Le Harfang et le Loup

1. La lune est en larme (T.1 - La Reine aux Perles)

* Ne paniquez pas, ce n'est pas une faute dès le titre : la lune n'est pas "en larmes" ( = en train de sangloter) mais "en larme" ( = en forme de larme) :) *

Évidemment, partout autour de moi, ça chante, ça danse et ça rit.

Mais je n'ai pas le cœur à me joindre aux autres et m'amuser. J'aimerais, sincèrement, mais je n'y arrive pas. Cette fête a un goût amer, et pas seulement parce que celui pour qui elle est donnée ne s'est même pas donné la peine de venir. Je ne suis pas surprise :  difficile d'attendre autre chose de la part de l'empereur d'un territoire qui nous méprise !

D'un geste agacé, je remets en arrière une de ces fichues mèches de cheveux décorée de perles qui s'obstine à venir tomber pile sur mon nez dès que j'ai le malheur de tourner la tête. Vivement que je puisse défaire ma coiffure de fête et que tout cette mascarade se termine enfin !

Ramenant mes genoux vers moi, je frissonne malgré la proximité du feu et l'épaisseur de ma veste. Je sais bien que je devrais rejoindre les autres, au lieu d'être assise là, à ruminer dans mon coin. Ce n'est d'ailleurs qu'une question de minutes avant que quelqu'un ne débarque pour me dire d'arrêter de tirer la tronche. Peut-être Firuk, qui se mêle toujours de ce qui ne le regarde pas. Ou bien Adeyam. C'est bien leur genre de me lancer des « Taïmi, c'est quoi cette tête ?» « T'as encore vu un fantôme ? » « Va donc t'amuser ! » « Mais souris au moins ! »« Allez ! Un p'tit effort ! »

Je n'ai rien contre. Non, honnêtement ! Enfin, je veux dire : je n'ai rien contre le fait de sourire ou de m'amuser. En revanche, j'ai tout contre ceux qui veulent décider de mon humeur à ma place. Et ce soir, j'ai un mauvais pressentiment. Bien trop mauvais pour que j'aille me mêler aux réjouissances.

Je finis par soupirer une énième fois avant de lever les yeux sur l'immensité du ciel. Se perdre dans les étoiles, c'est un bon moyen pour oublier ses petits soucis sans importance. En général. Mais hélas pour moi, pas cette nuit. Car cette nuit, la lune est en larme. Si certains croient déceler un sourire dans un croissant de lune, notre peuple préfère l'interpréter comme une larme coulant le long d'une joue. Nous, pessimistes ? Non. Juste un peu trop habitués aux duretés de la vie pour imaginer que l'astre puisse sourire aussi souvent.

Je ramène finalement mon regard sur toutes ces silhouettes insouciantes, qui se trémoussent et fêtent les promesses d'une ère soi-disant nouvelle, quand je remarque que Chilinn a changé d'attitude.

Il y a un instant, elle souriait timidement à un jeune soldat de l'empire. Il lui contait fleurette, caressant sa joue avec une rose des neiges. À présent, elle semble mal à l'aise. Et lui, il est soudain beaucoup moins tendre.

Il lui crie je ne sais quoi dessus, elle essaye de le calmer. Légèrement à l'écart, personne ne semble faire attention à eux. Il s'énerve de plus belle, resserre ses doigts sur les poignets de Chilinn, elle détourne la tête, l'air de chercher une échappatoire.

Je ne sais pas exactement ce qui se passe. Mais vu d'ici, ça ne sent pas bon... Le pas décidé, je me dirige vers eux, essayant de me montrer pleine d'assurance pour compenser mon physique peu intimidant.

Ça a le mérite d'inciter le soldat à lâcher prise quand il m'entend arriver. Malheureusement, ça ne dure que le temps qu'il remarque que je ne suis guère plus haute qu'une jeune adolescente. Un rictus se dessine alors sur ses lèvres. Je les ignore, lui et sa grimace, pour marcher vers la fille cadette de Tarlek et demander :

- Tout va bien, Chilinn ?

Elle n'a pas le temps de me répondre que le soldat me crache dessus avec hargne :