5

251 32 8
                                    

Fanny-Eve eut du mal à trouver le sommeil, cette nuit. Elle repensa au récit de Jean Bernard et se demanda où se situait la vérité. Cet homme avait l'air de dire la vérité, mais alors pourquoi la jeune femme avait menti ? Pour l'argent ?
Le réveil sur son portable sonna à 7 heures, elle se leva, se débarbouilla et fit ses ablutions. Après avoir prié, elle lut un peu le Coran. Ses parents avaient tenu à ce que ses frères et elle aient une bonne éducation, tant sur le plan social que religieux. Quand ils étaient enfants, un « Oustaz » venait tous les dimanches leur apprendre les préceptes de l'Islam et le Coran. Et pour cela, elle leur en sera toujours reconnaissante.
Avant de prendre son petit-déjeuner, elle prit le temps de faire son sport en suivant une séance sur Youtube, suivi d'une bonne douche.
Elle retrouva Laporte dans une petite salle de travail, mise à leur disposition par l'hôtel.
- Bonjour Laporte dit Fanny-Eve, alors bien dormi ?
- Bonjour Fanny-Eve répondit-il. J'ai bien dormi, merci.
- Comment as-tu trouvé Jean hier, lui demanda-t-elle.
- Excuse-moi, mais il a été vraiment très naïf, à moins qu'il nous mène en bateau dit-il, avant d'enchainer, hier je me suis rendu à l'auberge avec Cheikh. Toutes les personnes que nous avons interrogées se souviennent bien de lui, qui montait presque tous les soirs où il était là, avec une fille différente. En revanche personne ne se rappelle cette fille, à croire que c'était un fantôme. Il y a cependant, un serveur qui travaillait là-bas depuis six mois et qui a disparu le lendemain des faits. Je pense qu'il faut creuser de ce côté-là. Dans le dossier, il y a également l'adresse de la fille, ce soir nous irons nous poster devant chez elle, afin de voir qui rentre et qui sort.
Il se tut et fixa Fanny-Eve quelques instants avant de reprendre :
- Cela ne doit pas être évident pour toi, j'imagine ?
- Comment ça lui répondit-elle.
- Je veux dire vous êtes là pour défendre Jean, qui vient dans ton pays et sous prétexte qu'il a beaucoup d'argent fait des choses vraiment pas bien. Même s'il n'a pas violé cette femme, le fait est qu'il se comportait comme un porc avec d'autres.
- C'est vrai que ce n'est pas facile dit Fanny-Eve, mais c'est moi qui ai choisi ce métier et je savais exactement à quoi je m'exposais.
Laporte l'enveloppa d'un regard où se mêlaient respect et admiration. Sous ses airs de méchant sauvage, se cachait un homme sensible et très secret. Tout ce que Fanny-Eve savait sur lui, c'est que la vie n'avait pas été très tendre avec cet homme. Issu d'une famille très modeste du nord de la France, il avait enchainé les petits boulots, avant d'intégrer la police où il servit pendant trente-cinq ans avant de prendre sa retraite anticipée. Cela faisait 3 ans maintenant qu'il travaillait pour le cabinet en tant qu'enquêteur, personne ne savait s'il était marié ou s'il avait des enfants.
La sonnerie de son portable fit sursauter Fanny-Eve. C'était Jean Bernard.
- Allo, dit-elle en décrochant.
Elle écoutait Jean Bernard parler, ses yeux braqués sur Laporte. Au fur et à mesure que Jean parlait, Fanny-Eve sentit une colère sourde monter en elle.
- Ecoutez Jean dit-elle, vous avez bien fait de m'avoir appelée. Je vais m'en occuper, ajouta-t-elle avant de raccrocher.
- Que se passe-t-il, demanda Laporte, la mine inquiète.
- Il a reçu la visite inattendue d'un flic répondit-elle, apparemment ce n'est pas le même que celui qui l'avait interrogé la première fois. Il lui a dit qu'il avait la preuve de sa culpabilité et que le juge pourrait se montrer clément, s'il acceptait de tout avouer.
