Maîtres et serviteurs

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Poirot s'essuya délicatement les moustaches. Ce repas avait été succulent. Miss Blackstone revenait en odeur de sainteté.

- Amelia, tout va bien ? s'enquit Raoding devant le visage fermé de sa nièce.

- Je pense à cette pauvre Anny. Pourquoi tuer une gamine ? soupira-t-elle, jouant de sa fourchette dans son assiette qu'elle avait à peine touchée.

- C'est ce que la police déterminera... Qu'en pensez-vous, Poirot ?

- En effet, la police va... tenter de faire la lumière sur cet affreux meurtre.

- Vous ne semblez pas accorder grand crédit à l'intendant ? remarqua le lord.

- Poirot a peine à croire que ce Jasper soit réellement doué pour mener une enquête... quelle qu'elle soit. En même temps, il ne doit pas y avoir nombreux homicides dans ce comté. Le West Riding est moins dangereux que Londres, vous aviez raison sur ce point... Des vols de poules, quelques tapages nocturnes, de fréquents états d'ébriété devant le pub le samedi soir...

- Et bien, Herc... Monsieur Poirot... corrigea Amelia devant le regard réprobateur de son oncle.

- ...Quelle vision avez-vous des ruraux ? poursuivit-elle.

- Oh... Pardon. Je ne voulais offenser personne. se reprit-il.

- Je plaisantais. A votre instar, je pense que ce n'est pas très "habituel" à Helmsley.

- En effet, je crois que le dernier homicide remonte à une petite dizaine d'années. Une vieille femme assassinée par sa famille. Une sombre histoire d'héritage... intervint Raoding.

- Le dernier homicide révélé du moins. ajouta le détective.

- Révélé ? répéta la jeune femme.

- Et bien, Poirot est persuadé que de nombreux meurtres ne sont jamais élucidés car pour cela il eut fallu que l'on soupçonnât qu'il y ait eu meurtre.

- Parce que les meurtriers sont souvent très doués. remarqua Raoding.

- Ou simplement parce que Poirot ne peut pas être partout ! sourit fièrement le petit moustachu.

***

La soirée était douce. Miss Blackstone ramassa les cafés.

- Et bien, que voulez-vous que nous fassions ? demanda Amelia en tapant légèrement de ses paumes sur ses cuisses.

- Que nous fassions ? sursauta Poirot.

- Vous êtes fatigué peut-être ?

- Et bien, non, à vrai dire.

Pour Poirot, la question n'était pas réellement de savoir s'il était fatigué ou non mais plutôt de savoir s'il voulait que la soirée se termine ou non. Si elle se terminait, il se séparait d'Amelia. Donc il n'était pas fatigué.

- Pour ma part, ce sera sans moi. La journée fut longue et éprouvante. Vous m'excuserez. sourit Raoding qui se leva.

- Bonne nuit, mon oncle.

- Bonne nuit, mon ami.

La porte se referma sur le lord laissant Amelia et Poirot en tête à tête.

- Alors, que voulez-vous que nous fassions ?

- Tout ce qui vous plaira.

Amelia se retint de répondre. Elle aurait tant aimé le taquiner, le titiller. Mais nous n'étions pas en Amérique. Poirot n'était pas un jeune dandy. Et nous n'étions pas en terrain neutre... Nous étions dans l'Angleterre puritaine. Poirot était un homme mûr, respectable et respecté. Nous étions chez Lord Raoding.

Poirot : Une Pause À Helmsley (1ère Partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant