Chapitre 7 - L'évasion

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Quentin eut un mouvement de recul et s’immobilisa, ne pouvant quitter des yeux le corps inerte de Matheus qui avait glissé doucement sur le côté. Il observa la petite fontaine de sang diminuer alors que la flaque de sang augmentait sur le coussin de cuir. Il regarda en arrière de lui et vit qu’Horace s’était joint à cette veille funèbre sans qu’il ne l’entende s’approcher. Ce dernier ne broncha pas, ne posa aucune question, comme s’il s’était attendu à cette mortelle issue. On aurait dit qu’il attendait des instructions de la part de Quentin qui restait figé dans sa stupeur.

 « Il faut le toucher, entendit-il, comme un soupir.»

Il regarda à nouveau Horace et pointant du bout du menton le corps de son maître.

« Comment le toucher? Vous ne croyez pas vous aussi à toutes ces sottises? Cet homme était malade! »

Il se dirigea vers le comptoir du bar, prit un grand verre et le remplit de cognac. Il prit une longue gorgée tout en détaillant l’étiquette de la bouteille. C’était bien un cognac de 1811, à moins que ce ne fut là un autre subterfuge de l’excentrique millionnaire défunt.

Il extirpa le mobile de sa poche et au moment où il allait signaler le numéro, la vibration et la sonnerie faillirent le faire crier. L’afficheur indiquait « SPVM ». Il se laissa le temps de prendre une grande respiration puis répondit.

« Monsieur Quentin Bazinet? »

« C’est moi. Vous m’appelez pour ma femme? Je le sais. C’est moi qui l’ai tué. »

Il y eu un silence au bout de la ligne.

« Pardon? Je crois qu’il y a des choses qu’on doit discuter, monsieur Bazinet. Je suis le sergent-détective Normandin. Où vous trouvez-vous en ce moment? »

« Je l’ignore. Je suis pas loin d’Oka. Dans une maison. Un certain Matheus… »

Le majordome lui fit signe de cesser de parler en brandissant un doigt devant lui. Il tendit ensuite la main pour saisir l’appareil mais Quentin recula.

« J’ai été enlevé par une espèce de millionnaire qui vient de se tirer une balle dans la tête, juste devant moi. Et là, il y a son serviteur qui veut m’enlever mon cellulaire. »

« Monsieur Bazinet, est-ce que vous vous sentez bien? Vous me semblez sous le choc » fit le policier au bout du fil.

« Écoutez, on le serait à moins. Il se passe des trucs hallucinants ici mais je veux me livrer à la police parce que c’est moi qu’y ai tué ma femme avec un couteau de pêche. Je vais tout vous expliquer. »

Il y eut un autre silence et Quentin eut soudain l’impression qu’il n’y avait plus de signal.

« Allô? Allô! » fit-il avant de regarder le petit écran où l’icône de réception avait disparu. « Sacrament! Horace, c’est quoi cette folie? Tassez-vous et n’essayer pas de m’empêcher de partir d’ici. »

Il repoussa le majordome qui essayait toujours de lui enlever le cellulaire puis se dirigea vers le hall d’entrée, les dents serrés, les yeux brûlants et l’envie de fuir ce cauchemar le plus rapidement possible.

« Maître… » entendit-il derrière lui alors qu’il approcha à grande enjambée la grande porte de chêne laqué.

Avant même qu’il atteigne la poignée, il vit une ombre se profiler devant la fenêtre colorée. Puis la porte s’ouvrit laissant apparaître le complice de Matheus, le fameux témoin qu’il avait vu quelques heures plus tôt.

« Ah, Quentin, je n’arrive pas trop tard, j’espère? La cérémonie est terminée? dit l’homme en repoussant une mèche de cheveux gris de son front en sueur, malgré le froid mordant de la nuit. »

« Tassez-vous et laissez-moi partir. Je n’ai rien à faire ici » cria Quentin en repoussant l’homme du revers de la main.

Le majordome les avait rejoint et montra son découragement au nouveau venu qui essaye d’attraper Quentin par la manche.

« Mais, attends, Quentin! Tu ne peux pas partir comme ça. Il faut terminer la cérémonie. Qu’est-ce qui s’est passé? demanda ensuite l’homme au majordome. »

Entretemps, Quentin avait déjà attrapé le bord de la porte et s’engouffra dans l’air frais. Il les laissa derrière lui et dès qu’il put prendre une première respiration, il se sentit libre et se mit à courir. Devant lui, au-delà de l’entrée en demi-lune, il voyait l’allée bordée d’arbres aux habillages d’automne. Une légère brise soulevait des feuilles dorées. La pluie avait cessé laissant place au froid qui le fit frissonner.

