Bâtard [Nekfeu]

Chapitre 4

« Hé Nek' ! apostropha Antoine alors qu'il pénétrait dans l'enceinte du studio Blackbird où Ken discutait avec Hakim sur le canapé de la pièce de séjour. Je viens de trouver des mecs sur les réseaux, ils ont grave, grave la dalle !... Ah, salut, Hakim ! »

Ledit Hakim lui retourna son salut en hochant de la tête.

« Hey Tonio, fit Ken de sa voix rauque comme il s'était retourné. Pose-toi déjà.

— Ouais. »

Antoine déposa sa sacoche sur la table de bois qui longeait le mur perpendiculaire au canapé, et en sortit son ordinateur portable. Le quarantenaire blond aux yeux bleus s'affaissa ensuite aux côtés de son associé de toujours, Ken Samaras ou Nekfeu, artiste émérite élevé au statut de mythe du rap français.

« Ca va ? fit-il à Ken et Hakim qui lui répondirent positivement, ce qu'il considéra comme une invitation à poursuivre sans attendre : Franchement, on a des bons nouveaux dans le label, on est d'accord ?

— Ouais ? approuva Ken, dans l'expectative.

— Mais eux, clairement... ils sont au-dessus. »

Antoine avait déjà repéré le groupe Etyk Sale durant leurs battles de rap filmées et postées sur Youtube. Toutefois, il avait attendu un mûrissement de leur part qui ne s'était pas produit. En revanche, ExtraTerriens, composé de deux membres du quatuor, était en train d'envahir Internet et les ondes des radios qui promouvaient les artistes underground.

« Les gars n'ont pas signé en major, aux dernières nouvelles. » fit l'homme blond alors qu'il lançait une des vidéos postées par le groupe.

La musique était originale, avec une teinte un peu jazz proposée par un saxophone. Ken et Hakim secouaient la tête en rythme avec la batterie et suivaient le texte que déclamaient les deux gamins dans un clip au style simple mais efficace.

Hakim ne put retenir un sourire narquois en remarquant les yeux verts de l'un d'eux.

« Lui, j'suis sûr, il en soulève, des meufs. »

Ses deux amis éclatèrent de rire : ce ne serait pas étonnant, en effet. Un petit tour sur les commentaires leur suffit pour confirmer l'hypothèse émise par l'Algérien à la voix grave et sourde.

« Rha la la, ça rappelle des choses, ça, hein, Nek' ? se moqua Hakim.

— Niveau street cred', ça va être chaud pour eux. » émit Ken sans relever la pique malicieuse de son ami sur les groupies qui le poursuivaient toujours après toutes ces années dans le rap.

Il avait beau avoir l'âge de leur père, ça ne les empêchait pas d'accrocher leurs strings avec leur numéro sur la poignée de sa chambre d'hôtel, en tournée.

« L'air de rien, ça les aide à se faire connaître, releva Antoine. En tout cas, il faut garder un œil sur ces gosses. J'dis ça... j'dis rien. »

Antoine avait un flair infaillible concernant les nouvelles recrues. Chacun de ses conseils avisés s'était soldé sur un carton plein. Ken observa plus attentivement la dégaine des deux rappeurs. En effet, le jeune garçon aux yeux bleus accrochait le regard mais son acolyte, plus foncé de peau, possédait cet air déterminé et sûr de lui et cette énergie, si rare chez les jeunes artistes d'aujourd'hui. Si on rajoutait la qualité de ses rimes et la précision de sa diction...

« J'retiens. » se contenta-t-il néanmoins de dire.

Panenka-Seine Zoo Records était devenu, au fil du temps, un poids majeur de l'industrie française du disque. Pour lutter contre la concurrence presque déloyale de plus grandes maisons de l'époque qui avaient phagocyté la plupart des petits labels indépendants, Ken Samaras et Antoine Guéna avaient décidé de faire front commun et de réunir leurs deux entreprises en une seule. Ils avaient également proposé à Alpha Wann, un autre rappeur de leur ancien crew, de s'allier à eux, néanmoins, ce dernier avait préféré faire bande à part, comme à son habitude. Malgré sa grande amitié avec les deux hommes, Alpha Wann restait un loup solitaire, têtu et fidèle avant tout à lui-même.

Ces dernières années avaient été fructueuses pour Panenka-Seine Zoo Records. Antoine et Ken avaient déjà signé plusieurs jeunes au talent prometteur. Contrairement aux maisons de disques historiques, les rappeurs mettaient un point d'honneur à développer et à accompagner leurs poulains dans leur carrière, ce qui mobilisait des moyens assez conséquents. ExtraTerriens était loin d'être le seul groupe de rap qui perçait sur le Net et l'on ne pouvait accepter tout le monde. Bien que Ken dût reconnaître que leur potentiel était au-dessus de la moyenne.

Le légendaire regard noisette du rappeur tomba sur un commentaire.

« Le progrès de ouf' ! J'ai assisté à vos premières battles avec Etyk Sale, et même si je regrette un peu l'absence de Nissya et Kaos', en un an, vous avez level up le game de fou, les gars !! FORCE !! »

En un an ? s'étonna Ken. Curieux, le producteur tapa le nom de l'ancien groupe d'où ExtraTerriens était issu.

« Ouais, ils étaient quatre au départ, le renseigna Antoine.

— Ils se sont séparés ?

— J'sais pas vraiment. »

C'était toujours la même chose avec les groupes. On ne savait jamais vraiment qui était réellement présent, qui était réellement parti, si tel groupe était indépendant de tel groupe ou s'il était une extension... Enfin, bref ! Lui-même avait fait partie de plusieurs collectifs, il ne serait pas celui qui leur jetterait la pierre ! Juste que cela rendait difficile l'établissement de contrats si leur projet n'était que temporaire. C'était une des grandes raisons pour lesquelles ses amis et lui s'étaient lancés en indépendants très vite après leurs premiers pas : au moins ils n'avaient eu de compte à rendre à personne !

Hakim qui regardait également l'écran d'un œil attentif, ricana à une rime qui avait bidé. La grandeur des petits débuts ! Cela lui remémorait tellement de souvenirs ! Il prit la main sur l'ordinateur et cliqua sur la vidéo du cypher qui avait fait connaître ExtraTerriens au public de la scène urbaine.

« Franchement, finit-il par dire, j'pense pas que vous vous mettiez gravement en danger avec ces gamins-là, kho. Ils sont doués et ils ont faim. »

Ken se mordilla la lèvre, tout en songeant aux artistes qu'ils avaient déjà recrutés.

« Bon, on va réfléchir. »