> Second - Fuite acharnée

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To run away.

Jeudi 24 Août, quinze heure et vingt six minutes, Alpes suisses.

- Putain, apprend à viser, merde.

Les yeux sont fermement clos. Mais s'ouvrent précipitamment. Les jambes qui tremblent reprennent contenance, il faut survivre. Il faut fuir de là. C'est comme ça qu'elle tente de courir loin de ce champs de bataille après s'être relevée. Après tout, elle n'est qu'une personne random qui n'a rien à voir avec eux - ils peuvent bien la laisser filer et vivre, non ?

Sauf que c'est pas du goût du jeune homme qui l'a foutue dans ce merdier. Il la retient par le bras et la tire à elle tandis qu'elle ne résiste que par un gémissement plaintif. Niveau envie de vivre on repassera. Lame froide collée contre la jugulaire. Attendez, stop. Quoi ?

- Qu'est-ce tu fous gamin ?

Ah ça, elle aimerait le savoir aussi. C'pas elle l'ennemi. C'une victime !

- Me... tue pas. Murmure désespéré.

Que pourrait-elle bien faire dans cette situation à part implorée pour sa vie ? Elle se trouve aux portes de la mort, à la frontière entre être et avoir été. Elle peut pas déconner, tenter un truc qui aboutira à sa perte. Juste demander qu'on l'épargne. Elle ne peut rien faire de plus. Encore une fois, tout s'enchaîne très vite. L'arrivée des pompiers, des vigiles, des policiers, toujours plus de monde. Elle est pas certaine de savoir ce qu'il se dit - mais y a négociation.

Le gars qui la retient est étrangement calme. Contraste avec son état démesurément terrifié, la vessie sur le point de se relâcher et les larmes qui brouillent sa vue, ne lui permettant que de discerner les hommes en noirs devant elle, montrer elle ne sait quoi aux policiers.

- Monsieur Jonas Flitch, veuillez relâcher votre otage, il ne vous sera fait aucun mal.

Les mains sont accrochées à son bras ; tout s'emmêle. Odeur, bruit, touché et sensation - aucun de ses sens ne fonctionnent correctement. Pas même son esprit tente de rester sain et de penser convenablement. Non, là, la seule chose qu'elle se dit c'est qu'elle n'a jamais été dans les bras d'un garçon - autre que son père - aussi longtemps. Comble de l'ironie, celui-ci souhaite lui trancher la gorge. On repassera aussi niveau romantisme.

- Vous me laissez sortir.

La voix est juste assez forte pour se faire entendre. Grave, mais étrangement douce. Pourtant pleine d'agressivité et de rancœur. Elle ne laisse place à aucune négociation - c'est ça ou il fait couler le sang. Le sien, à elle. Frisson d'horreur. Elle entend sa mère crier. Son père gueuler. Bon sang, ce que c'est rassurant de les savoir pas loin. Elle mourra pas seule au moins.

Mouvement. Il la pousse à avancer sur le côté. Elle lui marche sur le pieds, plusieurs fois, sans faire exprès, se maudissant d'être si maladroite, jusqu'à ce qu'ils atteignent la porte. Oups, plusieurs voitures et des hommes armés. C'est pas comme ça qu'il va finir par la lâcher. Toujours en frôlant les dalles de bétons dans leur dos, ils sortent. Des journalistes, des curieux, des ambulances. De quoi faire tourner un peu plus la tête de Maeve.

- Ce n'est pas le moment de flancher.

Il murmure pour elle. Ce n'est pas vraiment menaçant mais ça lui rappelle que sa vie repose sur le couteau qu'il tient fermement contre son cou. La tension est alors palpable - comme sa jugulaire qui vibre au rythme de son cœur affolé. Elle suit minutieusement ses directives. Un pas par-ci, un autre par-là. Elle comprend vite que c'est pour ne laisser aucun angle mort, qu'il l'utilise comme rempart - qu'elle est le bouclier d'un fou.

Elle ne sait pas trop comment, sans doute parce que la réalité n'est pas un de ces films d'action où les héros finissent par sauver les demoiselles en détresse - hmph, c'que c'est machiste pense-t-elle - mais finalement, ils arrivent jusqu'à l'orée de la forêt, tous les deux, à peine suivi par quelques policiers et ces types en noir. Les médias et les civils ont été retenus sans doute.