- Mais c'est qui ce flic complètement nul s'emporta Laporte, en plus il n'a pas le droit, il essaie de l'intimider.
- Effectivement il n'a pas le droit, je crois savoir qui est ce policier complètement nul comme tu dis.
- Ah oui ! Qui est-ce ?
- Eh bien, hier quand tu m'as laissée dans le bureau du procureur, le policier en charge de l'enquête a débarqué, et tiens-toi bien, c'est le frère jumeau du procureur, conclut Fanny-Eve.
Elle prit son téléphone et composa le numéro du bureau du procureur, elle allait tirer cette histoire au clair. Le téléphone sonnait, mais personne ne décrochait. Après 5 tentatives pour le même résultat, elle posa violemment le téléphone sur la table, et dit :
- Laporte, je monte me changer, nous allons voir le procureur, soit il rappelle son chien enragé soit je porte plainte pour harcèlement envers mon client. Jusqu'à la preuve du contraire, il est innocent.
Sans qu'elle puisse l'expliquer, Fanny-Eve sentit une rage folle monter en elle. S'il y a une chose qu'elle détestait le plus dans son métier, c'est l'intimidation, la mauvaise foi et l'amateurisme.
Quarante-cinq minutes plus tard, elle entrait dans le bureau de l'assistante du procureur. Laporte et Cheikh l'attendaient dans la voiture, devant le tribunal. Mlle Diagne était en train de ranger des documents dans une armoire et ne la vit pas arriver.
- Bonjour, dit alors Fanny-Eve.
- Bonjour répondit l'assistante en se retournant.
- Je souhaiterais voir le procureur, Il est là ? demanda Fanny-Eve.
- Vous avez rendez-vous? Vous ne figurez pas sur son agenda, répliqua l'assistance d'un ton sec qui prit Fanny-Eve au dépourvu.
- Non en effet, nous n'avons pas rendez-vous mais si vous pouviez lui dire que je suis là, il accepterait peut-être de me recevoir, je pense.
Elle lui jeta un regard noir, avant de lui dire.
- Asseyez-vous, je vais voir ce que je peux faire, il est vraiment très occupé, ajouta-t-elle.
- Merci dit Fanny-Eve.
Elle allait s'assoir sur la chaise quand elle l'entendit dire en Wolof « avec ta face de singe ». Son sang ne fit qu'un tour. Ce n'était pas la première fois que des personnes, croyant qu'elle ne comprenait pas le wolof disaient des méchancetés à son égard. Elle ne s'était jamais laissé faire, ce n'est pas aujourd'hui que cela va changer. Elle vint se planter devant l'assistante, les mains sur les hanches et dit :
- Je vous demande pardon.
La jeune femme recula instinctivement et bégaya :
- Euh, euh je n'ai rien dit.
- Mais si dit Fanny-Eve, vous venez de me traiter de singe, il me semble.
Elle la fixa attendant une réponse qui ne vint jamais. Mlle Diagne n'osait même plus la regarder en face.
- Permettez-moi de vous donner un petit conseil, primo faites attention à ce que vous dites quand vous ne connaissez pas la personne que vous avez en face de vous. Deuxièmement, vous devriez-vous regarder dans la glace avant de traiter les gens de singe.
C'est à ce moment que la porte du bureau du procureur s'ouvrit, Malick les regarda tour à tour et demanda, inquiet :
- Il y a un problème ?
- Oh non répondit Fanny-Eve fixant toujours la jeune femme, j'ai demandé à votre assistante quels endroits, je pourrais visiter à Dakar. Elle m'a conseillé le parc zoologique de Hann, surtout pour ses singes.
Cette dernière sourit, nerveuse, et alla rapidement s'assoir à son bureau, évitant le regard de son patron.
Fanny-Eve enchaina :
- Bonjour, désolée de débarquer ainsi, mais il faut vraiment que nous parlions.
