Chapitre 4

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Je ne m’attardai pas dans la cafeteria et fonçai en direction de la sortie. J’étais bouillante de rage quand j’arrivai dans la salle des répétitions. Tout le monde n’était pas encore présent. Je n’arrivais à me concentrer, à bien jouer mon texte, je béguellais, j’avais des trous alors que je connaissais mon rôle sur bout des doigts. Je sortie alors un moment pour m’allumer une cigarette et reprendre ma concentration. Le vent glacé me giflait le visage, le temps me faisait penser à celui qu’il y avait en Irlande. Un brin de nostalgie vint habiter mon esprit quelques instants ; je caressai mon ventre tout plat et vide en repensant à cette petite vie qui m’avait habité sans que je le sache forcément : cette petite vie, je l’aimais.

            Quand je rentrai dans la salle, il y’avait la troupe de Joseph. Il vint se mettre à côté de moi avec Stéphanie. Je lui adressai un sourire gênée –non pas gênée par les événements d’hier mais plutôt par sa manière de toujours me chercher. Julien était lui aussi bien présent, il ne me regardait pas, ne m’accordais aucune attention, je pouvais mourir de douleur. Lui qui m’avait  tant de fois murmuré des « Je t’aime », lui qui m’avait dit que j’étais sa vie ne me regardait pas et faisait comme si je n’existais pas. Je le haïssais, maudissait.

            Durant les répétitions, il ne monta pas sur scène contrairement à moi. Il restait tapissé dans un coin de la salle à observer ce qui était dans son champ de vision et ne s’intéressait pas à moi. Par dignité et snobisme je mis tout ce que j’avais dans le ventre et jouai alors parfaitement mon rôle de Célimène : les répliques étaient fluides avec la ponctuation qui était respectée à merveille, mes gestes propres et net, mes entrées et mes sorties parfaitement planifiés. Notre metteur en scène à qui j’avais fait piquer une crise tout à l’heure n’en revenait pas. Je faisais la Célimène à la fois touchante et indifférente, la mystérieuse, l’incompréhensible, la raisonnée, l’insatisfaite, la sournoise ; en réalité je me jouais moi. Je descendis alors de la scène pour laisser place aux autres acteurs Mathieu et Stéphanie qui étaient respectivement dans le rôle de Philinte et Eliante. J’avais perdu ma place et je dû m’assoir à trois siège de Julien qui était indifférent, impassible, discutant avec un de ses ami, un autre Julien et Joseph. Il ne me regarda pas. Je voulais pleurer de désespoir, de rage. J’aurais pris tout ce qui aurait pu être à ma portée et je lui aurais brisé la nuque. Je voulais le faire souffrir comme moi je souffrais. Des larmes chaudes, brûlantes comme la lave des volcans coulaient sur mes joues accompagnées d’aucun bruit mis à part ceux de la scène. Je restais alors sur mon siège, les genoux que je serrais contre moi en train de me détruire et de pleurer.

            La vie me montra une de ses seules preuves d’affection en mon égard. Le soir même, le 27 novembre. De la neige recouvrait alors Liège et ses alentours. Le chauffage de ma chambre ne fonctionnait plus et je n’avais aucune solution ; même avec dix pulls sur moi, et sous les draps, je transissais de froid. Je descendis alors dans le petit salon réservé aux comédiens car c’était le seul endroit qui était chauffé. A l’heure qu’il était, tout le monde dormais et je ne dérangerais alors et personne et ne se serais dérangée par personne réciproquement. Je m’assis sur le canapé en velours rouge tout poussiéreux avec une grosse tasse remplit de café dans la main. Je me repliai sur moi-même et me mis à penser à la vie et à ses questions essentielles : est-ce que Dieu existe ? Est-ce qu’il y a quelque chose après la mort ? Je me lançai alors dans des réflexions et des cheminements logiques que moi seule pouvais comprendre. Je bu une tasse de café fumant et consultai l’heure sur mon téléphone : vingt-deux heures cinquante-quatre. Tout le monde dormait et j’étais alors tranquille : j’étais de nouveau seule. De toute manière la vie m’a conçue pour être seule : personne ne s’intéressais jamais à moi et je ne m’intéressais par conséquent jamais à personne : de la légitime défense. Parfois j’avais envie de pleurer car j’en avais marre de partager toute ma vie avec moi-même mais je me réconfortais en me disant que cela m’évitait bon nombre de problèmes et d’inconvénients.

Intrusøs (Tome 2)Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon