« À droite. Et à gauche. »

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Le ciel semblait avoir revêtu les habits de l'Apocalypse en plein milieu de l'après-midi. Gris strié de bandes rouge sang, des nuages presque noirs, il semblait annoncer la fin des temps. Faute de luminosité naturelle, les lampadaires s'étaient allumés. Plantés devant la porte extérieure du centre commercial, les survivants contemplaient le décor. Ils s'étaient attendus à un carnage, à de la tôle cassée, à de la fumée, des cris... Bref, ils pensaient qu'ils allaient devoir faire affaire à une véritable fin du monde comme dans le bâtiment derrière eux. Mais non. Absolument pas. La rue était déserte. Les voitures étaient garées normalement, en tout cas aussi normalement qu'elles l'auraient été un jour normal, c'est à dire n'importe comment. Les pavés étaient propres, bien que là encore, la propreté fût subjective au moment. Pas de sang, pas de tripes, pas de boyaux.

Le pire, dans tout cela, c'était le silence. Le tumulte de la ville s'était tu, comme si on avait appuyé sur un bouton. On n'entendait rien. Pas même le pépiement des moineaux ou les roucoulements des gros pigeons. Pas de bruit de véhicules, pas de conversations, pas de klaxon, rien. Le temps était en suspens. Après la panique vécue dans le centre commercial, c'était presque plus angoissant de se retrouver dans un endroit aussi calme.

Les nerfs d'Emma étaient mis à rude épreuve. Ici, dans ce silence absolu, on pouvait imaginer que rien de tout ceci ne s'était produit. En fermant les yeux, il était possible d'y croire. Pas très longtemps, pour être honnête. Parce qu'on n'avait jamais vu la ville bercée d'une telle quiétude. L'atmosphère semblait dormir, mais elle laissait deviner que quelque chose d'horrible s'était également passé ici. Et qu'elle n'attendait que le bon moment pour relâcher les créatures de l'Enfer.

– Il faut qu'on y aille, dit une nouvelle fois Martin comme si son disque tournait en boucle.

Sur ses épaules, Perrine venait de s'endormir. Son souffle était rauque et rapide et son visage avait pris une teinte grisâtre. Elle ne tiendrait pas longtemps sans soin. L'auteur amorça le premier pas, avant de se retourner vers Emma.

– Je ne sais pas où se trouve le commissariat..., murmura-t-il.

Nora comprit et prit la tête du groupe. Ils avancèrent sur le trottoir toujours désert, de manière très prudente. Ils ne pouvaient pas faire confiance au silence. Alors qu'ils arrivaient sur le bord de la petite route qui serpentait entre les bâtiments, Benjamin cria.

– Attention !

Tout le monde sursauta, et Emma faillit lâcher la main du petit garçon. Ils regardèrent autour d'eux, paniqués à l'idée de voir surgir des hordes de zombies. Mais il n'y avait rien. Benjamin avait les sourcils froncés, comme s'il ne comprenait pas ce que les adultes faisaient à tourner en rond sur eux-mêmes. Emma, le cœur affolé, s'accroupit devant lui.

– Qu'est-ce que tu as vu ? lui demanda-t-elle.

– C'est la route, répondit-il sérieusement.

– Euh... Oui, c'est la route...

– On peut pas craverser.

– Ah bon ? Pourquoi ?

La jeune femme se retourna pour regarder de l'autre côté de la chaussée, se demandant ce qu'avait pu voir l'enfant. Les autres attendaient, sur le qui-vive. Il y avait quelque chose ici qui les poussait à ne pas rester sur place, à bouger vite et discrètement. Ils devaient se hâter, arriver au commissariat avant que l'Apocalypse ne se déchaîne à nouveau.

– Allez, là, on n'a pas le temps ! se fâcha Martin.

Si Emma comprenait pourquoi l'homme n'était pas ravi, Benjamin, lui, se ferma comme une huître. On eut beau lui demander de dire pourquoi il ne voulait pas traverser, personne ne put lui faire ouvrir la bouche. En désespoir de cause, ils reprirent leur route. Ils arrivèrent de l'autre côté sans encombre, et Martin lança un regard mauvais au petit garçon. Emma se mit devant lui en pinçant les lèvres, agacée de voir son camarade de survie s'en prendre à un enfant de trois ans qui avait perdu sa mère. Elle allait d'ailleurs lui dire tout le bien qu'elle pensait de son attitude quand l'auteur se baissa brutalement. Les autres l'imitèrent par instinct, et Emma serra contre elle Benjamin.

– Que se passe-t-il ? demanda-t-elle doucement.

– J'ai cru voir quelque chose...

Il se releva prudemment et regarda par-dessus une allée de buissons. Au bout de quelques minutes interminables, il haussa les épaules.

– Non, j'ai rêvé.

Les autres soupirèrent de soulagement. Ils étaient tendus comme des strings. Personne n'aimait être autant à découvert dans cet endroit familier devenu ennemi. Ils s'approchèrent de l'angle et s'arrêtèrent. Le commissariat était juste dans la rue perpendiculaire. Quelques mètres les séparaient d'une sécurité qu'ils devinaient de plus en plus incertaine.

Dans cette ville qui semblait morte, comment espérer trouver de l'aide ? Leurs espoirs s'amenuisaient au fil des secondes. Le commissariat était trop proche du centre commercial, il avait dû subir la même attaque. Le silence n'était jamais un bon signe. Malgré tout, il fallait qu'ils vérifient. L'auteur passa la tête dans l'angle et annonça qu'il n'y avait toujours personne. Un pas après l'autre, ils se rapprochèrent du bâtiment convoité. Ils le voyaient, à présent. Il n'y avait plus qu'une route à traverser, et ils seraient arrivés. Nul ne voulait penser à l'après, s'il n'y avait personne ici. Ils auraient bien le temps de paniquer une fois qu'ils seraient sûrs.

Plus que quelques mètres...

Soudain, une voiture de police déboucha de nulle part et faillit tous les renverser. Audrey tomba sur les fesses en se reculant brutalement, Nora et l'auteur avaient couru de l'autre côté. Martin, plus lent, n'était pas encore sur la chaussée. Quant à Emma, elle attrapa l'enfant et se jeta dans les buissons pour se protéger.

– Il fallait regarder à droite et à gauche avant de craverser..., murmura Benjamin en secouant la tête.

A la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant