La brune, dont la peau accusait un trop plein de soleil et montrait bien trop de surface avec sa tenue mini, souriait déjà à Ange. Aussi, ce dernier ne tarda pas à rejoindre la jeune femme.
Durant quelques secondes, ils semblèrent échanger quelques mots. Mais si le blond paraissait avoir choisi l'attaque par les blagues, la jeune femme opta pour une autre approche. La main qui courait sur le torse d'Ange, ou du moins sur la chemise à manches courtes qu'il avait enfilée, en faisait gage de preuve.
Finalement, Fab se dit que la cible allait tout faire à la place d'Ange. Et ce fut le cas, jusqu'à ce que le blond reprenne les choses en main en posant ses doigts sur la hanche de la brune. Après cela, un homme baraqué déboula vers lui. Ange eut à peine le temps de dire un mot qu'un poing s'abattit sur son visage.
Ça, Fab ne l'avait pas prévu. Certes, il avait vite remarqué que la cible qu'il avait attribuée à son ami avait un accompagnateur, mais il n'avait pas pensé que la grosse brute frapperait. Il avait espéré une petite engueulade. Dans son esprit, l'homme à l'allure de motard se contenterait d'effrayer son ami.
— Bagarre ! hurla un homme ravi tandis que Fabrice accourait vers Ange, au sol, écrasé par le compagnon de la brune.
— Stop ! hurla-t-il en essayant de repousser le taureau qui cognait sans retenu. Stop ! répéta-t-il avant de se prendre par inadvertance un coup de coude dans le ventre.
Cela le priva de ses capacités langagières. Assommé par la douleur, il recula et croisa avec horreur le regard apeuré d'Ange. Celui-ci n'eut pas besoin de parler. Fabrice comprit. Il comprit que son ami n'était plus là. Il n'était plus dans le présent. Il venait d'être renvoyé dans le passé. Il revivait tout. Les coups. La colère. Les cris. Les pleurs. Les supplications. Et l'enfer qu'il avait dû côtoyer par la suite.
Il revivait le cauchemar qu'il avait créé et qui avait détruit à jamais sa relation avec sa famille.
Ange affrontait à nouveau ses démons. Mais cette fois-ci, c'était lui la victime et non pas l'attaquant. Cette fois-ci, il avait la place de celui qu'il avait frappé jusqu'à ce que ses phalanges soient recouvertes de sang. Fabrice le voyait dans le regard vert du blond vénitien. Ange comprenait la peur que cet homme avait ressentie, des années auparavant. Mais surtout, il revivait la colère écrasante d'autrefois. Le désir de cogner et de ne pas s'arrêter...
— Mais stoppez-les enfin ! cria quelqu'un que Fab ne put voir.
Puis la voix de l'infidèle qui avait flirté sous les yeux de son compagnon se mêla aux autres. Désormais à genoux, les bras autour du cou de celui qui ne se contrôlait plus, elle pleurait ses pardons.
— Je suis désolée. Je suis désolée, dit-elle en déposant des baisers sur la joue de l'homme. Mais tu m'y as poussée ! Je t'avais dit que je me vengerai. Tu vois ce que ça fait !
Soudainement, le regard de Fabrice envers la jeune femme changea. Elle n'avait plus à rien à voir avec la pute qu'il avait cru apercevoir. Elle était toujours aussi peu vêtue et vulgaire, pourtant, la part de tristesse, de désespoir et de pathétique venait de prendre le dessus. Il finit même par avoir pitié d'elle.
— Pardonne-moi.
La grosse brute lâcha enfin Ange et après une dernière insulte, se releva. Il envoya bouler la jeune femme en lui criant qu'il ne voulait plus la voir puis sous le regard des gens qui avaient formé une ronde tout autour, il prit la fuite.
— Est-ce que ça va aller ? demanda Fabrice en voyant la brune, toujours agenouillée, le visage désormais recouvert de larmes.
Elle se contenta de hocher la tête, agressée par ses sanglots.
— C'est plutôt à moi que tu devrais poser la question, non ? souffla une voix.
Fab tourna la tête vers Ange, étendu sur le sol. Un œil à moitié fermé et déjà gonflé, le nez pissant le sang, la mâchoire bleuâtre, son ami n'était pas au meilleur de sa forme. Et le châtain comprit que son visage n'était pas la seule victime. Ses mains, qui étaient posées sur son ventre, confirmèrent ses pensées.
— Tu le savais, hein ? continua Ange avec difficulté.
— Je pensais pas que...
— Bâtard ! trancha le blessé.
La gorge de Fabrice se serra. Ce n'était pas la première fois qu'Ange le qualifiait ainsi. Or, d'habitude, c'était toujours en plaisantant qu'il le disait. Mais ce soir, il savait qu'il le pensait vraiment. Il n'avait peut-être jamais été autant sincère qu'en ce moment.
— Je suis désolé, couina Fab.
— Va chier !
— Ange.
— Je veux plus t'entendre ! nota-t-il en se tournant sur le côté pour se lever.
Fab lui tendit la main pour l'aider, mais Ange l'ignora. Le visage déformé par la bagarre et les grimaces qu'il fit sous le torrent de douleur qui s'abattit sur lui, il se remit sur pied.
— Où est-ce que tu vas ? demanda-t-il en voyant le blond faire un pas, plié pratiquement en deux.
— Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
— C'était pour ton bien. Je te jure !
— Ah ouais ? Parce que t'as vraiment cru que je te dirais merci pour m'être fait défoncer la gueule ? rigola jaune son ami.
C'était la première fois qu'Ange réagissait aussi brutalement verbalement et Fabrice savait très bien pourquoi. Il n'en était pas fier. Bien au contraire. Il s'en voulait déjà. A mort.
— Je suis désolé. Je ne pensais pas que...
— Ouais, c'est bien ce que je me disais ! Tu ne penses jamais.
— Où est-ce que tu vas ? répéta Fab en voyant son ami s'éloigner.
Les gens qui s'étaient rassemblés pour regarder la bagarre se poussaient désormais pour le laisser avancer, comme s'il avait la peste.
— Là où je ne verrai plus ta gueule de sale traitre !
En ce moment, Fab se moquait pas mal que les regards restent bloqués sur lui. Alors qu'autrefois, il avait été à la limite de la phobie des autres, notamment à cause des paroles répétitives de son père qui n'avait cessé de lui dire que l'impression qu'il donnerait à autrui serait le plus important, il ne pensait plus à rien qu'à l'erreur de diagnostique qu'il venait de faire.
Venait-il de perdre Ange pour toujours ? Il refusait d'accepter cette possibilité. Ils avaient toujours été comme les deux doigts de la main.
Après un soupir et un dernier regard pour son ami qui s'éloignait avec difficulté des spectateurs, il fit demi-tour, et manqua de se heurter à une jeune femme. Châtaine, grande, les yeux marrons et un air suffisant étirant ses lèvres, il la reconnut aussitôt.
— Voilà ce que l'on récolte à force d'être un con ! se moqua une voix légèrement cassée.
Il s'agissait de celle qu'Ange avait renversée. Aussi ravie que son amie, elle avait les mains posées sur les hanches et même si son regard ne croisa pas celui de Fab, il eut envie de la lui faire fermer. Mais au lieu de cela, il contourna ses voisines d'emplacement pour prendre la fuite.
Se bagarrer avec une aveugle et une peste ne changerait rien à la situation : il avait ravivé les souvenirs de son meilleur ami et l'avait peut-être perdu. Il avait merdé, et pas qu'un peu !
Aïe aïe, vous l'aviez prévu ça ?