Chapitre 3

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Lorsque j'ouvre les yeux le lendemain matin, quelque chose a changé.

La lumière. Le vert-de-gris ambiant, du genre jour nuageux en forêt, est illuminé d'une nuance plus claire. M'apercevant que le brouillard n'opacifie pas ma fenêtre, je saute du lit pour aller voir... et pousse un gémissement horrifié. Une fine couche de neige recouvre la cour, saupoudre le toit de ma voiture, blanchit la rue. La pluie de la veille a gelé, solidifiant les aiguilles des arbres en sculptures fantastiques et somptueuses et transformant l'allée en patinoire. J'engloutis un bol de céréales et quelques gorgées de jus d'orange, tout en discutant avec Leslie.

J'ai hâte de filer au lycée, ce qui m'effraye. Je suis pressée de me rendre à l'école à

cause d'Edward Cullen. Et c'est très, très bête. J'aurais dû l'éviter complètement, après mes embarrassants bavardages de la veille. L'hostilité qui émane parfois de lui

continue à me terrifier, et la seule idée de son admirable visage, à me paralyser. En aucun cas, donc, je n'aurais dû être fébrile à la perspective de le revoir. Il me faut faire appel à toutes mes capacités de concentration pour réchapper de l'allée verglacée. J'ai presque perdu l'équilibre en atteignant ma voiture et avec ma princesse dans les bras, mais j'ai réussi à m'accrocher au rétroviseur juste à temps. La journée va être cauchemardesque, aucun doute là-dessus.

Sur le trajet du lycée, j'oublie mes soucis en repensant à Mike et Éric et à la façon manifestement différente dont les garçons, ici, se comportent à mon égard. Je suis pourtant certaine d'avoir la même tête qu'à Beacon Hills. Peut-être est-ce que mes camarades masculins, là-bas, m'ont vue traverser lentement toutes les phases difficiles de l'adolescence et ne s'ont pas donné la peine de dépasser ce stade. Peut-être est-ce que je représente une nouveauté dans une ville où celles-ci ont rares. Quoi qu'il en soit, l'attitude de chiot de Mike et l'apparente jalousie d'Éric ont déconcertantes. Je ne suis pas sûre de ne pas leur préférer ma transparence coutumière. Je conduis avec une lenteur d'escargot, peu désireuse de semer le désordre et la destruction sur ma route. Ma voiture semble cependant ne pas avoir de difficultés avec la glace noire qui couvre l'asphalte. Lorsque j'en descends, sur le parking du lycée, je découvre pourquoi. Un éclat argenté ayant attiré mon attention, je me rends à l'arrière du véhicule, en m'agrippant prudemment au plateau, afin d'y examiner les pneus. Ils sont ceints de fines lignes métalliques entrecroisées en losanges.

Je me tiens derrière ma voiture en essayant de maîtriser la brusque vague d'émotion qui s'est emparée de moi quand j'entends un drôle de bruit. Plusieurs choses arrivent en même temps. Et pas au ralenti, comme dans les films. Au contraire, l'adrénaline parait dégourdir mon cerveau, et je réussis à saisir en bloc une série d'événements

simultanés.

Quatre voitures de moi, Edward Cullen a les traits tordus par une grimace horrifiée. Son visage se détache sur une mer d'autres visages, tous figés dans un masque d'angoisse identique. De plus immédiate importance cependant, m'apparait le fourgon bleu nuit qui glisse, roues bloquées et freins hurlant, en tournoyant follement à travers le parking verglacé. Il fonce droit sur ma voiture, et je suis en plein sur sa trajectoire. Je n'ai même pas le temps de fermer les yeux. Juste avant que ne me parvienne le crissement de tôles froissées du véhicule fou s'enroulant autour du plateau de ma voiture, quelque chose me frappe. Fort. Sauf que le coup ne surgit pas de là où je l'attends. Ma tête heurte le bitume gelé, une masse solide et froide me cloue au sol. Je me rends compte que je gis sur le sol, derrière la voiture marron près de laquelle je me suis garée. Je n'ai pas le loisir d'engranger d'autres détails, car le fourgon se rapproche : après avoir rebondi bruyamment sur l'arrière de la voiture, il continue sa course désordonnée et s'apprête à me rentrer dedans une deuxième fois. Un juron étouffé m'apprend que je ne suis pas seule. Impossible de ne pas reconnaître cette voix. Deux longues mains blanches jaillissent devant moi pour me protéger, et le fourgon s'arrête en hoquetant à quelques centimètres de ma figure, les grandes paumes s'enfonçant par un heureux hasard dans une indentation profonde qui marque le flanc du véhicule. Puis les mains bougent, si vite qu'elles en deviennent floues. L'une d'elles attrape soudain le dessous du fourgon, et quelque chose me tire en arrière, écartant mes jambes comme celles d'une poupée jusqu'à ce qu'elles viennent frapper les pneus de la voiture marron. Dans un grondement métallique qui me déchire les tympans et une averse de verre brisé, le fourgon retombe à l'endroit exact où, un instant plus tôt, se sont trouvées mes jambes. Un silence absolu règne pendant une seconde interminable, puis les hurlements commencent. Dans le charivari, j'entends plusieurs personnes crier mon nom. Mais plus clairement que ces braillements, je perçois, toute proche, la voix basse et affolée d'Edward Cullen.

Heaven [TW&Twilight]Where stories live. Discover now