Chapitre 2 - Le témoin

Depuis le début
                                    

Il vit quelques têtes se profiler devant la grande fenêtre alors qu’on venait d’augmenter l’intensité des plafonniers. Le cours était terminé. Quentin sourit, bien malgré lui. C’était enfin le vrai début de la fin, la dernière page de ce roman qui n’allait intéresser personne à partir de demain, sauf les curieux assoiffés de faits divers. Il tâta la poche de son pardessus et y trouva le poignard, un beau spécimen de couteau pour la pêche avec une lame crochetée, faite pour briser les os de ses prises, trancher la tête de ces innocents nageurs qui osaient passer dans l’aire de ses quêtes au lac Ouareau. Il lui avait maintenant trouvé un nouvel usage. Il allait être le plus heureux des hommes, débarrassé de toute sa peine de sa colère et de cette petite garce qui lui donnait des maux de tête dès les premières heures du matin.

Les premières personnes sortirent de l’édifice. Un homme alluma une cigarette tout en poursuivant la conversation avec une dame dans la cinquantaine, rondelette et visiblement envoûté par le trentenaire qui lui parlait avec des gestes amples. Trois femmes dévalèrent l’escalier et marchèrent vers l’ouest d’un pas assuré. Quentin chercha la silhouette d’Élaine alors que le Centre déversa sa population zen. Il la vit, arrêtée dans le hall, avec à ses côtés la fameuse Sonia. Elles discutaient avec enthousiasme et Quentin en fut soudain jaloux. Il les observait en se demandant ce qu’il allait faire si l’autre fille décidait de marcher avec Élaine. Il pourrait lui donner du couteau, pour boucler la boucle mais il n’en avait pas envie. De toute façon, ça lui ferait un témoin en or. S’il pouvait la traumatiser un peu, en la menaçant, ce serait encore mieux. Elles s’embrassèrent rapidement et Élaine descendit les marches en regardant le sol. Quentin avait les mains moites. Il vit Sonia sortir son mobile et signaler un numéro ou pianoter des mots à l’un de ses amants ou à son mari. Élaine se tourna vers elle et lui envoya la main. Sonia mima une joie de petite fille en serrant les genoux et lui envoya un baiser.

Quentin fit un pas pour traverser la rue. Quelqu’un passa près de lui et le bouscula sans s’excuser. Il n’en fit pas de cas, trop occupé à observer sa femme qui marchait d’un pas posé, sans se dépêcher. « Tant mieux, ma belle Élaine. Comme ça la mort va pouvoir te rejoindre plus rapidement! » murmura-t-il entre ses dents.

Il traversa la rue et se retrouva sur l’autre trottoir, à une vingtaine de mètres derrière sa bien-aimée. Il ne dépêcha pas, sachant que l’automobile d’Élaine était à trois coins de rue du Centre. Il put ainsi l’observer de dos, admirer encore une fois ses fesses, sa taille de guêpe, ses cheveux auburn qui tombaient en cascades torsadées sur son dos, rebondissant à chaque pas.

Ils traversèrent le premier coin de rue et Quentin remarqua qu’il n’y avait pas beaucoup d’action de part et d’autre de la rue. Il se demandait s’il préférait avoir des témoins pour ce qu’il allait commettre. Dans un sens, un ou plusieurs témoins confirmerait hors de tout doute que c’était bien lui l’assassin, éliminant tout doute et lui garantissant une petite pièce aux fenêtres ornées de barreaux pour le reste de sa vie. De l’autre, il craignait que ne se mette dans l’idée de compléter son œuvre et ainsi réduire sa peine tout en risquant de voir sa femme survivre à quelques blessures superficielles.

Il vit un couple qui marchait sur le trottoir, dans leur direction, collées l’un sur l’autre, sous un immense parapluie aux couleurs du peintre impressionniste Monet. Le labrador qui trottinait à leurs côtés sentait les moindres feuilles mortes et tout ce qui ressemblait à un poteau, ralentissant leur déplacement, ce qui ne semblait pas les déranger le moins du monde. Ils passèrent près d’Élaine qui tourna un peu la tête pour regarder le chien mais elle ne nota pas la présence de Quentin, probablement encore dans les vapeurs de sa session de tête à l’envers. Le couple arriva à la hauteur de Quentin et le chien grogna en sentant le soulier de celui-ci. « Claudie, au pas! Désolé, monsieur. » dit le gars en souriant bêtement. Le chien émit un couic quand la laisse le tira en arrière et il décida probablement que cette odeur ne lui plaisait finalement plus.

Tout ce que tu feras (tu le feras pour moi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant