Chapitre 14 - Allers et retours

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« Tu parlais d’improvisation tantôt, poursuivit Quentin. Ce n’est pas toujours comme ça, j’espère? »

« C’est une première, en tout cas pour moi. Les premières visions ont toujours lieu quelques jours avant. On en sait toujours assez sur ce qui se trame ou ce qui risque d’arriver selon les circonstances pour éviter de jouer les comédiens amateurs autour d’une patinoire en carton-pâte. Je ne sais pas quel est le but du jeu mais je le trouve assez malsain. Ça joue sur mes nerfs autant que les tiens. Ce qu’on sait, c’est qu’il y a une bombe et qu’il reste moins de trois heures avant que tout ça nous pète dans le visage. »

« On fait quoi maintenant? On attend ma prochaine vision? Ma prochaine crise existentielle? Je ne pense pas survivre à ça, je dois te l’avouer. Ça me vide complètement. »

« Laisse-moi réfléchir, un peu, dit Alphonse avant d’ouvrir la portière de l’auto.

Il sortit et alluma une cigarette, le dos tourné à la maison et la Cadillac qui ne bougeait pas, anonyme malgré elle. Le quartier était étrangement calme. On eut dit que les résidents s’étaient tous terrés derrière leurs rideaux pour attendre que les protagonistes de cette guerre ne se manifestent en marchant dans la rue comme des cowboys, le doigt sur la gâchette. Cinq minutes plus tard, Alphonse revint s’asseoir et tapota le volant devant lui. Quentin ferma les yeux, cherchant à se laisser aller, à forcer une autre vision mais rien ne vint. Il allait proposer à son ami d’appeler Matheus lorsqu’ils virent une Mustang blanche tourner le coin de la rue, sur les chapeaux de roues dans un concert de grondements de moteur et de crissements de pneus. Ils se regardèrent, inquiets.

Puis, l’automobile freina brusquement devant le 18356. Le dénommé Kev en sortit, visiblement sous l’effet de l’alcool, et se mit à crier :

« Desjardins, si tu ne sors pas tout de suite de ta cabane, je te jure, j’appelle mes gars et je te passe. Il ne restera pas grand-chose de ta petite personne quand on va en avoir fini avec toi. »

Rien ne bougea. Seul le chuintement des voitures qui circulaient au bout de la rue meubla cet instant.

« Quelqu’un va appeler la police, c’est certain, murmura Quentin à l’oreille d’Alphonse. On est peut-être mieux de s’en aller. »

« On ne peut pas. Il faut attendre. Personne ne bougera tant que ça ne deviendra pas assez sérieux. Pour le moment, c’est comme un show de télé pour tout ce beau monde-là sur la rue. »

Desjardins ne se montrait toujours pas. Kev montra des signes d’impatience mais n’osa pas bouger lui non plus. Il remonta dans sa voiture et téléphona à quelqu’un avec son cellulaire. Il ressortit et demanda une dernière fois à Desjardins de sortir. Les événements se déroulèrent de façon assez spectaculaire par la suite.

Kev marcha vers la maison, les bras levés en répétant qu’il n’était pas armé et qu’il voulait voir sa fille. Alphonse et Quentin se regardèrent, hésitant à sortir à leur tour. Assurément, les acolytes de Kev allaient les apercevoir et tenter d’intervenir. Qui sait s’ils allaient les prendre pour des policiers ou des gens de la mafia, et commencer un massacre en pleine rue. Alphonse posa une main sur le bras de Quentin : « Ne surtout bouge pas. On ne devrait pas avoir à intervenir avant quatorze heures, d’après mes calculs. »

Mais Quentin eut beau se dire que tout allait bien se passer, la nervosité qui bouillonnait dans ses veines, celle qui faisait paniquer l’ancien Quentin, remontait lentement à la surface et risquait de faire déclencher une autre crise de panique. Il songeait de plus en plus à la fillette et se demandait s’il pourrait la sauver à temps. Il balaya du regard la rue et ses petites maisons où pouvait entrevoir un visage inquiet derrière un rideau qui se cachait immédiatement. Il vit une vieille dame qui remontait la rue, poussant devant elle un petit carrosse avec quelques sacs de plastique. Elle revenait de l’épicerie ou du dépanneur du coin, ignorant tout de la situation insoutenable qui se tramait dans son quartier. Il sourit en voyant que la femme tenait un téléphone cellulaire au bout de son autre bras, le fixant sans vraiment regarder devant elle. Lorsqu’elle passa à côté de leur voiture, il entendit la sonnerie du cellulaire. Peut-être ne savait-elle pas vraiment se servir de ce gadget ou bien qu’elle avait tout simplement oublié comment s’en servir. Quentin eut envie de lui dire de se dépêcher, de quitter ce quartier où tout risquait de sauter d’une minute à l’autre.

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Where stories live. Discover now