L'enveloppe bleue

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Amelia avait attrapé son bagage à main et avait filé. Elle ne devait pas louper le car. C'était le dernier... et même le seul de la journée qui allait à Scarborough.

Oh, elle n'avait pas l'intention d'aller jusqu'à la station balnéaire dont l'eau était reconnue pour traiter la mélancolie hypocondriaque.

Elle s'y était déjà rendu une fois avant le départ pour ses études, non pas pour se faire soigner de quelque pathologie psychique mais tout simplement pour assister à une séance de dédicace de Edith Sitwell. L'écrivaine, originaire de la ville, publiait à l'époque une anthologie de poésie. On était alors loin des manuels scientifiques et des planches anatomiques qui ensuite étaient devenus les livres de chevet de la jeune femme.

Elle avait même profité de cette petite escapade au bord de la côte pour se recueillir humblement sur la dernière demeure de Anne Brontë, originaire du pays et poétesse elle-aussi.

Elle n'aimait pas spécialement la mer. Elle préférait largement la campagne.

Elle soupira au souvenir de ce temps d'insouciance mais se ressaisit en remarquant que le car était déjà là.

***

Elle avait eu le nez fin en se dépêchant. Elle voulait choisir sa place dans l'autobus. Et il y avait déjà quelques personnes qui y grimpaient.

Elle ne voulait pas être au fond. Pas d'issue directe. Elle en frissonnait. Elle ne se débarrasserait donc jamais de cette étrange claustrophobie.

Elle ne voulait pas plus être à l'entrée. A chaque arrêt, les portes s'ouvriraient et laisseraient pénétrer le vent frais.

Au milieu, ce serait bien... Si on lui laissait une petite place... Elle activa le pas et se glissa dans la file d'attente.

Elle avait l'intention de faire une surprise à son oncle. Il n'était pas prévu qu'elle rentre si tôt.

Elle avait fini son cycle en juin dernier et était restée sur Durham car au final elle s'y plaisait bien.

Elle était hébergée depuis plus de trois ans chez Jeffrey Beitling, homme d'affaires qui s'était construit seul à coups d'audace et d'intuition. Cela avait payé et il était devenu un des hommes les plus riches de la côte Est. C'était également un très bon ami de son oncle, qui naturellement avait proposé d'accueillir Amelia durant sa période universitaire.

Elle avait donc quitté son petit village de campagne anglaise pour une grosse bourgade américaine qui avait connu un essor phénoménal avec l'industrie du tabac et récemment l'énergie hydroélectrique.

Mais depuis quelques semaines, les relations entre Amelia et Jeffrey étaient compliquées. Que lui était-il passé par la tête pour agir ainsi cette nuit-là ? Elle était empêtrée... Et il fallait qu'elle parle à son oncle au plus vite. Elle savait que Jeffrey lui avait adressé un courrier. Elle savait ce que cette missive contenait. Elle savait ce que son oncle en conclurait.

Quant à elle, même si elle ne savait pas ce qu'elle voulait, elle savait ce qu'elle ne voulait pas. Et elle ne céderait pas sur ce dernier point.

Prise de remords en attendant de monter dans le bus, elle avait abordé un jeune homme qui passait à côté d'elle. Un marchand de journaux, avait-elle déduit au paquet de quotidiens qu'il se trimballait sous le bras. Elle lui avait remis un petit bout de papier et quelques shillings pour qu'il aille le remettre à un élégant et fier petit monsieur qui descendrait de la voiture 3.

***

La voiture filait à travers le West Riding. Poirot ne connaissait pas la vitesse maximale autorisée sur ce tronçon mais il ne faisait aucun doute pour lui que Lord Raoding avait le pied lourd sur l'accélérateur.

Poirot : Une Pause À Helmsley (1ère Partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant