43. Les flammes d'avant le jour

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C'est dans ce noir pourtant complet que je parviens finalement à distinguer, tout autour de moi, les visages de mes ancêtres. 

Cela ne dure qu'un instant.

Je ne peux pas les rejoindre. Je suis tirée en arrière par une force que je connais sans la reconnaître, et qui me répète qu'il faut finir ce que l'on a commencé. 

De toute façon, je ne peux pas mourir comme ça, pas maintenant !

Alors je lutte, m'accrochant à ma détermination, à ce qui me reste de force. Je ne sais pas si c'est au bout de quelques secondes, ou d'une éternité, mais je parviens enfin à rouvrir les yeux. À me relever.

Il fait encore nuit, même si l'aube ne doit plus être très loin. L'écharpe de soie a disparu, tout comme mon renard de jade blanc ou la tenue que nous avions préparée pour Koshayaran.

Koshayaran... même s'il ne veut plus entendre parler de moi, il faut que je lui dise ce que le Jireshaxin a tenté de faire ! Je veux m'élancer hors de la pièce, mais je suis si affaiblie que je peine déjà à me relever.

- Kosha...yaran...

Il est hors de question que je me laisse abattre. Hors de question que je n'utilise pas le peu que j'ai encore d'énergie pour le trouver. Au prix d'un lourd effort, je me retrouve enfin debout.

J'ai mal à la gorge, elle a été si comprimée que j'ai à présent du mal à parler. Ma voix est devenue faible et rauque. Malgré tout, je me traîne en l'appelant, moins parce qu'il peut m'entendre que parce que c'est ce qui me motive à avancer.

Hélas, il n'est plus à sa fenêtre. Il est sûrement en train de dormir... je ne peux pas me rendre dans ses quartiers comme ça ! Encore moins seule ! Et si je croisais son frère ? Il faut que je réveille ceux parmi les miens qui savent combattre, ainsi que des domestiques.

Tout est si calme, si silencieux. 

À croire que, pendant tout ce temps, personne ne s'est inquiété de ma disparition. Comment cela se fait-il qu'Okalgaï ne soit pas revenue me chercher ? Je ne croise toujours personne quand j'ouvre enfin la petite salle de réception qui donne sur nos appartements. 

Sur la table basse traînent encore une théière et des tasses. Ils ont dû recevoir tard dans la nuit, si bien que personne n'a débarrassé. Je passe devant sans m'en préoccuper pour aller faire coulisser les panneaux de bois, au décor peint, qui donnent sur les chambres. 

Elles ont chacune leurs portes grandes ouvertes, si bien que leur enfilade ne forme plus à présent qu'un immense couloir.

Je les découvre tous là. Les apprentis, les domestiques, les combattants... tous les émissaires de mon royaume. Étendus sur le dos, le ventre, ou le côté, en travers des matelas ou en plein milieu du plancher, les doigts parfois encore agrippés à leur draps.

Immobiles, ils ne dorment pas.

Homme, femmes, enfants.

Ils sont tous là. Cadavres d'un blanc terrifiant, éclaboussé seulement par les gouttes d'un sang qui colle encore à leur chevelure.

Et par dessus tout, le silence. 

Mon cri d'horreur n'est qu'un souffle éraillé lorsque je tombe à genoux, les doigts sur mes lèvres. Je sais que je pleure, bien que je ne sente aucune larme couler. 

Qui a fait ça ? Pourquoi ?!

Surpris dans leur sommeil, impuissants, innocents... Est-ce que c'est à cause de moi ? Quand bien même : pourquoi ?

Soudain, j'entends comme un râle. Puis un autre ! Ils ne sont pas tous morts ! Péniblement, je parviens à me remettre debout. Lentement, du mieux que je peux, je me force à avancer.

Le Harfang et le LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant