II.

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- Cette fois c'est un homme qui a découvert que sa femme le trompait avec une amie : Angèle Delizzi. Il demande à ce que l'assassinat de cette « Angèle » se déroule dans l'hôtel de M. Delizzi, son mari, histoire que cela puisse être déguisé en dispute de couple qui a mal tourné.

    C'était un bonhomme grand et fin, au visage de rongeur, au regard noir et à l'ironie douteuse qui venait de parler. Il pouvait être effrayant, mais elle n'y faisait plus attention depuis bien longtemps.

- Encore un client qui ne supporte pas de se sentir inférieur face à une femme.

    Elle avait dit cela avec un sarcasme que son interlocuteur lui connaissait bien.

- Cela ne me fait pas rire Rose. Vous n'avez pas le droit à l'erreur, c'est un client très important, et s'il n'est pas satisfait il n'hésitera pas à dénoncer nos petites affaires aux autorités.

- Cela fait bientôt dix ans que nous sommes associés et je n'ai jamais manqué aucun de mes crimes. Nous pouvons donc nous passer des mondanités.

- ... Bien. A partir de maintenant nous sommes des inconnus, et nous nous retrouverons dès que vous aurez terminé votre travail. Je vous enverrai la date et l'adresse de notre rendez-vous par courrier, comme habituellement. Je vous fais confiance, et si vous manquez votre coup je n'hésiterai pas à me charger de votre cas moi-même. Mais je n'ai évidemment pas besoin de vous le préciser.

Il avait dit ça avec un sourire narquois qui aurait glacé le sang de beaucoup, mais Rose n'y prêtait plus attention depuis bien longtemps.

    Rose. Un prénom déjà empli de sens, augurant une femme aux mille parfums, une fleur aux mille pétales, dont la beauté attire mais dont les épines mutilent. C'est pourtant ce qui lui plaisait le plus, savoir qu'elle pouvait être l'objet de la fascination, maîtresse de l'intrigue et du mystère, et à la fois que la vie de ses admirateurs ne dépendait que de sa simple volonté. Si elle décidait de leur fin il en serait ainsi, et nul ne saurait se mettre en travers de son chemin. Elle aimait se savoir marionnettiste, convenant à la légère du sort tragique et mortel qu'elle réservait à ses pantins. Sa noirceur l'envahissait parfois, elle se retrouvait dans un enfer où elle revoyait toutes les victimes de son art. L'illusion, la réalité, quelle est bien maigre la distinction dans son esprit pour un tel paradoxe.

    Le drame, la douleur, voilà ce qu'elle aimait. Elle aimait l'horreur, l'infâme, l'angoisse, la terreur, l'atrocité et l'abomination. Le meurtre, l'assassinat, le crime, ces simples termes provoquaient en elle une voluptueuse satisfaction. Rose, plus épine que jolie fleur, aimait les poisons certes, mais elle appréciait tout autant la simplicité. Une fine lame entre ses mains, ou encore les liens étouffants qui laissaient la victime profiter douloureusement de sa fin et l'assassin en savourer les cris ahanants.

    Oh ! Elle adorait ça...! Au sens propre du terme. Elle bénissait cette jouissance malsaine et perverse. C'était une femme fatale, autant par son allure que par ses crimes. Elle aimait se pavaner, la tête haute ; sentir l'invincibilité de sa cruauté et l'infériorité de ceux que la rose venait piquer.

    Psychoses, psychoses, ecchymoses, sang et cris d'horreurs. L'illusion, la réalité, quelle est bien maigre la distinction dans son esprit pour un tel paradoxe.

Elle tremblait, sa vue se troublait, le sang apparaissait, partout. Elle n'avait plus qu'une idée en tête : tuer. Mais elle ne voulait pas retirer la vie, non, elle voulait l'arracher, avec toute la violence que connotait l'emploi de ce terme. Peu importe de qui il s'agissait, elle égorgeait, éventrait, faisait gicler le sang, brisait les os, la nuque, arrachait les yeux de ses mains et déchiquetait la peau avec une sauvagerie dont elle se délectait. La noirceur de son être grandissait dans sa poitrine jusqu'à prendre toute la place et lui couper le souffle. Et l'angoisse que pouvait apporter la vue de tout ce sang, et ces rues devenues sombres où les chefs-d'œuvre de ses meurtres s'amoncelaient dans le sang et les exhalaisons putrides des corps en décomposition, dont elle respirait lascivement les effluves; cette angoisse n'était que plaisir ajouté à son orgastique ébauche.

    Rose ferma les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit quelques secondes plus tard, le Soleil brillait haut dans le ciel, les gens riaient, des enfants se pourchassaient. Ses habits n'étaient salis d'aucune tache rougeâtre, mais sur les paumes de ses mains étaient visibles les marques de ses ongles, enfoncés jusqu'au sang.

L'Horreur est humaineWhere stories live. Discover now