Amélie : Je rêve. Qu'est-ce que vous foutez là, bande de losers ?
Kouvr : Nous aussi, on est content de te voir.
Je commence à bien l'apprécier cette Kouvr.
Amélie : Nick a dit que les bons étaient réservés à des clients privilégiés. Ne me dites pas qu'ils vous en a donné !
Josh : Pourquoi on ne les mérite pas ? Pourtant on est intelligents, charmants et incroyablement beaux. Sans parler du fait qu'on arrive à te supporter.
Kouvr : Ou pas.
Amélie : Comme si j'avais envie de partager ma table avec des nuls dans votre genre... Je suis venue manger un morceau en attendant Nick. Il a promis de me rejoindre dès qu'il aurait fini sa distribution. J'espère que vous aurez décampé d'ici là !
Je baisse la tête. Nick Austin m'a prêté son parapluie, mais il ne m'a pas proposé de rendez-vous. Amélie doit davantage être son type, avec son fond de teint et ses remarques cinglantes. Je ne vois pas comment je pourrais l'intéresser. Les filles silencieuses et trempées n'ont rien de très attirant.
Josh : Dommage qu'ils n'utilisent pas de la farine complète. Le sucre, la crème et la farine raffiné ne sont pas très bons pour la santé. Ce qui manque par ici, c'est un vrai café bio. Vous n'imaginez pas tout ce qu'on peut préparer avec des graines, des noix ou des dattes.
Amélie : Tu racontes vraiment n'importe quoi ! Qui voudrait d'un gâteau bourré de fruits secs ?
C'est exactement ce que ma mère vendait à Lyon et tout le monde en raffolait. Mais ça ne servait à rien de la contredire.
Kouvr : Bonne pour la santé ou pas, cette génoise semble délicieuse ! Et puis une part, ça ne va pas te tuer !
Amélie glousse.
Amélie : Non mais écoutez-la ! Il y a au moins un million de calories là-dedans. Si tu continues, tu vas ressembler à une baleine. Oh mais, suis-je bête, c'est déjà le cas !
Je meurs d'envie de la gifler. L'expression de Kouvr, « peste venimeuse », me revient en mémoire. Au moins, grâce à Amélie, mon vocabulaire anglais s'enrichit.
Josh : Arrête, Amélie.
Amélie : Quoi ? Que j'arrête quoi ? Je disais ça comme ça. En toute amitié.
Face au regard insistant de Josh, elle finit par se taire et mord une meringue. Aussitôt, toute trace de méchanceté s'efface de son visage.
Kouvr : Bon sang, mais qu'est-ce qu'ils mettent là-dedans ? Je n'ai jamais rien mangé d'aussi bon. C'est à tomber par terre !
Josh : Pas étonnant que cet endroit s'appelle le Paradis.
Amélie : Je crois qu'on peut remercier Nick. Et pas seulement pour les gâteaux. Son petit tour de ce matin nous a fait manquer une demi-journée de cours. D'ailleurs, j'ai aussi échappé à ceux de cet après-midi. Grâce à vous deux et au crétin qui a volé cette saleté de rat.
Josh : Comment ça ?
Amélie : Tu n'en a pas entendu parler ? Quelqu'un a piqué le rat de M. Critchley pendant l'alerte incendie. Sans doute un défenseur des animaux ignorant que les dissections sont interdites.
Josh : Faux.
Amélie : Dans les collèges, si. Le proviseur nous a dit que c'était l'animal de compagnie du prof.
Josh : Peut-être. Ou pas. Je ne le sens pas, ce type. Avant, il élevait plein de rats dans son labo et les faisait découper à ses élèves pour leur montrer des trucs inutiles. Comme la longueur de leurs intestins.
Kouvr : Berk ! C'était au Moyen Âge ?
Josh : Ça ne remonte pas si loin. Dans les années 90, mon père avait M. Critchley en biologie. Il s'est fait renvoyer trois fois pour avoir refusé de participer au cours de dissection.
Amélie grimace.
Amélie : Laisse moi deviner... je parie que ton père est un loser dans ton genre.
Josh : Il est mort dans un accident de voiture quand j'avais trois ans. En même temps que ma mère.
Un frisson m'envahit et je laisse tomber ma cuillère. Amélie est mortifiée.
Amélie : Je... Je suis désolée... Je ne savais pas, Josh, je te jure...
Kouvr : Mon pauvre. C'est horrible !
Josh : J'étais petit, je ne me rappelle quasiment pas d'eux. Mais je vis avec ma grand-mère, et elle me raconte toutes les bêtises de mon père. Quand elle m'a parlé des rats, j'ai halluciné. Je n'avais jamais aimé M. Critchley, alors apprendre qu'il avait exclu mon père pour ça...
Amélie : Quel sale type ! Je l'ai toujours trouvé flippant...
Kouvr : Et il garde encore un rat dans sa classe. C'est un malade !
Josh : Tu as sans doute raison, Amélie, mon père devait me ressembler. Lui non plus n'hésitait pas à agir pour défendre ses convictions...
Amélie reste bouche bée.
Amélie : C'était toi ! Tu as volé le rat de M. Critchley !
Josh : Je préfère le terme « libéré ».
Amélie : Mais comment... où...
Josh : Ne t'inquiète pas Amélie. Il est en sécurité.
Amélie : Attend un peu. Où est-ce que...
Par chance, les portes du salon de thé s'ouvrent au même instant. Nick fait son entrée, les cheveux plaqués sur le front et ses ailes dégoulinantes à la main.
Amélie : Nick ! Par ici !
Il traverse la salle bondée.
Nick : Eh bien ! Je n'aurais jamais cru que ce serait si dur de distribuer des gâteaux !
Amélie : Tu n'avais qu'à les jeter dans la première poubelle venue.
Nick fronce les sourcils.
Nick : Non, c'était important. Kouvr, tu peux te pousser un peu ?
Elle se décale sur la banquette, et Nick se laisse tomber à côté de moi avec un clin d'œil. Le sourire d'Amélie se fige tandis que mon cœur fait des bonds dans ma poitrine.
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Nick : J'en ai donné à une femme dont le parapluie s'était retourné. Et à deux enfants qui portaient des bottes en caoutchouc. Et puis un type qui vend le journal des sans-abri au coin de la rue; lui, je lui en ai donné trois.
Il a posé ses ailes trempées contre la banquette. Il retire sa veste et relève un T-shirt portant le nom du salon de thé. Ça tombe bien, car j'ai justement l'impression d'être au paradis.
Quand quelqu'un remarque enfin notre existence après une longue période d'invisibilité, on est forcément reconnaissant. J'essai de me convaincre que c'est l'explication de mon trouble. Car je ne peux pas être en train de craquer pour un garçon qui déchire ses cahiers et met le feu aux tables.
