Chapitre 12 - Première mission

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Il crut d’abord que c’était à nouveau une vague de sentiments contradictoires qui s’emparait de lui. Il s’agrippa sur les bords de la baignoire et prit de profondes respirations. Ce n’était pas des élans de panique ou encore de la peur. Cette fois, il commença à voir en double, puis se superposèrent des images floues sur le mur blanc devant lui. Il vit un homme aux cheveux longs qui fouillait dans des boîtes de carton. Il crut distinguer une citerne d’huile derrière lui, une ampoule nue, brillante, qui se balançait près de sa tête. L’homme se pencha davantage dans les cartons et la vision s’effrita. Quentin se releva, inquiet de la suite des choses. Que lui fallait-il faire maintenant? Il fut tenté d’aller retrouver Matheus et lui demander ce que tout ça signifiait mais il préféra se replonger dans l’eau tiède. Il se frotta les yeux et se remit à respirer normalement.

Puis, une douleur le saisit. Un élancement qui partait du bas du ventre jusqu’au centre de sa tête, comme si quelqu’un y avait caché une corde de métal qu’on tendait avec force, irradiant tout son corps de douleurs atroces. Il se recroquevilla sur lui-même, ne pouvant s’empêcher de râler. Ce mal le quitta tout aussi rapidement qu’il était arrivé. Il fut alors plongé dans une catharsis qui le secoua de toute part. Il urina dans l’eau et se mit à pleurer en silence. Il s’extirpa de l’eau et retira le bouchon au fond de la baignoire, reprenant peu à peu le contrôle de son corps. Il se doucha, laissant l’eau chaude couler sur lui comme une bénédiction après ce balancier d’émotions et de douleurs. Il s’épongea et se précipita sous les couvertures, repliant tous ses membres dans la position du fœtus. Il lui fallut quelques secondes pour s’endormir profondément.

Il se retrouva vingt-cinq ans en arrière, dans un brouillard qui ne pouvait être que ses souvenirs d’enfance. Il pédalait joyeusement sur un sentier de terre à quelques kilomètres de chez lui. Devant ses guidons, il voyait la roue de la bicyclette de son meilleur ami, Denis Francoeur, un gars qui allait éventuellement tomber dans la drogue et se perdre dans un cercle vicieux mortel. Pour le moment, il pédalait joyeusement à travers les champs en compagnie de Quentin, insouciant de l’avenir, ni même du moment présent, car c’était comme ça, l’enfance, vivre sans être accroché à quoi que ce soit, sans penser à demain. Quentin voyait des sauterelles qui sautaient de part et d’autre du sentier. Il entendait le cri rauque des corneilles du haut des ormes et des chênes de ce coin de la ville encore vierge. Il se croyait grand explorateur, certain de faire une découverte sensationnelle d’un instant à l’autre. Des pensées furtives l’animaient : un squelette d’un soldat anglais, un coffre au trésor, une vieille voiture du début du vingtième siècle à la portière percée d’impacts de balles… Il sentait même l’odeur des blés sauvages suintant ce parfum typique des jours brûlants de juillet. La course entre les deux amis s’éternisait. Il lui semblait qu’ils repassaient toujours au même endroit, entendait les mêmes cris de joie, sentait les mêmes odeurs. Puis, ce fut comme s’il savait ce qui s’en venait. Il leva la tête et vit la cabane abandonnée au bout du sentier. Il savait ce qui s’en venait. Il voulut rebrousser chemin mais un regard derrière lui le fit pédaler encore plus vite : une nuée dense de sauterelles les poussaient vers cette sombre destination, comme le ferait une vague d’eau noire. Il pédala moins vite, sentant le choc des insectes affolés sur son dos. L’odeur de foin se muta en odeur de viande avariée. Bientôt, la porte de la cabane fut à portée de leur main. Quentin continuait de pédaler mais la bicyclette n’avançait plus. Il faisait du sur place. Denis était à côté de la sienne et rigolait. Il lui parlait mais Quentin ne pouvait entendre sa voix. Seuls les battements de pattes des locustes faisaient office d’applaudissements. Le ciel bleu vira au gris malgré l’Intense lumière du soleil qui les bombardait. Quentin sauta de sa bécane et essaya de retenir Denis par la manche mais ce dernier riait tellement que ce fut peine perdue d’avance de l’en dissuader. Quelque part au fond lui, Quentin était certain que cet événement qui s’était vraiment produit, allait changer leurs vies à eux deux à tout jamais. Denis ouvrit la porte alors que Quentin détournait les yeux. Mais, même si les yeux ne voyaient pas la scène d’horreur qui se déployait sous leur yeux, il la sentit entrer en lui, terrorisant son jeune esprit qui pourtant demeurait curieux. Denis tendait les bras vers l’intérieur, comme s’il invitait Quentin à y pénétrer.

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Where stories live. Discover now