- Tu ne pourrais pas en venir au fait plutôt ? je soupire.

- La Mort t'offre de rester dans ce jardin. De continuer à faire vivre la Nature. Ainsi, tu vivras ici en paix sans pourtant avoir besoin de mourir, préservant la nature des maux terribles qui lui surviennent chaque fois que tu meurs.

J'écarquille les yeux, stupéfaite. Depuis ma création qui remonte à bien plus longtemps que celles des dieux, jamais la Mort n'a fait une telle proposition. C'est inouï. Et c'est, je l'avoue, une proposition très alléchante. Vivre ici, en paix, pour l'éternité... Dans un lieu où le malheur n'arrive jamais. Pourtant, il y a un « pourtant ». Circé me jette un regard assez perturbant puis finit par lâcher :

- En tant qu'entité tu échappes à cette mort terrible qui attend toutes les destinés.

- Félicitation Yerine. Tu n'as pas laissé le destin décider de ta destinée.

La sirène semble s'amuser. Comme toujours. Je ne peux pas dire qu'elle m'avait manqué. Cependant son air redevient aussitôt sérieux et elle bombe le torse avant de ricaner :

- Bien évidemment, tu vas refuser.

Ses mots me surprennent. Je penche la tête sur le côté, la détaillant. Mais déjà, mon cœur s'emballe dans ma poitrine tandis que ma conscience ricane. Tu sais ce qui nous attend si nous refusons... Tu sais qui nous attend !

Je ferme un instant les yeux, inspirant à fond l'air de ce lieu idyllique. Derrière l'obscurité de mes paupières, je visualise un regard vert émeraude si profond qu'il transperce mon cœur, un sourire si touchant qu'il me fait fondre aussitôt. Je me rappelle des rires, des larmes et des baisers. Je me rappelle aussi d'une promesse.

Je pourrais en effet rester dans ce jardin où l'idéal est maître et d'où le malheur est banni. Mais il me manquerait quelque chose. Melusine a raison. Je vais refuser.

Je relève les paupières, déterminée. Je sais ce que je suis. Je sais qui je suis. Et je sais ce que je veux. Je relève le menton, toisant les deux destinés. Rien ne me fera changer d'avis, pas même tout ce qui pourrait arriver dans ce futur si incertain.

Il y a longtemps, j'ai fait le souhait de vivre. Maintenant, je vais le réaliser.

- C'est une gentille proposition. Mais en effet, je la refuse. Je préfère retourner sur Terre.

Circé soupire, comme si ma décision était d'une prévisibilité et d'une banalité certaine tandis que Melusine sourit, l'air victorieuse. Elle s'avance d'un pas dans ma direction, me surplombant. Jadis, elle m'impressionnait et je la jalousais. Mais plus maintenant. À présent, je suis Mère Nature. Je suis une entité, doublée d'une destinée. Peu de choses en ce monde pourraient réellement réussir à me faire fléchir. Son regard bleu plonge dans le mien tandis qu'elle murmure à voix basse.

- Il est temps de retrouver Orphée.

- Oui, il est temps. »

Sitôt que je prononce ces mots, un vent terrible se met à balayer la clairière autour de moi. Le jardin de la Mort semble secouer par la plus terrible des tempêtes. Bientôt, je suis obligée de plisser les yeux, le vent agitant mes cheveux, fouettant tout autour de moi. Les deux femmes ne deviennent plus que des silhouettes indistinctes tandis que les courants d'air glacées qui s'agglutinent autour de moi m'encerclent avec plus de fureur et d'ardeur encore. Je me penche en avant dans l'espoir de lutter contre la force des rafales.

L'une d'entre elle, d'une puissance inouïe se projette sur moi, me coupant le souffle.

Lorsque je le reprends, que ma poitrine se gonfle à nouveau sous l'effet de l'air qui s'engouffre dans mes poumons, j'ouvre les yeux vivement, de retour dans le monde réel. La première chose que je vois est le visage d'Orphée, penché au-dessus de moi, ses deux yeux verts me scrutant avec inquiétude. Alors qu'il constate mon éveil, une violente émotion se lit sur son expression.

Yerine (Mélusine HS.1)Where stories live. Discover now