Un petit tour dans les souvenirs d'Audrey...

1 0 0
                                    


... pour mettre un peu de suspens dans l'histoire.

*

Vingt-quatre heures avant l'apocalypse, Audrey écoutait son professeur de littérature moderne avec un soupçon de mauvaise humeur qui allait bientôt virer à l'agacement prodigieux. Elle avait choisi ce cursus afin d'allier son amour pour les œuvres littéraires et son désir de travailler dans le milieu de l'édition. En troisième année de licence, elle avait déjà établi son plan de carrière : elle allait continuer avec un master, puis se faire engager dans une grande maison d'édition afin de se faire un réseau, et quelques années plus tard, elle ouvrirait sa propre boîte. Elle rêvait d'un label engagé, de livres de qualité, et d'auteurs rassurés d'appartenir à son groupe.

Mais ce dont rêvait le plus Audrey, c'était d'arrêter de passer pour une inculte ou une illuminée lorsqu'elle disait qu'elle lisait de la littérature de l'imaginaire. Combien de fois avait-elle entendu que les livres qu'elle adorait n'étaient pas de la « vraie » littérature ? Tout ça parce qu'ils parlaient de vaisseaux spatiaux, de vampires, d'elfes, de dragons ou de robots. N'était-on un véritable auteur que lorsque l'on écrivait du polar ? De la romance ? De l'historique ? Et Edgard Poe, alors ? Et Maupassant ? Ce n'était pas des vrais écrivains ?

Elle savait qu'elle avait un long chemin à parcourir avant de faire reconnaître l'Imaginaire comme un véritable courant digne d'intérêt. D'ailleurs, elle avait rendez-vous la semaine prochaine avec d'autres acteurs de ce milieu, pour des « états généraux » un peu particuliers. Elle avait hâte d'y être ! L'événement lui semblait bien plus formidable que les inepties racontées par son professeur de littérature moderne. Il venait de balayer d'un revers de main un classique comme « Dune », sous le fallacieux prétexte que « oui, la visée politique est certes intéressante, mais placer l'action dans l'espace dessert le sujet ». Malheureusement pour elle, ce n'était pas la première fois qu'Audrey entendait ce genre de choses. Même ses camarades n'approuvaient pas sa passion pour la science-fiction et autre fantasy. Pour eux, si on voulait réussir dans ce milieu, il fallait lire des œuvres sérieuses. Les nains armés de haches, c'était bien beau pour lire aux toilettes, mais ce n'était pas une lecture pour les adultes.

Au bout d'un moment, le discours du professeur l'énerva tant qu'elle sortit son téléphone portable pour regarder ses emails. Elle en lut quelques-uns avant de les supprimer, nota un changement d'horaires pour l'un de ses cours de la semaine suivante, et ouvrit ensuite la newsletter d'une librairie de la ville à laquelle elle était abonnée. Elle aimait bien se tenir au courant des nouveautés et événements dans le coin. Et elle fut servie. Le lendemain, en effet, la librairie accueillait l'auteur d'un livre qu'Audrey venait justement d'acheter. Férue de tout ce qui touchait aux zombies, la jeune femme n'avait pas pu s'empêcher de s'emparer de ce livre à la couverture sanguinolente. Elle l'avait lu en une nuit.

Comme le professeur n'avait pas décidé de rendre justice à « Dune », Audrey fit une recherche internet sur l'auteur du livre en question. Elle n'avait pas vraiment fait attention à lui quand elle avait fait son achat, tout au plus savait-elle qu'il était américain. Elle ne savait pas exactement comment fonctionnait le monde de l'édition aux États-Unis, s'il était proche du système français et si les auteurs américains galéraient autant qu'ici. Audrey se promit de faire des recherches poussées sur le sujet, cela pourrait toujours lui servir dans son futur métier.

Il n'y avait pas grand-chose à savoir sur cet auteur, finalement. Elle connaissait à présent sa date et son lieu de naissance, l'endroit où il avait grandi, et la liste de ses ouvrages qu'elle se promit d'acquérir un jour. En tout cas, il lui avait fait grand effet avec son roman de zombies, qu'Audrey avait placé dans son top 5 de ses lectures favorites du genre. Elle était devenue difficile avec le temps, à force de toujours lire la même chose. Bien sûr, les auteurs jouaient sur l'originalité du lieu où tombait l'apocalypse zombie, mais c'était bien souvent la seule différence entre des dizaines d'ouvrages qui voulaient profiter de la vague d'engouement pour les morts-vivants.

L'auteur qui venait dédicacer le lendemain à la librairie avait pris le contre pieds de tous ces clichés, les avait détournés pour en faire une histoire tout à fait nouvelle. Cela avait été comme un rafraîchissement dans la longue carrière d'experte en zombies d'Audrey. Elle aimait les auteurs qui ne cédaient pas à la facilité et trouvaient encore des pistes intéressantes à explorer dans un genre qui ne réservait presque plus aucune surprise.

C'était ce qu'elle allait dire à l'auteur, le lendemain. Elle avait confiance en son niveau d'anglais pour exprimer exactement ce qu'elle voulait, et elle avait suffisamment l'habitude de rencontrer des auteurs pour ne pas être trop stressée à l'idée d'aller à la librairie pour cela. Dans quelques années, se prit-elle à rêver, peut-être qu'elle se rendrait à ce type d'événements pour tenter de démarcher des auteurs internationaux pour sa propre maison d'édition... Elle se voyait déjà, donnant sa carte de visite, expliquant les objectifs de son travail, son souhait de mettre les auteurs au centre des métiers du livre, proposer à ses futurs poulains d'aller prendre un verre de vin pour sceller leur amitié naissante...

Elle soupira un peu trop fort car sa voisine de table lui lança un regard noir. Audrey haussa les épaules en tentant de se reconcentrer sur le cours. Il était toujours moins passionnant que ses rêvasseries de future éditrice, mais elle ne souhaitait pas devoir repasser cette matière à la rentrée suivante. Ce n'était pas dans ses plans de rater une année juste à cause d'un professeur qui n'était pas à la hauteur de ses attentes. Un coup d'œil à sa montre la soulagea. Plus que quinze minutes, et elle pourrait espérer croiser la jolie brune qui avait cours dans l'amphithéâtre juste en face du sien. Peut-être qu'elle irait lui parler, cette fois... ?

A la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant