Bâtard [Nekfeu]

Chapitre 4 (3)

Elias ne comprit pas l'attitude de son complice : ils avaient le privilège ultime d'avoir été démarchés par Panenka-Seine Zoo Records, c'est-à-dire le label de rap le plus en vue de la décennie, et Toky reculait pour se tourner vers un label plus petit. Pourtant, Panenka-Seine Zoo n'ouvrait pas ses portes à tout le monde !

« Mec, j'pige pas ! clama Elias. Qu'est-ce que tu vas te faire chier à aller t'enregistrer à Sodasound alors que t'as Fonky Flav' en personne qui nous a envoyé un mail pour nous faire rentrer à PSZ Records ! PSZ Records, mec ! PSZ, RECORDS !

— J't'ai dit : ils ont signé masse de gens. Ca me fait tiquer un peu, genre, ça fait industrie. Tu vois, peut-être que tout ce qui les intéresse, c'est de prendre nos titres et de nous presser comme des citrons.

— Mais non ! s'impatienta l'Algérien. Ils ont les moyens pour avoir beaucoup de gens, ça devrait te rassurer, plutôt !

— Moi, je me méfie, c'est tout.

— Ecoute, va falloir ranger ta méfiance, gars, parce que si on ne va pas à PSZ, là, je t'en voudrais.

— Vraiment, à ce point-là ? s'étonna Toky.

— Ouais, frère ! affirma Elias, décidé. C'est le genre d'occasions que t'as qu'une seule fois dans la vie. »

Après un instant de réflexion, Toky hocha de la tête.

« Tu devrais y aller alors. »

Elias resta abasourdi. Jamais Toky n'avait paru aussi distant avec lui.

« Waouh, vraiment ? fit-il, dans un état de choc.

— Oui, vraiment. Tu devrais y aller. »

Le sang de l'Algérien aux yeux verts ne fit qu'un tour devant l'air détaché du jeune homme à la peau cuivrée.

« T'es sérieux, Toky ?!

— Oui, j'suis sérieux, frère ! répondit Toky, un ton plus haut que son ami.

— Mais frère, quoi ? Non, mais t'as rien compris ou quoi ?! explosa Elias. En fait, toi, tu t'en fous, de tout le monde ! Y'a que toi et tes idées qui t'intéressent, en gros ! Encore pour Yanis et Kylian, OK, c'était ta daronne ! Mais là !... Putain, il s'agit juste de discuter, là ! De se faire connaître ! On parle même pas contrat encore et toi, tu fermes la porte, comme ça ! PSZ, putain ! Tu te rends compte de ce que c'est ?! C'est une chance inouïe et toi, tu fais ta re-sta, en mode besoin de personne, on se la joue old school à aller voir Don Dada ! Le mec, il cé-per déjà pas de ouf tout seul alors qu'il a une street cred' de malade, tu crois qu'il va nous aider à percer, nous ?! Non mais t'as rien compris ! C'est ton daron qui est à PSZ ou c'est quoi, putain ! »

Toky resta muet, le regard perdu dans le vide, son attitude prostrée contrastant avec l'énervement du jeune homme baraqué qui lui faisait face. Le stoïcisme du Malgache agaça encore plus Elias à qui l'envie de secouer son comparse démangeait fortement. Enfin, le premier ouvrit la bouche :

« Ouais, t'as raison, laisse tomber. »

Elias fronça un sourcil devant la courtesse de la réponse de Toky qui se leva de son vieux siège à roulettes et le replaça devant la minuscule table qui servait de bureau à l'Algérien.

« Ca me fait chier. J'ai envie d'arrêter.

— Quoi ?! »

Toky soupira et secoua la tête comme pour abandonner la conversation.

« Putain, Toky ! »

L'interpellé fit un geste vague de la main en guise d'au revoir et fuit hors de la chambre du rappeur aux yeux clairs, laissant ce dernier dans l'incompréhension la plus totale.