- Entrez dit Malick, j'ai 30 minutes avant mon prochain rendez-vous. Que puis-je faire pour vous ?
- Un policier est allé voir mon client répondit-elle en entrant dans le bureau, et l'a menacé. Je suppose que c'est votre frère, j'aimerais que vous lui disiez d'arrêter. C'est de l'abus de pouvoir.
Malick la dévisagea, surpris. Il était vraiment à l'opposé de son frère pensa Fanny-Eve. Il semblait plus posé, était très courtois.
- Cela me surprend, dit-il très calme, je vais me renseigner et prendrai les mesures nécessaires.
Il enveloppa la jeune femme d'un regard profond et bienveillant. Fanny-Eve se racla la voix, mal à l'aise et dit :
- Je peux vous poser une question indiscrète. Pourquoi êtes-vous si différents enchaina-t-elle sans même attendre la réponse de Malick. C'est que vous êtes, physiquement, identiques, mais vos caractères sont diamétralement opposés.
Ce dernier sourit avant de répondre :
- Pourtant on n'est pas si différent que ça.
- D'où vient votre cicatrice sur la bouche, demanda Fanny-Eve.
Sa question était vraiment déplacée pensa-t-elle, mais la curiosité était plus forte que la raison.
- Je m'attendais à cette question, on nous la pose souvent. Quand nous avions 7ans, un jour nous jouions au football, et nous utilisions des pierres pour démarquer les buts. Je me suis cogné sur l'une d'elles, en essayant d'arrêter un tir, et j'ai eu la lèvre fendue. Dans mon malheur, mes parents y trouvèrent un moyen de nous reconnaître plus facilement. Le répit fut de courte durée, Trois semaines plus tard, nous étions en train de regarder la télé, quand Elimane sautant de fauteuil en fauteuil, tomba et cogna violemment sa bouche sur le rebord de l'accoudoir. Voila d'où vient notre cicatrice, conclut-il nostalgique.
Il se tut un instant avant de reprendre, le regard un peu triste. Fanny-Eve sentit qu'il voulait se confier.
- Les gens autour de nous me disent souvent, Malick « ton frère n'est pas très cool, il est un peu con ou bien il est froid ». Pourtant sous ses airs de grand méchant se cache un être sensible et très gentil. Nous avons toujours tout fait ensemble, jusqu'à nos 15 ans. Après on a commencé à avoir des copines et des camarades différents et on s'est un peu éloigné. Un soir, c'était pendant les grandes vacances, il est rentré et m'a trouvé dans le salon où je regardais un match de NBA. Il était en larmes, je lui ai demandé ce qui n'allait pas. Il n'a pas voulu me le dire. Nous avions 17 ans à l'époque, là on en a 33 et je n'ai jamais su pourquoi il était dans cet état. Ce dont je suis sûr, c'est que cet événement l'a profondément changé, lui qui était si vivant et si gai...
Fanny-Eve ne sut quoi dire après cela. Elle sentait la tristesse dans la voix de Malick et voyait surtout un homme totalement démuni face à la détresse de son frère.
- Bon assez parlé de mon frère et moi dit alors Malick, se ressaisissant et coupant court à la conversation . Soyez rassurée, plus aucun policier n'embêtera votre client, soit-il mon frère ou pas.
- Je vous remercie Malick et je ne vais pas vous embêter plus longtemps. C'était vraiment très cool de me recevoir sans rendez-vous.
Malick allait dire quelque chose quand le téléphone de Fanny-Eve sonna. C'était son frère Habib.
« Excusez-moi » dit-elle à Malick avant de décrocher.
- Allo Bibou !
- Coucou Fa, ça va ? demanda son frère d'une petite voix.
- Oui et toi ?
- Fa, je veux que tu gardes ton calme... C'est maman, Elle...
Fanny-Eve n'entendit pas la fin de la phrase, elle venait de s'évanouir, rattrapée à temps par Malick dans sa chute.

Entre deux feux!Where stories live. Discover now