Au bord de l'étang

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Poirot inspira profondément et sourit. Il conservait les yeux fermés. Quelque chose lui chatouillait les narines et alors qu'il était encore à moitié alangui, il avait en tête le visage d'Amelia. Elle était assise, penchée sur lui, le taquinant d'une plume de paon.

Mais un affreux miaulement le sortit de sa torpeur. Il ouvrit grand les yeux et constata que Stravoguine se frottait à sa moustache.

Il se redressa et poussa un grand cri qui fit fuir le chat. Le félidé sauta du lit et se faufila par l'entrebâillement de la porte non sans jeter un dernier regard étrange au détective qui en déglutit.

Il n'appréciait vraiment pas ces sournoises petite bêtes. Et pourquoi cette porte n'était-elle plus fermée ?

Il écarquilla les yeux et toucha nerveusement ses moustaches. Il se leva et se rendit rapidement devant le miroir fixé au-dessus de la commode. Il soupira constatant que ses précieux phanères n'avaient subi aucune altération. Machinalement il les lissa et les redressa. Il aimait porter sa moustache en croc.

Il alla consulter sa montre déposée sur le chevet. Sept heures. Il n'était plus question de se recoucher. Il se dirigea donc vers la salle de bain pour se préparer pour cette nouvelle journée.

Il se rappela Amelia. Elle lui avait proposé de visiter le parc. Il accéléra. Il était pressé de descendre, de prendre le petit déjeuner et d'affronter le froid matinal.

Il tendit l'oreille. Il lui semblait entendre chanter. Et oui, c'était bien cela. Quelqu'un chantait dans une pièce voisine.

Quand le soleil descend à l'horizon,
A Saïgon...
Les Elégantes s'apprêt'nt et s'en vont
De leurs maisons...
A petits pas, à petits cris,
Au milieu des jardins fleuris,
Où volent les oiseaux jolis
Au paradis...
Tendrement enlacés,
Se grisant de baisers,
Les amants deux par deux,
Cherchent les coins ombreux.

Nuits de Chines,
Nuits câlines,
Nuits d'amour !
Nuits d'ivresses,
De tendresses,
Où l'on croit rêver jusqu'au lever du jour.
Nuits de Chine,
Nuits câlines,
Nuits d'amour !

Sur la Rivière entendez-vous ces chants
Doux et charmants ?
Bateaux de fleurs ou les coupl's en dansant
Font des serments !
Pays de Rêve ou l'Étranger
Cherchant l'oubli de son passé,
Dans un sourire a retrouvé
La joie d'aimer...
Éperdu, le danseur
Croit au songe menteur,
Pour un soir de bonheur
On y laisse son cœur...

Nuits de Chines,
Nuits câlines,
Nuits d'amour !
Nuits d'ivresses,
De tendresses,
Où l'on croit rêver jusqu'au lever du jour.
Nuits de Chine,
Nuits câlines,
Nuits d'amour !

Mousmée jolie dont mon cœur est épris
Je veux l'oubli...
Puisque de toi mon amour infini
Reste incompris...
L'opium endort les malheureux
Et les emporte jusqu'aux cieux
Dans un nuage merveilleux
De fumée bleue...
Dans le soir qui s'enfuit,
Loin des chants, loin du bruit,
Sur la natte, endormi,
Le Beau Rêve a repris...

Nuits de Chines,
Nuits câlines,
Nuits d'amour !
Nuits d'ivresses,
De tendresses,
Où l'on croit rêver jusqu'au lever du jour.
Nuits de Chine,
Nuits câlines,
Nuits d'amour ! *

Le français était parfait. Il ne faisait aucun doute que cette voix qui sonnait juste était celle de la nièce de Lord Raoding.

***

Poirot : Une Pause À Helmsley (1ère Partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant