Il n'y a pas trente-six façons d'ouvrir une porte.

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Ils ne s'étaient pas attendu une seule seconde à ce que la porte soit verrouillée. Martin savait qu'elle ne l'était jamais et il s'était appuyé sur un fait qu'il pensait certain.

– Qu'est-ce qu'on fait ? murmura Emma d'une voix blanche.

Perrine, appuyée sur Audrey pendant que Martin essayait désespérément d'enfoncer le battant, commençait à transpirer à grosses gouttes. Ses yeux étaient vitreux, et ses veines étaient de plus en plus apparentes.

– On va avoir l'occasion de tester les armes..., souffla Nora.

Deux zombies arrivaient vers eux, peinant à se frayer un chemin dans la masse sanguinolente qui retenait leurs pas. Une heure plus tôt, les créatures avaient été deux femmes, à en croire leur robe et cheveux longs. À présent, ce n'était plus que des plaies ouvertes et grognantes. Leur peau avait viré au gris, et leurs yeux étaient presque entièrement blancs. Emma était hypnotisée par leurs mâchoires remplies de dents tâchées de sang qui s'ouvraient et se refermaient sur des proies encore imaginaires. L'une d'elles avait même un bout de chair coincée entre les crocs. Leur difficulté à avancer donnait le temps aux survivants de les étudier, et ils se retrouvaient fixés à elles comme on regarde avec horreur mais fascination un accident de la route.

– Bordel de porte ! grommela Martin.

Il avait coincé son pied de biche dans l'interstice entre le mur et le battant, et poussait de toutes ses forces. Il dérapa et s'étala de tout son long, mais la porte n'avait pas bougé. Il se releva en pestant et annonça subitement :

– Je vais chercher la clé.

Avant que les mots n'atteignent le cerveau des autres, il s'élança aussi rapidement qu'il le pouvait vers l'endroit qu'ils venaient de quitter. Les filles l'observèrent détaler avec ébahissement. Emma lâcha presque sa batte de base-ball en gémissant. Est-ce qu'ils les abandonnaient déjà ? Est-ce qu'ils devaient le suivre ?

Un craquement sonore la fit revenir à la réalité. Avec un grand coup sec, l'auteur venait de perforer le crâne du premier zombie à sa portée. Celui-ci s'effondra sans bruit, inerte.

– On est au moins sûrs de ça ! s'exclama-t-il en se préparant à accueillir le second.

– Sûrs de quoi ? bégaya Emma, tremblante.

– Qu'il faut leur défoncer le cerveau, répondit Audrey, enthousiaste.

Elle appuya Perrine contre le mur et se mit à la hauteur de l'auteur, faisant tourner dans ses mains le manche du balai. Elle attendit que le zombie fût assez proche et essaya de le frapper avec son arme improvisée. Le bout de bois cassé glissa sur le visage tuméfié, en emportant une partie au passage, mais pas assez pour ralentir la créature. Le deuxième essai fut tout aussi désastreux, puisque Audrey, déconcentrée par son premier échec, tremblait. Le zombie était presque sur elle, quand l'auteur le prit sur le côté pour enfoncer son pied de biche par l'oreille.

– Et de deux, lança-t-il.

Audrey le regarda méchamment, comme si elle lui en voulait de lui avoir volé sa proie. Mais d'autres zombies arrivaient pour lui donner l'occasion d'en abattre par elle-même. Il en survenait de toutes parts. Comme dans un cauchemar. Emma avait renoncé à les compter. Tout ce qu'elle voyait, c'était que le champ libre se réduisait comme peau de chagrin. Tout comme leurs chances de survie. Nora, son tabouret en main, était elle aussi en position de défense. Sur le visage des trois survivants, la peur se disputait à la détermination de sortir de là en un seul morceau.

– Arrêtez ! Arrêtez ! hurla la quarantenaire. Vous ne pouvez pas les tuer !

Elle se jeta entre les survivants et les zombies, dos à ces derniers.

– Je vous en prie, ne faîtes pas ça, implora-t-elle.

– Poussez-vous ! cria Audrey. Vous allez vous faire mordre !

– Non !

L'auteur l'attrapa par l'épaule et la projeta loin des zombies. Elle se releva, le visage rouge de colère.

– Je vais aller chercher de l'aide, dit-elle froidement. Vous n'allez pas vous en tirer comme ça !

Elle partit en courant, et Emma suivit des yeux sa progression dans les couloirs du centre commercial, se demandant si le monde n'avait pas définitivement basculé si même les humains se mettaient à se disputer entre eux. Le groupe était maintenant amputé de deux membres, nota-t-elle. Qui serait le prochain ?

La quarantenaire ne fut bientôt plus en vue, et Emma ne sut jamais si elle était parvenue à s'en sortir en vie. Mais les zombies approchaient toujours et Audrey, échaudée par son précédent échec, mit fin à la non-existence d'une créature un peu trop aventureuse. Son corps chut dans la masse spongieuse d'hémoglobine, et une deuxième créature s'affala sur lui. Avant qu'elle ne se relève, Nora abattit le bout de son tabouret, fracassant le crâne mort. Emma trouva que pour des personnes qui venaient tout juste de tomber dans l'apocalypse, ils s'en sortaient plutôt bien. Une sorte de rythme froid s'était installé alors que chacun leur tour, ils empêchaient un zombie d'arriver trop près.

Emma était restée près de Perrine. Elle savait qu'elle n'était pas capable de se tenir face à des zombies, alors être efficace avec sa batte ? Aucune chance. Elle préférait laisser les combats à ceux qui savaient se débrouiller, et les trois survivants, devant elle, étaient efficaces. Un coup de pied de biche, un balai dans l'œil, un tabouret qui s'écrase, et trois zombies sur le sol. Mais plus ils en tuaient, plus il en arrivait.

La foule de morts-vivants était telle que les survivants commençaient à être débordés. Emma avait l'impression que des centaines de zombies venaient sur eux, alors qu'ils n'étaient tout au plus qu'une grosse vingtaine. Néanmoins, face à trois humains qui se fatiguaient vite, le calcul semblait rapide. Une créature plus petite que les autres contourna l'auteur. Désormais dans son dos, elle était libre de s'attaquer à lui sans craindre son arme. Elle visa la hanche, à hauteur de sa mâchoire. Elle trouverait bien un morceau de chair à arracher.

Sa tête craqua et fut projetée en arrière. Emma repositionna sa batte en arrière, et la relança d'un puissant swing cadré, qui écrasa le front du zombie, stoppé net. La jeune femme battit des paupières, effarée. C'était elle qui venait de faire ça ? Venait-elle de tuer un zombie, elle toute seule, pour sauver son auteur préféré ? La question resta sans réponse, puisqu'un cri de rage fendit la foule, suivit par un Martin faisant des moulinets avec son pied de biche et sa perceuse. Il ne tua aucun zombie, mais réussit tout de même à arriver jusqu'à son groupe.

Là, fier de lui, il leur montra un bout de métal coincé entre ses doigts.

– Il n'y a pas trente-six façons d'ouvrir une porte, expliqua-t-il en insérant la clé dans la serrure. Maintenant, on entre.

A la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant