20) Crying room

2.7K 118 11
                                    

Jake est fait pour le monde du cinéma et de la cascade comme je suis certainement née de la puissance des mots. Sa prestation me reste en tête et me rend un peu jalouse de la force de caractère dont il a usé pour insister et aller au bout de ses rêves, alors que je suis encore au stade du doute. Mais ce dimanche est jour de libération. J'ai honteusement repris le billet de Caleb pour l'événement auquel nous devions nous rendre, en lui promettant une excuse digne de ce nom afin que nous nous y rendions, en meilleurs amis et sexfriends que nous sommes. Et si j'en crois le visage ahuri de Jake sur le parking, les émotions seront au rendez-vous aujourd'hui.

— Mais on est où, Lili ? C'est quoi cette file d'attente interminable ? Elles vont où ces filles avec des valises ?

Il nous faut effectuer quelques pas supplémentaires afin que l'affiche lui saute aux yeux.

— Un salon du livre ? Tu as osé m'emmener là-dedans ?

Nos réactions divergent. Je ne suis qu'excitation alors qu'il respire l'inquiétude. Cette rencontre entre auteurs et lecteurs ne pouvait m'échapper puisque j'avais prévu de rencontrer un maximum de grands noms, ainsi que les éditeurs, afin de lister les titres que j'aurai en boutique. C'est un risque démesuré de prendre Jake à mes côtés puisque mon départ est un sujet tabou. Or, après la journée incroyable en sensations fortes que nous avons passé, hier, je voulais qu'il entre dans mon monde pour découvrir ce qui me fait vibrer. Le résultat, pour l'instant, est assez inquiétant, pour ne pas dire décevant.

Munie d'un simple petit sac puisque ma finalité diffère des autres participants, je l'entraîne dans la file et prends sur moi au cours des minutes suivantes. J'avais oublié à quel point mon meilleur ami pouvait être le champion du monde des râleurs. Les individus qui coupent les files sous prétexte de retrouver des amis, les têtes en l'air qui n'avancent pas et les éclats de rire bruyants poussent au maximum de ses retranchements celui qui s'apprête à entrer en guerre.

— Est-ce que tu peux te détendre un minimum ?
— C'est trop dur de respecter un certain ordre pour qu'on avance plus vite ?
— On est à un salon. Tout le monde est là pour profiter, se faire plaisir. On n'est pas à la boucherie avec notre ticket.
— Pourtant, je peux te dire que la sensation est la même. Plus vite ce sera fait, plus tôt on sera rentrés.

Je dois avouer que le fait qu'il pense déjà au retour me serre le coeur, pourtant, j'espère encore observer un changement d'attitude chez lui après plusieurs rencontres auprès de passionnés. Mais rien ne se passe comme prévu dans ma tête. La discussion avec le premier éditeur, une fois à l'intérieur, lui fait prendre conscience de mes objectifs et de la réalité d'un départ.

— Je vous envoie notre catalogue dès que vous entamez les dernières finalités pour votre café-librairie. C'est un projet tellement original qui risque fort de plaire aux lecteurs et lectrices d'Orlando.
— Ou de Palm Beach, la coupe Jake. Il y en a beaucoup dans notre petite ville. N'est-ce pas ?

Ce que mon ami ignore est que les passionnés sont prêts à effectuer des dizaines de kilomètres pour rencontrer les artistes qui les ont touchés avec de simples mots. Très peu sont originaires de Palm Beach. Cette ville côtière attire de jeunes fortunés ou des addictes au milieu marin. Les livres ne servent qu'à décorer une pièce ou à rendre une photographie d'instagram plus attractive. Pour pouvoir vivre confortablement de ma passion, sans craindre chaque fin de mois, je devrai m'installer dans une ville plus conséquente comme Miami ou Orlando, ce qui implique un départ.

Plus les rencontres avec les professionnels se multiplient et plus mon ami prend en assurance en s'imposant dans la discussion. Celui-ci pousse même le culot à demander leur avis sur la fiabilité d'une librairie en ces temps où les livres sont piratés et le marché du e-book très développé. J'en viens à imaginer l'abandonner au milieu des lectrices subjuguées par sa beauté et sa carrure, alors qu'il est l'un des cinq hommes présents dans le complexe.
Une mise au point s'impose tandis que nous revenons vers le véhicule, dans une ambiance distincte.

Toxic Love : We're just friends !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant