Chapitre 6 (3)

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« Ca va, Toky ? »

Toky sortit de sa torpeur. Sa mère, assise en face de lui, haussait un sourcil interrogateur. Conscient de s'être trahi, le jeune homme accoudé à la table de la cuisine, se redressa et se frotta l'arête du nez pour donner le change.

« Je suis fatigué, juste, répondit-il avec un léger secouement de tête.

— Vous travaillez dur au studio ?

— Oui, Alpha est un peu exigeant. »

Harena sourit avec compassion. Elle posa sa main sur celle de son fils et la frotta vigoureusement.

« Courage. Tu vas y arriver, mon chéri. »

Toky ne savait si elle croyait elle-même à ses paroles mais la voir le soutenir malgré tout l'attendrissait profondément.

« Mais il faut commencer par manger pour prendre des forces. Regarde, tu n'as même pas fini ton assiette et il y a encore tout ça à finir ! fit-elle en présentant le rice-cooker à demi-entamé.

— Je n'ai pas très faim...

— Tu as besoin de manger ! Ton cerveau a besoin de manger pour fonctionner correctement. »

Toky soupira. Sa rencontre avec Nekfeu occupait la totalité de ses pensées et lui avait volé son appétit.

« Je te sens préoccupé.

— T'inquiète, maman, c'est rien.

— Hum. »

Harena hocha la tête sans plus insister : elle ne tirerait rien de plus du mutisme de son fils. Elle prit alors des nouvelles d'Elias, des nouvelles chansons écrites et des éventuels concerts qui auraient lieu après la publication de leur CD.

Toky lui répondit avec tout l'entrain dont il était capable mais son esprit restait rivé sur une seule et même personne.

Il ne savait que penser du rappeur quasi-légendaire. D'un côté, il avait apprécié son approche joviale et sans prise de tête, de l'autre côté, cette même attitude l'avait fortement agacé. La conscience tranquille, cet homme dormait sur ses deux oreilles tandis que dans son sillage s'était trouvée une femme qui avait passé près de vingt ans, seule, à veiller sur le fils qu'il lui avait abandonné sans aucun remords. Le sourire franc, presque angélique, de Nekfeu — Toky ne pouvait se résoudre à l'appeler Ken comme il leur en avait prié, à Elias et lui — cachait bien des drames.

Et Aurore. Cette dinde avait tenu toutes ses promesses. Bavarde, superficielle, et pour couronner le tout, elle paraissait s'être entichée de lui. Rien que cette idée lui filait la nausée. « Beurk. » songea-t-il, dégoûté. Et Nekfeu avait voulu garder cette débile auprès de lui !

Il expédia le reste de son dîner au grand dam de sa mère qui, néanmoins, ne protesta plus. Il se réfugia dans sa chambre et s'allongea sur son lit. Bien malgré lui, une vague d'émotion le submergea d'une manière aussi brusque qu'inopinée.

Il avait vu son père, cet homme auquel il ressemblait de plus en plus, selon les dires de sa mère. Personne n'avait fait le rapprochement pour le moment, releva-t-il. Peut-être ne lui ressemblait-il pas autant que ça. Étonnamment, le jeune homme ne put s'empêcher de ressentir un petit sentiment de déception à cette pensée.

« De toute façon, qui voudrait ressembler à ça ? » murmura-t-il.

Sa fille non plus n'avait pas hérité des traits de son père, mais plutôt de ses mimiques. De ce fameux sourire angéliquement démoniaque auquel se rajoutait aussi un éclat de farouche fierté si... insupportable. Elle devait sûrement être pourrie gâtée jusqu'à la moelle par son papa chéri.

Bâtard [Nekfeu]Where stories live. Discover now