Savez-vous planter des choux...

92 9 5
                                    

Kankan - Guinée - 25 août 1898

Il faisait effroyablement chaud. Mary ne s'y habituait pas. Pourtant cela faisait maintenant trois ans qu'elle était installée dans cette ville guinéenne conquise par l'armée française depuis 1891. Elle avait suivi son époux, le capitaine Jean Perrier.

C'était l'époque de la grande marche française sur l'Afrique de l'Ouest. Après la conquête de Bafoulabé, Kita, Bamako et la création du Soudan français. Puis Niagassola et Siguiri... La colonisation allait grand pas même si l'empire Wassoulou donnait du fil à retordre à Félix Faure et à sa politique à la frontière ivoirienne.

Leur petite Amelia semblait être bien moins importunée par les caprices climatiques de la région que sa maman. On était tellement loin de l'humidité du West Riding...

Tout alla très vite. Les sirènes brisèrent le silence. Un jeune garde frappa à la porte. Ils étaient attaqués. Jean avait envoyé le soldat pour exiger de Mary qu'elle file avec Amelia. Mais Mary avait juré à Jean. Pour le meilleur et pour le pire. Elle ne quitterait pas Kankan sans lui.

- Emmenez-la ! ordonna-t-elle dans un français mâtiné d'un petit accent anglais.

- Mais je ne peux pas, madame. Je dois retourner auprès du capitaine.

- Ecoutez... Soldat ?

- Hutchard.

- Soldat Hutchard, avez-vous des enfants ? demanda-t-elle, le fixant de ses yeux marrons.

- Négatif, madame. répondit-il, se redressant comme s'il parlait à un supérieur hiérarchique.

- Rompez, soldat... dit-elle en plaisantant.

Il dodelina, gêné.

- ... Soldat, elle est au capitaine et à moi notre bien le plus précieux... Je ne quitterai pas mon époux. Emmenez-la !

- Mais ce serait une désertion ! grimaça-t-il.

Mary lisait dans le regard de Hutchard autant de crainte que d'indignation.

- Je vous en supplie...

On entendait les salves de mitraillettes à quelques pâtés de maisons. Elle lui tendit un linge dans lequel une petite poupée sommeillait. Amelia était dans les bras de Morphée. Et le chaos ne l'ébranlait pas le moins du monde.

Machinalement il ouvrit les bras et avant qu'il ne s'en rende compte il la tenait contre lui.

- Venez avec nous, Madame. Les sofas sont nombreux et lourdement armés... Vous n'aurez pas la moindre chance...

- J'en ai tout autant que mon époux et cela est déjà bien juste.

Son visage était grave et déterminé. Elle se rendit rapidement à la commode de l'entrée, ouvrit le premier tiroir et en sortit un revolver avant de revenir sur le seuil.

- Allez... Filez... Je t'aime tant, ma chérie... murmura-t-elle en caressant une dernière fois la petite joue rose de sa fille.

***

Le bolide avalait les kilomètres. Poirot devait admettre que cette voiture était rapide et d'une étonnante stabilité.

Raoding avait fait preuve de maturité et avait recapoter. Ce qui permettait au détective de conserver son feutre en poil de daim bien enfoncé sur son crâne dégarni.

Ils approchaient et, de loin, ils devinaient déjà les vieilles ruines. Le site était immense. Une abbaye, un cloître, un réfectoire, une infirmerie.... dont ne subsistaient alors que quelques pans de murs et des colonnes.

Poirot : Une Pause À Helmsley (1ère Partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant