chapitre 4

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Depuis que nous avons quitté la maison, je réfléchis à un moyen de me venger. Malgré nos dix ans d'amitiés, malgré l’amour que l’on peut avoir l’une pour l’autre, on adore se pourrir. Nous n’allons jamais trop loin, jamais là où nous ne serions même pas capable d’aller nous-même, mais on dépasse nos limites, on s’impose une frontière à franchir. Sans nos défis, il y a bon nombre de choses que je n’aurais jamais faites comme, embrasser sur la bouche Théo en sixième, ou bien demander à Jimmy de sortir avec moi. Mais si tous ces défis ont l’air cool, il y en a certains qui m’ont mise un peu dans la mouise. Par exemple quand Sabrina m’a demandé de voler du maquillage dans un magasin et que nous avons été surpris par le vigile. Par esprit de vengeance, je l’ai forcé à écrire des obsénités sur le tableau de notre prof de maths ce qui lui a valut plusieurs heures de colles. Heureusmeent, notre amitié ne tourne pas uniquement autour de ça et lorsque nous ne sommes pa occupés à nous lancer des défis, on tente d’en savoir encore et toujours plus l’une sur l’autre.  La seule obligation : être là l’une pour l’autre quoi qu’il arrive. Ne jamais nous juger, et s’aimer d’un amour inconditionnel. 
Bras dessus, bras dessous, nous descendons les marches qui mènent au métro parisien. Emprunter la voiture dans Paris, c’est carrément mission impossible. Les bouchons, le stationnement, les vignettes contre la pollution. Tout est fait pour emprunter les transports et même s’ils sont pratiques je ne me sens jamais trop rassurée quand la nuit est tombée. J’avise de loin la file qui se forme devant les tourniquets et une idée se profile dans mon esprit. D’un geste sec, je tends le bras et barre le passage à mon amie. Elle me dévisage, hausse un sourcil en signe d’incompréhension et regarde mon petit doigt remonter vers elle.
— Action : fraude !
— Hein?
— Tu fraudes ! Débrouille-toi pour prendre le métro sans payer.
— C’est ça ton action? rigole-t-elle. Tu viens de me faire un cadeau ! Finger in the nose, mime-t-elle. 
Je la regarde faire. Elle s’avance vers les tourniquets, poitrine fièrement sortie, dos droit et s’approche d’un homme.  Alors que j’extrais de ma poche un ticket, j’emprunte le tourniquet libre près d’elle, j’écoute avec attention ce qu’elle va dire au mec. La quarantaine, cheveux poivre et sel. Il est plutôt pas mal pour un quadra ! 
— Excusez-moi Monsieur, ça vous dérange si je me colle à vous pour passer. J’ai oublié mon pass Navigo à la maison et si je ne suis pas rentrée à l’heure, je risquerais d’avoir de gros problèmes.
Elle minaude, se colle au mec tellement près qu’ils pourraient probablement s’emboîter l’un à l’autre. Punaise, elle n’est pas possible cette fille et pourtant je rigole. Le mec a les yeux scotchés sur sa poitrine et agit sans réfléchir. Le badge en main, il le pose sur le cercle rond violet et Sabrina se colle tellement près que le tourniquet tourne en un seul passage avec eux deux à l’intérieur. 
— Merci Monsieur, bonne soirée ! 
Elle rigole, balance des hanches en revenant vers moi alors que le mec a encore l’air sous le choc de cet assaut. Morte de rire, je lève la main alors qu’elle tape dedans.
— Bordel qu’est-ce que tu m’as manquée ! lui dis-je.
Nous n’avons pas besoin de beaucoup patienter qu’un métro s’arrête devant nous. On arrive dans la rame et nous installons sur des strapontins libres. Les stations défilent et nous rattrapons aussitôt le temps perdu.
— Bon alors Oly, tu t’es pas envoyée en l’air depuis les dernières vacances ?
— Je t’ai déjà dit que c’était fini les mecs pendant les cours. 
— J’ai donc bien fait de te ramener ces fringues, ce n’est pas avec le contenu de ton armoire que t’aurais pu te dégoter un mec ! Faut que tu t’envoies en l’air dès ce soir.
—Tranquille hein, je viens juste d’arriver et je suis là pour deux mois. En plus, mes fringues de bonnes-sœurs comme tu dis, je suis certaine que ça aurait pu en faire triper plus d’un. 
— Ah non mais alors je t’arrête tout de suite, Sister Act reste une comédie et on est loin d’avoir des chanteuses de cabaret dans les couvents.
— Bordel tu es infernal, lui dis-je en levant les yeux aux ciels. Bon et sinon maintenant que je suis enfin là, tu veux bien me dire ton terrible secret, celui dont il est impossible de parler par téléphone.
— Ah bah c’est pas trop tôt ! J’ai bien crû que tu n’allais jamais me le demander.
Elle a l’air peinée et je réalise que j’aurais peut-être dû être un peu plus à l’écoute de Sabrina. Je tente de me couper le plus possible des sources de distraction durant les cours, mais je ne peux résister à appeler ma meilleure amie pour savoir comment se passe sa vie. A la différence de moi, Sabrina croque la vie à pleine dent. Pour elle, la vie est une véritable fête quand on ne la connaît pas aussi bien que moi. Je sais qu’en réalité tout ça n’est qu’une façade pour ne pas affronter tous les problèmes que la vie a mis sur son chemin. 
