- Tu sais, moi aussi je suis tombée amoureuse. Avec le temps. Ça aurait été étrange sinon. Une gamine de seize ans amoureuse d'un homme qui a plus de dix ans qu'elle... en apparence évidemment.

Je ricane avant d'enfin tourner la tête dans sa direction. Son regard vert me transperce comme une flèche en plein cœur. Nulle trace de plaisanterie dans ses yeux lorsqu'il lâche :

- Mais tu as grandi.

- Yep. En revanche, toi, tu ne semblais pas vieillir. Ce qui était assez déroutant en fait.

- J'ai vingt-neuf ans depuis trois millénaires.

- Tu es mort à vingt-neuf ans alors.

Il me regarde, l'air quelque peu surpris.

- Comment le sais-tu ?

- C'est Eurydice qui le sait. Les héros n'atteignent l'immortalité qu'à leur mort. Nombre d'entre eux meurent durant leur quête d'ailleurs. Mais les rare chanceux qui vivent une longue vie se réveille dans les morts et leur physique est celui qu'ils avaient lorsque l'exploit qui leur a permis d'acquérir l'immortalité a été réalisé. Quel a été ton exploit ?

- Revenir des enfers. Vivants.

Je l'observe un instant, un masque d'impassibilité sur le visage. Je prends garde à bien mesurer mes paroles quand je souffle, presque à contrecœur.

- Je crois que je serais capable d'aller aux enfers pour toi, Orphée.

- Pardon ?

Nous y sommes. L'instant fatidique. Je ne peux plus tourner autour du pot. Je m'extirpe de ses bras pour lui faire face. Mon regard plonge dans le sien. Brun contre vert. Les couleurs de la terre. Les couleurs de la nature. Les couleurs de mon cœur.

- Je t'aime aussi Orphée.

La stupéfaction dans son regard est remplacée violemment par une pure joie qui balaye tous les doutes qui auraient pu persister. Ses doigts s'emmêlent aux miens tandis que sa paume douce vient étreindre la mienne. Mais alors qu'il s'apprête à dire quelque chose, je l'interromps.

- J'ai longtemps cru que ça n'était pas réciproque. Tu sais trop bien cacher tes sentiments. C'est horrible. Et puis étant persuadée que ta vie t'attendait ailleurs, je ne voulais pas te retenir. Comme tu l'as dit toi-même : c'est l'amour, le vrai. Pas parce que nous y serions forcé par le destin. Mais parce que c'est toi.

Son front se colle contre le mien tandis que sa main effleure ma nuque pour se perdre dans mes boucles blondes. Je me sens bien, ainsi, contre lui. À voix basse, il murmure :

- Pour toi, j'essaierai de moins cacher mes sentiments, Yerine.

Je ris. Le son est un peu étranglé, étouffé par mes tourments. Mais les mots d'Orphée m'apaisent. Autant que ses gestes. Ses lèvres se déposent sur les miennes, chassant ma peur, ma tristesse, mon désespoir. Je réponds aussitôt à son baiser. Sa main glisse le long de mon dos pour se nicher au creux de mes reins tandis que je me hisse sur ses jambes étendues de manière à pouvoir approfondir ce baiser. Mes joues me brûlent tandis qu'il me serre contre lui, avec toute la force et tout l'amour dont il dispose. Et j'en fais de même. Dans un souffle, je répète contre ses lèvres :

- Je t'aime, Orphée... »

J'ai toujours voulu vivre. C'est le moment d'enfin me battre pour réaliser ce vœu formulé à mi- mot à la moindre occasion. D'enfin me battre pour vivre.

*

Lorsque nous rentrons enfin dans la petite maison, nous retrouvons Bellérophon en train de lire un journal, assis nonchalamment sur la table de la cuisine. Elämä est à ses côtés. Elle fixe d'une drôle de façon les couverts sous ses yeux. Le héros se rend compte de notre retour le premier. Il nous jette un coup d'œil soucieux. Je pense cependant que la vue de ma main dans celle d'Orphée, le rassure un peu puisqu'il se détend légèrement, ses yeux couleur miel ne me quittant pas. Dès que la prêtresse nous aperçoit, un grand sourire vient étirer ses lèvres.

Yerine (Mélusine HS.1)Onde histórias criam vida. Descubra agora