Ils sont dans une impasse - ni lui ni eux ne comptent renoncer. Et elle est au milieu de ce conflit. Elle ne sait pas trop ce qu'elle doit faire, à part suivre les gestes de son bourreau. Elle a toujours ses deux mains furieusement agrippées à son avant bras. Elle sent ses muscles à travers la veste en peau marron. Il y a encore le couteau contre son cou - la lame est chaude maintenant. Et il y a son souffle dans ses oreilles, imperturbable. Maeve n'a aucune idée de ce qu'il peut penser. Elle le prend juste pour un timbré qui tente de survivre. Et à cette pensée, elle se reconnait en lui.

- On va devoir courir.

Il ne compte pas la lâcher. Ni même s'en séparer. Elle le comprend maintenant. Elle est le seul mur entre lui et les coups de fusils. Et soudainement, elle prend conscience de la distance qui les sépare, elle et eux. La pression était telle que personne n'a dû se rendre compte que tous les deux, ils étaient toujours un peu plus éloignés.

Et sans crier gare, leurs positions changent. Elle se retrouve derrière lui, forcée à le courser par la main sur avant bras, la lame qui menace les veines de son poignet. Toutefois, la pression se fait bien moins menaçante que la précédente et ça lui donne envie de s'échapper.

- Déconne pas.

Désir de liberté réfréné. Il a tailladé sa peau fine en renforçant simplement son emprise. Et l'adrénaline s'inscrit dans le sens du garçon. Ils prennent ensemble la fuite à travers la forêt, vont se perdre dans l'immensité des Alpes. Heureusement pour elle, la pente est en descente - ce qui lui permet de ne pas être trop lente. Mais c'est la même chose pour leur poursuivants.

Le temps est à la fois long et rapide - pas très sportive, elle a du mal à suivre le rythme du garçon et en même temps, elle a l'impression qu'ils viennent juste d'entamer leur course effrénée. Sa poigne lacère tant son poignet qu'elle ne le sent plus vraiment. Voilà pourquoi elle est androphobe aussi. Cette vulnérabilité physique face aux hommes. L'impression d'être un lapin blanc devant un loup - seulement capable de courir jusqu'à ce qu'on le rattrape. Et maintenant que ses crocs la tiennent fermement, il ne la lâchera pas jusqu'à ce qu'il l'est entièrement dévorée.

Elle se heurte contre son dos, tombe en arrière, essoufflée. Lui n'a même pas vacillé, à peine préoccupé par sa présence, pourtant les doigts toujours enserré autour de son articulation. A l'observer, lui et ses traits de visages, elle peut deviner qu'il écoute les bruits.

- Tu peux me lâcher ?

Étrangement, sa propre voix est plutôt claire et calme, sans doute s'est-elle habituée à la pression pendant qu'ils courraient. Il ne lui lance pas même un regard et reprend son avancée, elle toujours à sa suite. L'adrénaline retombée, elle se fait moins adroite et manque de glisser plusieurs fois, mais il la retient toujours, pour ne pas perdre du temps.

- Si on continue par là on va se perdre.

Elle tente de le raisonner. De ne pas trop s'opposer à lui. Quoiqu'elle n'est pas aussi effrayée qu'au début. Déjà, il n'y a plus tout ce monde curieux autour d'eux - ils sont parfaitement seuls. Ensuite, il n'y a plus de flingues pointés vers elle - ça aide à réfléchir un peu mieux. Enfin, s'il avait voulu la tuer, il l'aurait fait au moment même où il a compris qu'ils avaient pris assez d'avance sur eux.

- Écoute, tu pourrais peut-être me laisser là et moi, bah, je remonte, et ça va peut-être les ralentir de me retrouver.

Entamer les négociations pour retrouver sa petite vie tranquille et oublier un traumatisme de plus après un certain laps de temps. Elle n'a pas grand espoir qu'il l'écoute, mais cette fois, au moins, il plante son regard brun dans le sien.

- Ils te tireront dessus. Si tu veux survivre, tu vas devoir me suivre. Tu es mon alliée maintenant.

•••

Voilà pour ce nouveau chapitre, j'ai déjà pas mal avancé dans l'histoire et j'ai la suite en réserve.

With Love,
Lyn

No one for loveWhere stories live. Discover now