4. Pierre, bouge !

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Il fait nuit. 

Au sud de la Zone Protégée, un groupe de trois hommes se faufile discrètement le long d'une voie ferrée entourée de champs. C'est la ligne des trains automatisés de MinaTech, société du Groupe Sigü, qui partent vers les mines lointaines, puis en reviennent avec leurs cargaisons de néodyme, gallium, dyprosium, et autres métaux rares. Les gens de la Zone Protégée ne savent pas grand chose de ce qui se passe là-bas. L'extraction des terres rares serait assurée par des prisonniers et des autochtones vivant dans ces régions reculées. Ensuite, elles sont acheminées par bateaux et trains vers une usine de raffinage ultra surveillée en Zone Protégée. Ainsi Omnes Ecology peut faire construire par Sigü non seulement toutes les éoliennes et panneaux photovoltaïques indispensables à la survie en Zone Protégée, mais aussi plus largement tout appareil nécessitant de l'électronique. Que fait la société MinaTech des pollutions qu'elle génère? L'homme le plus âgé des trois personnages longeant les rails le sait, lui. Il sait ce que c'est que de travailler dans les mines, et plus jamais il ne veut revivre cet enfer.

— Le train ne va pas tarder, dit-il. Il faut faire vite.

L'individu a les cheveux longs, grisonnants, maintenus en arrière par un étrange serre-tête. Un des deux autres s'arrête.

— C'est ici Corylus !

Les trois hommes s'immobilisent au niveau d'un des dispositifs de dilatation situés entre deux longs rails. Le dénommé Corylus se concentre. Les pierres et le gravier constituant le ballast se mettent à bouger. Une, deux, puis trois traverses se soulèvent, tordant les rails de bas en haut, puis de droite à gauche. Les rails ne sont maintenant plus en face les uns des autres, interrompant ainsi la continuité de la grande ligne droite du chemin de fer. Corylus semble épuisé. Il retire le serre-tête de son front : c'est un Imagomak. Il s'assoie sur le ballast. Les deux autres hommes qui font le guet se rapprochent de lui.

— Viens, il faut y aller maintenant.

Les trois silhouettes se dirigent alors d'un pas rapide vers les bois situés à huit ou neuf cent mètres de là. Ils entendent le train arriver au loin. À mi-chemin, Corylus stoppe net sa course.

— L'imagomak ! Je l'ai laissé sur la voie !

— C'est trop tard, il faut partir ! s'exclame celui qui est en tête.

— Non, j'y vais, ce truc-là est trop précieux, on ne saurait même pas le reconstruire !

Corylus se précipite vers la voie ferrée. Il voit l'ombre du train se découper sur le ciel sombre, sorte de long serpent d'acier noir qui arrive du sud à vitesse modérée. Corylus va aussi vite qu'il le peut. Il parvient sur le lieu du sabotage avant le train, mais n'aperçoit pas tout de suite l'Imagomak. Le train s'approche de plus en plus, et n'est plus qu'à quelques centaines de mètres. Enfin, Corylus trouve l'objet, le récupère, et s'enfuit aussi vite qu'il le peut. Le train arrive à l'endroit fatidique. La motrice déraille, suivie de tous ses wagons, et le monstre d'acier s'écroule dans le champ, manquant de peu Corylus qui regrette de ne pas suffisamment s'entrainer physiquement.

Dans le dernier wagon, tout à l'arrière du train, l'employé chargé de la maintenance a à peine le temps de réaliser ce qui se passe quand il est violemment projeté en avant. Il se cogne durement contre la paroi. Le train s'est immobilisé. Le silence succède au fracas de l'accident. L'homme, qui saigne de la tête, ouvre la porte de son vestibule, et sort. Il porte sa main au front, là où la douleur est la plus intense, et remarque le sang qui coule entre ses doigts. Derrière la fumée, il constate que les dix premières voitures au moins sont couchées. Il lâche un juron et se précipite dans sa cabine afin de donner l'alerte par radio. Tout en appelant, il croit voir au loin trois petites silhouettes se dirigeant précipitamment vers les bois.

IRISOù les histoires vivent. Découvrez maintenant