— Désolée Nana… J’étais en pleins partiels, j’avais peur de me foirer, je t’assure que ça m’intéresse ton histoire.
Tout d’un coup aussi surexcitée que si elle venait de mettre ses doigts dans une prise électrique elle se redresse prête à tout me raconter.
— J’ai enfin pris mon envol le mois dernier et je suis à présent en colocation.
J’arrondie les yeux, la fixe… Est-ce qu’elle vient bien de dire ce que je pense avoir entendu ?
— Tu es parti de chez tes parents ? C’est une blague ? Pourquoi tu ne me l’as pas dit ! Je serais rentré plus tôt.
— Non ! Comme tu le dis si bien, tes études sont importants et j’en ai conscience, ça n’avait pas d’importance.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi tu es parti ? Punaise nana, t’aurais dû me le dire…
Je m’en veux tellement… J’aurais aimé être présente pour ma meilleure amie. Je le savais que ça ne se passait plus très bien entre eux ces derniers mois mais je pensais qu’il s’agissait uniquement d’une crise passagère. Faut dire que la pauvre n’est pas tombée sur une famille d’accueil aimante. Du moins, d’après ce qu’elle peut me dire et c’est compliqué car elle déteste en parler, tout s’est dégradé à l’instant où “sa mère” est tombée enceinte. A cet instant, le bébé métisse accueilli n’avait plus de sens et surtout plus aucune importance à leurs yeux… Rien que d’imaginer qu’on puisse renier son propre enfant, qu’il soit de son sang ou non, me dégoûte.
— Bon du coup je te raconte, j’étais au Charly’s justement pour une soirée étudiante. C’était la folie, l’alcool coulait à flot, j’ai rencontré ce mec…
—  Ne me dis pas que tu te tapes un mec de ta coloc ! 
— Mais non ! Je me le tape pas.
— Ah tu me rassure, soufflé-je.
— Mais il m’a sauté rapidos dans les toilettes, juste avant de me présenter à ses potes.
— Punaise Sab, à force de coucher avec le premier venu tu vas finir par attraper une saloperie.
— Mais non, je me protège ! s’énerve-t-elle. 
— Bon et du coup comme t’étais un bon coup il t’a proposé de venir vivre avec eux ? Nana, c’est foiré comment plan ! Enfin je veux dire, toi, trois mecs, tu penses que c’est une bonne idée surtout en sachant que tu t’envoi en l’air avec l’un d’eux ?
—  Tu comprends rien, me dit-elle blasée.
— Alors explique-moi, m’impatienté-je.
— Bon alors j’ai rencontré ce mec à la soirée, on était tous les deux bourrés et une chose en entraînant une autre on s’est envoyé en l’air rapidos, fin de l’histoire entre lui et moi.
— OK… Et ?
— Ensuite, il avait l’air super sympa donc on a décidé de prendre un verre histoire de faire connaissance.
— Ah parce que tu fais connaissance après t’être envoyé en l’air toi, la sermoné-je.
— Putain Oly tu veux la connaître mon histoire ou bien ?
— Ok, ok, abdiqué-je en levant les deux mains en l’air.
— Donc je disais on a bu un verre et c’est à ce moment-là que les deux autres colocs se sont pointés. J’ai découvert au fil de la conversation que la soirée organisée était pour leur ancienne coloc qui rentrait vivre chez ses parents dans les Alpes et qu’ils étaient du coup à la recherche d’un nouveau membre, féminin de préférence.
— Oh bordel… Ne me dis pas que toi… dis-je en mimant un rond avec une main mon doigt rentrant dedans avec l’autre.
Des images d’une orgie générale, Sabrina devenant le jouet sexuel de ses trois hommes s’immiscent dans mon esprit. Pourvu qu’elle n’ai pas fait cette connerie là...
Face à ma mine choquée, elle s’explose de rire et secoue la tête.
— Non mais t’as cru que je vivais dans un club libertin ou bien ? D’ailleurs, afin de respecter au mieux les autres, personne s’envoi en l’air dans l’appart.
— Tu veux dire entre vous ou même avec l’extérieur.
— Arrête de les prendre pour des obsédés sexuels ! s’agace-t-elle.
— Ouais, enfin… Tu as quand même rencontré l’un des mecs au détour d’une chevauchée sauvage dans les chiottes !
— Bordel Oly c’est que tu deviendrais presque romantique ! 
Je n’ai pas le temps de la questionner davantage que nous arrivons à destination. Arrêt Franklin Roosevelt. Une musique d’ambiance est diffusée dans les hauts parleurs et ma folle d’amie s’amuse à tournoyer sur le quai. Elle a l’air heureuse. Heureuse, insouciante et pourtant je suis bien l’une des rares personnes à savoir que sous ce sourire se cache une véritable fêlure. Un coeur brisé, piétiné et bousillé. Du coup, nous vivons sur le même crédo. S’amuser, baiser, et boire. Du moins pour ma part, uniquement durant les vacances. 

Action ou vérité ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant