VI.

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Adrienne était une femme ravissante, légèrement plus jeune que sa tortionnaire. Elle était célibataire, n'avait pas d'enfants mais apparemment beaucoup d'ennemis. Adrienne était à sa merci, à son bon vouloir, et Rose se délectait de tous ses privilèges.

Après avoir atteint l'état psychologique de sa victime, la jeune meurtrière était ensuite passée à la torture physique. Elle n'aurait su dire ce qu'elle préférait. Elle aimait tout autant la « torture propre », s'enquérir des frayeurs de ses proies, laisser s'insinuer la peur, l'effroi et la paranoïa dans leurs esprits, que sentir la douleur de ses chers condamnés sous ses doigts.

Elle s'était éprise du lubrique plaisir d'escompter Mlle Raphlet dans les endroits les plus inattendus et improbables. Ainsi surprise, Adrienne devenait l'affligée cobaye des instruments de Rose. Douloureuse fleur du mal, il lui plaisait d'utiliser un petit couteau Bowie, arme de combat à la forme particulière et à l'angle vif lorsque la brisure du dos et le tranchant se rejoignent. Elle aimait voir le sang rougeâtre couler et inonder le couteau, et les marques que la lame froide et tranchante laissait sur la peau d'Adrienne. Sa peau si douce, si belle, jolie peau de jeune femme. Rose était maîtresse du Bowie et à chaque ligne droite elle taillait, brisait, détruisait un peu plus cette femme. Elle était dominatrice, elle avait l'ascendant, et elle dégustait avec épicurisme cette phallocratie féminine.

Mais Rose ne la tuait pas. Pas tout de suite, pas ainsi. Elle adorait faire durer ce temps où elle pouvait savourer toute la souffrance de sa victime.

Elle avait décidé de faire passer la mort d'Adrienne Raphlet pour un suicide. Les traces de mutilation sur son corps et la phrase de Shakespeare au couteau sur la table en chêne joueraient en sa faveur, présupposant un état psychologique instable, paranoïaque et dépressif.

Adrienne avait été poussée par Rose du troisième étage de son domicile; la meurtrière avait veillé à ce qu'il n'y ait aucun œil curieux aux fenêtres d'en face qui aurait pu remarquer un événement inusité. Elle avait entendu le cri de sa victime, suivi du bruit lourd et glaçant du corps au violent contact avec le sol. Amatrice de ce son glauque et usufruit dont elle affectionnait tant la résonance.

Personne ne remonterait jamais jusqu'à Rose, et les incapables gendarmes s'arrêteraient à la version du suicide. Le tour était joué, elle n'avait plus qu'à aller récupérer la charmante somme qui l'attendait au point de rendez-vous que lui avait donné son associé.

Mais soudain le sang. Le sang revenait. Il coulait. Elle le sentait glisser le long de sa nuque, elle le voyait sur ses mains. Les passants, les inconnus en étaient recouverts. Ils s'approchaient. Ils l'encerclaient. Leurs visages étaient lacérés. Des lambeaux de peau pendaient de leurs joues. Certains tenaient leurs membres manquant dans leurs mains, pour ceux qui les avaient encore. Rose criait, riait, hurlait, pleurait, l'angoisse enflait mais l'admiration vainquait. La beauté des corps dans leurs drapés de chair annihilait toute l'épouvante de cette scène. Son souffle s'accélérait, elle sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. L'illusion, la réalité, quelle est bien maigre la distinction dans son esprit pour un tel paradoxe.

L'Horreur est humaineWhere stories live. Discover now