Quelques minutes plus tard, en pleine Apocalypse.

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Emma hurla si fort qu'elle s'en étouffa. Sa vision devint floue, mais pas assez pour ne plus voir la zombie devant elle. Le cri strident suivi de l'étranglement caractéristique excita la jeune fille défigurée, dont la mâchoire se mit à claquer dans le vide. Elle voulut se jeter sur Emma, les mains en avant, un grognement sourd s'échappant de ses lèvres ensanglantées.

– Attention ! cria quelqu'un.

Le bras d'Emma fut tiré sur le côté, emportant avec lui le reste de son corps aussi mou qu'une poupée de chiffon. Les dents de la zombie se refermèrent sur le néant dans un claquement sec, mais l'infâme créature ne s'avoua pas vaincue pour autant et trouva bien vite une nouvelle proie moins glissante qu'Emma. Celle-ci était sur le point de vomir. Ou de s'évanouir. Elle ne savait pas trop dans quel ordre tout cela allait arriver. Sa tête bourdonnait de confusion et son ventre menaçait de se vider tant la peur serrait son estomac. Elle ne s'était pas sentie aussi mal depuis le jour où elle avait dû animer une soirée karaoké au travail. À cet instant, elle aurait tout donné pour se retrouver avec un micro entre les mains plutôt que dans cette librairie envahie de morts-vivants répugnants.

Elle comprit plus ou moins qu'un homme, grand ! nota-t-elle, la tenait serrée contre lui, et qu'ils se frayaient difficilement un chemin dans cette atmosphère de fin du monde. Il la traînait plus qu'elle ne marchait, son corps ayant décidé de ne plus répondre à l'appel. Le choc l'avait transformée en marshmallow. Les gens se jetaient les uns contre les autres, certains vivants, les autres... plus tellement. Tout le monde criait et grognait. On s'enfonçait les coudes dans le visage pour gagner un peu de distance avec la horde de créatures sorties tout droit d'un roman. On n'hésitait pas à pousser le voisin pour le jeter en pâture pour sauver sa peau. Emma regardait le spectacle avec un détachement qui frisait la folie.

– C'est impossible, c'est impossible, murmurait-elle en boucle, hagarde.

Et pourtant. L'hémoglobine, les entrailles, les cris, tout ceci était réel. Elle se prit les pieds dans un bras abandonné là, à moitié dévoré, et l'homme qui la tenait écarta d'un coup de pied une mâchoire un peu trop avide. Une gerbe de sang tâcha sa robe alors qu'une tête était arrachée, puis roulait devant eux d'une manière presque comique. Quelque chose attrapa la manche d'Emma. Elle hurla en ramenant violemment son bras contre elle et entendit le tissu se déchirer, puis elle fut à nouveau libre. Pour combien de temps ? Elle allait mourir. Elle allait finir dévorée par une horde de zombies. Pourquoi elle ? Pourquoi eux ?

– Vite, par là !

Elle n'avait guère le choix de toute façon. On l'entraînait de force dans le fond de la librairie sans qu'elle n'y oppose de vraie résistance. Qu'est-ce qu'elle pouvait faire d'autre ? Oh si, elle avait bien envie de s'asseoir par terre et de ne plus bouger. Elle voulait fermer les yeux très fort, et se réveiller dans son lit. C'était un cauchemar, se répétait-elle. Un affreux et horrible cauchemar.

Une femme, habillée avec l'uniforme de la librairie, faisait des grands signes. Emma comprit qu'ils se dirigeaient vers elle. Ses cheveux étaient tout ébouriffés mais ses vêtements étaient propres. Elle avait dû se trouver bien loin du centre de l'attaque, et elle avait eu le temps de trouver un moyen de s'échapper de cet enfer. Emma ne vit pas combien de personnes les suivaient, mais une porte se referma au moment où elle la franchit avec son sauveur. Lorsqu'il la lâcha, elle fut prise d'un frisson, comme si son ancre venait de se détacher d'elle.

– Est-ce que tout le monde va bien ? demanda la libraire.

Les cris d'horreur s'étaient tus, étouffés par la porte blindée de l'issue de secours. Emma tomba plus qu'elle ne s'assit dans l'escalier de métal. Ses jambes ne la portaient plus.

– C'était une blague, n'est-ce pas ? Pour la sortie de votre livre ? demanda une autre femme.

Elle parlait anglais avait un accent français très prononcé, rendant sa question presque incompréhensible. Une blague pour la sortie d'un livre ? Emma n'était pas certaine d'avoir bien compris. Et pourquoi parlait-elle cette langue ?

– J'aimerais bien vous dire que oui, mais je ne crois pas que ce soit le cas.

Cette fois, l'accent était parfait. Américain, jugea Emma. Comment arrivait-elle à faire la différence dans un moment pareil ? Son visage coincé sur ses genoux, elle se balançait d'avant en arrière, frigorifiée. Elle se fichait bien de l'endroit où ils se trouvaient. Peut-être que les zombies allaient défoncer la porte et tous les dévorer. Peut-être qu'ils allaient arriver par le bas des escaliers. Est-ce qu'ils couraient vite ? Est-ce que ça avait de l'importance ? Ils allaient tous y passer, c'était obligé.

– Qui connaît un moyen de sortir d'ici en sécurité ?

« En sécurité » ? Mais qui était-il donc, cet homme ? N'avait-il pas vu ce qu'il se passait, dans la librairie ? Qui pouvait être en sécurité à présent ? Emma se mit à ricaner. Silencieusement d'abord, seules ses épaules frémissant de son hilarité. Puis elle explosa. Son fou rire nerveux surprit tout le monde, et quand les larmes se mirent à couler au milieu des sanglots, quelqu'un vint la prendre par le bras.

– Courage.

Elle releva finalement les yeux vers celui qui lui parlait, et lança un juron en bon français de chez nous. L'autre inclina la tête sur le côté, surpris. Évidemment, il ne parlait pas la langue, se dit Emma en s'essuyant le nez. Venait-elle de se moucher devant lui ? pensa-t-elle avec horreur. Elle tenta un sourire, avant de s'effondrer à nouveau dans ses genoux. Elle ne savait plus réellement si l'apocalypse ne se jouait pas d'elle.

Car dans son malheur, Emma avait survécu au premier assaut des zombies en compagnie de son auteur préféré.

A la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant