Le « bizarre »

Chapitre 11

— Ça s'est mal passé, c'est ça ?

— Hein, quoi ? Mais non ! Ça s'est très bien passé, tout va bien, vraiment.

C'était sûr. C'était clair comme de l'eau de roche maintenant. La Chinoise esquivait la conversation car elle avait quelque chose à se reprocher. Il n'y avait point d'autres hypothèses. Lucas soupira lourdement : il allait encore se fâcher, ils allaient encore se disputer. Pourquoi Naeul semblait-elle ne jamais comprendre la leçon... ?

— Putain Naeul... Qu'est-ce que tu as encore fait ?

— Quoi ? Mais je n'ai rien fait là ! Laisse-moi tranquille !

— C'est bizarre, parce que je ne te crois pas.

— Et alors ? C'est ton problème. Moi je dis la vérité, donc que tu me croies ou pas, je m'en fous.

Le Hongkongais toisa son amie de haut en bas, la mâchoire serrée.

— Faudra qu'on discute toi et moi.

— Mais je n'ai rien à te dire !

— Eh bien moi si. J'ai même beaucoup de choses à te dire.

— Mais de quoi je me mêle ? Retourne à ta place et laisse-moi tranquille !

Sous le coup d'une pulsion, le plus vieux empoigna l'épaule de sa cadette et la tourna vers lui, afin qu'ils fussent face-à-face. Ce geste surprit légèrement cette dernière, elle claqua néanmoins sa langue contre son palais, manifestant explicitement son agacement. Agacement qui s'accentua lorsque Lucas rouvrit la bouche :

— Ecoute. C'est simple : je ne te laisse pas le choix. Tu peux fuir autant que tu veux, ça ne servira à rien. Tu ne partiras pas d'ici sans moi, est-ce que c'est clair ?

— Et Lia ? rétorqua Naeul, un sourire carnassier aux lèvres.

— Ne t'en fais pas pour elle, je la préviendrai.

L'étudiante pouffa, moqueuse.

— N'empêche, repartir sans elle et la laisser seule pour si peu... Ce n'est pas très galant ça...

Lucas voyait très clair dans le jeu de la plus jeune, mais malheureusement pour elle, jouer la carte de la culpabilisation ne fonctionnait pas le moins du monde avec lui. Cependant, il devait pour l'instant en rester là : partir d'ici sans tenir Lia au courant serait effectivement impoli. Alors il se résigna, reprit son calme, puis s'apprêta à tourner le dos à son amie, non sans lui lancer un dernier regard mauvais.

— Je te préviens, tu ne vas pas t'en sortir comme ça.

Naeul serra les poings : elle était cuite. Elle n'avait vraiment pas prévu d'avoir cette discussion avec son camarade aujourd'hui. Elle allait se faire remonter les bretelles, encore et toujours. Toujours le même refrain, toujours les mêmes sujets de querelle, toujours les mêmes choses reprochées... La Chinoise ne serait pas entrée dans ce foutu troquet si elle avait su la tournure que prendrait la soirée. Elle était fatiguée, fatiguée de tout cela. Si elle pouvait s'isoler de tous, là, tout de suite, maintenant, elle le ferait volontiers.

Lucas gardait un œil sur Naeul, bien déterminé à ne pas la laisser filer en douce. Il ne la quittait pas des yeux, mais ce qu'il voyait là lui portait un coup au cœur : son amie venait d'ingérer une grosse gorgée d'alcool dont il ignorait la nature, elle devait réellement se sentir bien seule et désemparée. Le jeune homme regagna sa chaise, et aussitôt assis, Lia remarqua tout de suite le changement d'humeur de son vis-à-vis : il paraissait préoccupé, quelque chose le chiffonnait, cela se lisait sur son visage.

— Qu'est-ce qui se passe ? Ça ne va pas ?

— Non... Il va falloir que je lui parle... J'en ai marre, elle fait connerie sur connerie.