Chapitre 2 - Le témoin

531 24 1
                                    

Le crachin qui tombait ne le dérangeait pas. La nuit s’épaississait et il n’avait ni chaud, ni froid. Seulement, une étrange sensation d’être dans un autre monde depuis le matin où ces aveux l’avaient détruit complètement. Il avait eu beau retourner la chose mille fois dans sa tête, rien ne faisait du sens et la seule et unique pensée qui l’habitait depuis ne pouvait être que la seul issue.

Il avait attendu une dizaine de jour, se rappelant ce que sa grand-mère Bazinet lui disait tout le temps : « Quentin, tu es toujours trop pressé. Il faut que tu apprennes à patienter un peu. Vous autres, les jeunes, vous avez été trop gâtés. Avec la télévision et vos ordinateurs, vous êtes en train d’oublier que l’attente, c’est ce qui règle tout. C’est la folie du consommateur : ça ne marche plus, on jette et on en achète un autre. Dans mon temps… » Et ça continuait comme ça jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de salive et se taise en mâchouillant ses gencives, l’observant de ses yeux mouillés. Il s’en ennuyait, de cette charmante vieille dame qui n’avait rien en commun avec imbécile de père qui avait toujours le goulot d’une bouteille de boisson près des lèvres quand ce n’était pas les lèvres d’une fille facile qui avait la moitié de son âge. La mort de mémé Baz avait creusé un énorme cratère, plus grand que Ground Zero, autant dans sa vie que dans sa tête.

Quentin frissonna. Ses pensées l’avaient détourné de son guet et les phares qui balayaient la rue St-Joseph sous la bruine timide l’aidèrent à revenir à sa principale raison d’être, celle d’en finir au plus tôt avec toute cette histoire. Il regrettait de ne pas avoir une cigarette sur lui pour se calmer et conserver sa concentration. Il savait que lorsqu’il aura accompli son crime, il n’aura qu’à attendre la police, tout avouer et se laisser conduire vers sa nouvelle vie. Il se demanda s’il pouvait exiger qu’on ne le filme pas, que ce crime reste un crime banal, sans tout le tapage médiatique que cela entrainait habituellement mais il savait très bien qu’avec tous les nouveaux médias et les gens qui sont littéralement branchés 24 heures sur 24 sur leur tablette ou leur ordinateur, il ne faudra qu’une seule annonce pour que son visage ne fasse le tour du monde et qu’on se mette à faire mille spéculations sur ses motifs, fouiller son passé, celui d’Élaine et il serait la grande vedette de l’heure pour au moins 24 heures. Il soupira.

Les gens désertaient la rue tranquillement, au fur à mesure que s’écoulaient les heures de cette soirée plutôt ennuyante. On avait d’autre chose à faire que de flâner sur une rue bordée d’édifices anonymes, aux fenêtres obscurcies, silencieuses pour la nuit. Les voitures passaient doucement, allant vers un autre destin que celui de Quentin et d’Élaine. Tout ce beau monde s’en foutait, du moins pour le moment. Il ajusta le revers de son pardessus et essaya de voir s’il y avait des ombres qui se profilaient devant le Centre de yoga Sol & Mio, indiquant que le cours tirait à sa fin. Mais rien ne bougeait.

Il regarda sa montre et grogna. Encore une dizaine de minutes. D’habitude, Élaine se permettait de jaser un peu avec ses copines de yoga, surtout Sonia, la petite brune à la poitrine plate comme une planche de pin. Son petit visage de rouquine au nez relevé avait des airs de fillette innocente alors qu’Élaine lui avait raconté que cette dernière avait deux amants dont son mari ignorait, bien entendu l’existence. Peut-être était-ce ce qui était en train de se produire. Son Élaine avait peut-être décidé de se lancer dans les aventures alors qu’il se morfondait maintenant à la maison à attendre qu’elle ne lui revienne en disant qu’elle s’était trompée et le supplierait de lui demander pardon, qu’elle était folle, qu’elle regrettait. Mais, ces derniers dix jours ont plutôt été remplis de regards distants, de reculs lorsqu’il essayait de l’approcher à l’intérieur d’un mètre. Elle avait fait des appels, devant lui, pour des appartements meublés, même pour un condo qu’une amie au travail voulait vendre. Ce fut les jours les plus lourds et les plus laids que Quentin avait vécu de toute sa vie.

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Where stories live. Discover now