Il courut entre les arbres pendant quelques secondes mais l’alcool et la fatigue eurent tôt fait de le vider de son énergie. Il avait beau être baigné de peur et de colère, son corps ne suivait pas. Il se retourna et vit que personne ne le poursuivait. Il se remit en marche, sans se presser. Il arriverait bien à l’intersection du chemin et de la route par laquelle ils étaient arrivés. De là, il arrêterait une voiture et demanderait qu’on s’éloigne de ce lieu infernal pour aller n’importe où. Il aurait le temps de s’expliquer auprès de la police et tout rentrerait dans l’ordre.

Il marcha pendant cinq minutes et ne vit toujours pas le bout du chemin. Il regarda derrière lui et il n’y avait toujours pas de poursuivant. C’était peut-être la preuve que ces gens vivaient dans un univers de folie et que son évasion était une libération pour eux également. Il soufflait encore, respirant avec peine et décida de ralentir encore le pas. Mais, il ne fit pas dix mètres qu’une crampe au thorax le plia en deux.

« Non, pas maintenant, mon Dieu, pensa-t-il. Ce n’est pas le temps d’être malade. Il faut que je quitte ce domaine. »

Mais la douleur le garda vautré sur lui-même et il tomba sur un genou, sentant la piqure du gravier sur la chaire. Il entendit un froissement dans le bois sur sa gauche. Il se rappela alors la forme bizarre qu’il savait vu en arrivant et en oubliant momentanément la douleur dans sa poitrine et dans ses jambes.

« Bon, il ne manquait plus que ça, songea-t-il en essayant de se convaincre que tout ceci n’était le fruit de son imagination. »

Il se releva malgré la brûlure qui lui déchirait les entrailles. Il regarda tout autour de lui mais ne voyait que des troncs d’arbres à moitié dénudés qui laissaient s’échapper des feuilles mortes dans une arabesque improvisée. Au-delà de la ceinture naturelle, de part et d’autre du chemin, c’était le murmure du vent. Aucune ombre ne vint briser le rythme de ce décor normal, celui d’un boisé en bordure d’un chemin rocailleux.

Il se redressa et prit une profonde inspiration. La douleur ne s’estompa pas. Elle s’amplifia lorsqu’il fit un pas en avant. Il tituba et chercha du regard un endroit pour s’asseoir.

« Pas longtemps, Quentin. Il faut que tu t’en ailles d’ici au plus maudit. Qui sait ce qui se cache dans le bois et les deux larbins vont certainement rappliquer en auto et m’empêcher de partir. »

Il vit un rocher au pied d’un chêne datant du siècle précédent et s’en approchant en gardant une main au niveau de son cœur qui semblait vouloir sortir de sa poitrine. Il s’y laissa choir dans un grognement que l’écho rattrapa, lui rappelant qu’il était dans un monde aussi vide que sa vie.

Il demeura là un moment, essayant de calmer tout ce qui bouillait en lui. Rien n’y fit.

« Ça ne se peut pas, maudit, il faut que je parte tout de suite. »

Les pensées de panique se succédaient sans fin. Il secoua la tête, comme s’il pouvait s’en détacher mais le sentiment d’oppression grandissait exponentiellement. Il se releva enfin et, tirant le maximum de ce qu’il lui restait d’énergie, fit un pas en avant. Une autre panique s’empara de lui. Il regarda à gauche puis à droite et se posa la question : « Pour où je vais, moi? Je ne me souviens pas. Espèce d’imbécile heureux! C’était par là? Non, par ici… »

Il fit un pas vers la gauche puis hésita, recula et fit un pas vers la droite. Étourdi, il posa une main sur son front et entendit le froissement derrière lui, venant d’entre les vénérables troncs qui avait maintenant des allures de barreaux de prison. Il tourna la tête vers la source de ce bruit et vit une énorme bouche qui l’enveloppa en une fraction de seconde. Il entendit un craquement sinistre, certain que les dents acérées de la bête venait de broyer sa chair et ses os. Il ferma les yeux, enfin libéré de la douleur.

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant