Chapitre 3 (2)

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La pause dura un mois. Un long mois durant lequel Toky s'était partagé entre son petit boulot d'employé dans une chaîne de fast-food, ses amis et son rap. Il le voyait bien : Kylian et Yanis n'étaient guère empressés de reprendre le rythme de création qu'ils s'étaient imposés à leurs débuts.

Seul Elias semblait comprendre qu'ils jouaient potentiellement leur vie. Il était le seul à émettre son avis sur les instrumentaux qu'il postait sur leur dossier de partage, le seul à le rejoindre quand il avait envie d'assister à une battle de rap, juste pour le plaisir.

Toky s'efforçait de ne pas bousculer ses amis, se retenait de parler musique ou de leur partager ses nouvelles trouvailles en matière d'écriture. Il s'interrogeait souvent : comment Nekfeu était-il parvenu à garder l'ensemble de ses amis dans le rap ? Lui n'avait pas été limité à deux ans pour réussir et n'avait pas eu à se presser, raisonnait-il. Non, il avait coupé le cordon, tout simplement, et s'était envolé. S'était libéré. Toky songeait alors à sa mère. Devrait-il, lui aussi, couper le cordon ?

La simple évocation de cette éventualité lui crevait le coeur. Sa mère s'était saignée aux quatre veines pour lui. Sur ce point, Nekfeu et lui ne se ressemblaient pas du tout : si sur le plan   familial, son père était un serial abandonneur, lui préfèrerait mourir trois fois plutôt que d'être ingrat et laisser sa mère en arrière. Et puis ça avait été plus simple pour Ken Samaras : celui-ci n'avait pas été le seul enfant de sa famille et sa mère n'était pas seule. Lui était fils unique et la vie de sa mère tournait autour de lui, il en était conscient. Alors ce pacte, il se devait de l'honorer. « Peut-être que dans mon cas, il aurait fait la même chose. » songea-t-il. Son père...

Il travaillait sans relâche depuis un an, ne pensant qu'au moment où il le croiserait, ou mieux : où il les contacterait. Mais aujourd'hui, c'était comme s'il n'avait jamais avancé. Comme s'il était toujours aussi lointain. Comme une étoile vers laquelle on marchait sans jamais l'approcher.

Une année comme celle-ci auparavant, il avait annoncé à sa mère qu'il voulait faire du rap. Maintenant, avec le léger recul qu'il avait, il se demandait s'il n'avait pas rêvé trop fort. Tous les jours, des rappeurs sortaient de leur trou à rats, mais pas eux. Des talents, il y en avait beaucoup...

Finalement, était-il le digne fils de Nekfeu ? Ou bien n'était-il vraiment qu'un bâtard de plus ? Un accident. Sa mère le haïrait sûrement de penser de la sorte, mais il ne pouvait se l'en empêcher. « Fils de pute, va ! ». C'est vrai que s'il se laissait aller de cette manière, ce serait effectivement la seule chose que les gens retiendraient de lui, et de sa mère.

« Ca va, Touc-touc' ? »

La voix grave d'Elias le tira de ses pensées moroses. Celui-ci le fixait d'un air soucieux.

« Oui. Je rêvassais.

— Non, quand tu rêvasses à une meuf, tu souris comme un con. »

Toky éclata de rire.

« Je suis pas obligé de rêvasser à une go !

— Non, sérieux, je sens que t'es pas bien. »

Le jeune garçon aux cheveux noirs dressés en pics sur sa tête reprit sa mine assombrie. Il lui semblait qu'une éternité s'était écoulée depuis la dernière fois qu'il s'était confié à quelqu'un. S'il n'avait pas de mal à partager ses histoires de coeur à ses amis, son père restait un tabou qu'il ne brisait qu'en de rares occasions avec sa mère. Pourtant, il peinait à communiquer avec elle, ces derniers mois.

Ils s'étaient beaucoup éloignés, par sa faute à lui. Il ne souhaitait en aucun cas la mêler à ses états d'âme. Se lancer dans le rap était un choix qu'il se devait d'assumer seul. Elle lui avait fait confiance et le laissait grandir à sa guise, ce n'était pas pour qu'il retournât dans ses jupons à chaque baisse de moral.

Bâtard [Nekfeu]Where stories live. Discover now