulager les plus sauvages, tout ce monde était bien trop sombre pour qu'il en parle à Luce.
Puis désormais qu'elle avait le visage tourné vers lui, autre chose lui trottait en tête. Quelque chose de bien plus agréable que ses souvenirs. Quelque chose de si entêtant qu'il ne put s'empêcher de demander :
— Est-ce que je peux t'embrasser ?
Le hoquet de surprise et la main de Luce qui quitta sa peau lui firent regretter sa question.
— Je croyais que tu ne t'intéresserais plus à moi ? releva la brune.
A ce moment, il comprit qu'il n'avait pas surpris Luce mais qu'il venait plutôt de se tirer une balle dans le pied.
— Je crois qu'on dit qu'il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis.
Ce fut le retour du rire cristallin de la brune.
— Et justement, on a dit à l'instant que tu étais très intelligent.
— Tout à fait.
Désormais que Luce faisait durer l'attente, alors qu'il savait déjà quelle était sa réponse, notamment à cause de sa respiration qui avait accélérée ou bien de son teint qui malgré son bronzage, avait légèrement rougi, Ange avait l'impression qu'il était incapable de penser à autre chose qu'au goût des lèvres de la jeune femme.
Comment pouvait-elle lui faire un coup pareil ?
— Alors ?
— Alors ? répéta la jeune femme, ayant décidé de jouer à l'imbécile.
— Luce, la supplia-t-il.
Sentait-elle son souffle contre ses lèvres ? Avait-elle compris qu'elle était en train de le tuer en ce moment ?
Le blond eut confirmation que Luce ressentait tout cela lorsque sa main se posa sur sa joue et qu'elle pencha légèrement la tête pour répondre à sa caresse.
— Embrasse-moi.
Il n'en fallut pas plus pour qu'Ange se jette sur ses lèvres.
Ouiiiiii ! Enfin ! ENFIN ! E-N-F-I-N
Luce m'a donné du fil à retordre. J'avais vraiment l'impression de luter avec Ange. La bataille a été rude. J'ai même cru que j'allais la perdre haha. Mais bon, au final, on a eu le droit à un baiser et le secret d'Ange enfin révélé ! Est-ce que ce n'est pas beau ça ?