Instants fugaces

XIII

- C'est quoi le programme ?

- Tu attrapes cette bombe de peinture, tu en tartines le wagon et on se tire.

- Donc tu me fais vandaliser un train ? T'es quelqu'un de mauvais, Chad.

J'aurai pu me vexer, seulement Kris a un sourire en coin encore plus machiavélique que le mien. Je passe derrière lui, glisse une bombe dans la poche arrière de son jogging puis m'arrête devant une double-porte.

- On dessine quoi ?

- Une fleur.

- Putain Kris, c'est pas comme ça que tu vas t'imposer dans ce monde, je ricane. Fais un lion, c'est un peu mieux.

Il hausse les épaules, pas tellement convaincu puis se met au travail. Je détourne le regard lorsque mon cœur s'emballe et commence à mon tour à peindre un tigre.

Pendant une grosse demi-heure, aucun de nous parle. Juste le silence, le bruit des bombes de couleur et nos petits grognements frustrés. Mais d'être simplement ici, avec lui, à partager cet instant me remplie de bonheur.

- Fini !

Je soupire en regardant mon dessin et grimace. La seconde d'après, Kris se tient à côté de moi, son bras sur mes épaules et je lève les yeux vers lui, détaillant son expression. Qui est fermée.

- Quoi ?

- C'est quoi ça ?

Il tend sa main gantée vers le train et je pince les lèvres en analysant à nouveau mon dessin.

- Bah un tigre.

- Chad. Ca ressemble à de la merde.

J'écarquille les yeux, me tourne vers lui et attends qu'il s'excuse. Sauf qu'il est sérieux, les traits sévères.

- C'est un tigre.

- C'est un chat sur qui on a roulé.

Et il explose de rire, les larmes roulant sur ses joues alors que je suis vexé. Je suis grave fier de mon œuvre, merde ! J'attrape ma veste au sol et me tire.

- Chad !

Je lève mon majeur dans sa direction mais Kris me rattrape et m'agrippe pour me serrer contre lui.

- Allez, boude pas. Je vais t'apprendre à dessiner.

- Ouais.

Il pouffe, serre les lèvres quand je lui jette un regard noir et on se plante devant une partie intacte du train.

- Allez, apprenons à tagguer un chat vivant !

Je craque quand il se remet à rire. Les mains pleines de peinture, je lui saute dessus. Le sourire aux lèvres et le cœur au bord de l'implosion, sous l'effet du bonheur.