La fuite du centre commercial. Acte I.

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L'Apocalypse, c'était un peu comme la vraie vie : désordonnée. Mettez un groupe de gens qui ne se connaissent pas ensemble pour prendre une décision vitale, et bien vite, on ira jusqu'à oublier qu'il y a des zombies derrière la porte. Emma, elle, ne pouvait pas les ignorer. Elle l'aurait souhaité, mais les visions d'horreur s'étaient imprimées à tout jamais dans son esprit. À présent qu'elle n'était plus dans le feu de l'action, certaines images revenaient. Ce moment où un lecteur avait essayé de croquer le bras de l'auteur. Le visage défiguré de la jeune fille qui s'était fait arracher la joue. L'homme, à terre, qui rampait, ses deux jambes séparées du reste. Ces mêmes jambes qui faisaient la joie de deux créatures désarticulées qui gémissaient en mordant à pleines dents dans la chair encore chaude. Emma avait eu une sacrée chance de s'en être sortie en un seul morceau.

– On est tous d'accord pour dire que ce sont des zombies, là dehors ? demanda une des jeunes filles survivantes.

Emma se dit que ce serait bien que tout le monde se présente, histoire de mettre un nom sur « Fille brune », « Gars de l'entretien », ou encore « Libraire ».

– N'importe quoi ! s'emporta la femme plus âgée. On n'est pas dans un film !

– Ah oui ? répondit la libraire, les mains sur les hanches. Et ces gens qui bouffaient les autres, c'était juste pour rire ?

– Ce sont peut-être des personnes malades, reprit la première. Il faut les aider.

« Les aider ». Emma se tourna vers l'auteur, les yeux écarquillés.

– Comment on aide des zombies ? lui demanda-t-elle, les mots ayant du mal à franchir ses lèvres.

L'auteur sembla tomber des nues. Il la regarda, étonné, puis se gratta la tête.

– Vous avez écrit un livre sur « ça », ajouta Emma. Vous devez savoir, non ?

– Eh bien...

Il fit la grimace, avant de hausser les épaules, vaincu.

– Dans mon livre, les survivants ont des armes pour se défendre, dit-il.

– Seulement des armes à feu ?

– Non, ils ont aussi...

Le visage de l'auteur s'éclaira un instant, comme s'il venait de réaliser quelque chose.

– Les zombies ne peuvent être arrêtés qu'en atteignant le cerveau, expliqua-t-il. Alors j'imagine que n'importe quel pied de biche ou barre en métal peut faire l'affaire.

Emma s'approcha du groupe encore en pleine conversation animée, et toussa pour attirer leur attention. Quand elle leur raconta les paroles de l'auteur, tous se tournèrent vers lui.

– C'est n'importe quoi ! cria presque le responsable de la librairie. On ne va pas aller défoncer le crâne de ces pauvres gens.

– Vous préférez mourir, donc ? demanda avec indignation l'homme de l'entretien.

– On. Ne. Va. Pas. Mourir.

Pendant que les deux hommes se crêpaient une nouvelle fois le chignon, les deux jeunes filles et la libraire s'étaient approchées d'Emma et de l'auteur.

– Vous êtes spécialiste des zombies ? demanda la brune en anglais.

– Vous allez pouvoir nous sortir de là ? interrogea son amie.

Il y avait tant d'espoir dans leur regard que l'auteur n'eut pas le cœur de nier. Peut-être aurait-il mieux fallu. En hochant la tête, il venait de prendre le leadership de leur petit groupe de survivants.

– Taisez-vous maintenant ! hurla le libraire. Moi j'y retourne, vous pouvez bien aller au Diable si ça vous chante !

Avant que quiconque ne puisse l'en empêcher, il arracha la clé passe-partout du cou de l'homme de l'entretien, courut vers la porte blindée et la déverrouilla. Elle grinça un peu, déchirant le silence horrifié qui s'était installé dans la cage d'escaliers. De l'autre côté, il n'y avait aucun bruit non plus. Avec un soupir de soulagement, le libraire se tourna vers les survivants, un air triomphant sur le visage.

– Vous voy..., commença-t-il.

Emma se plaqua la main contre la bouche pour étouffer un hurlement. L'homme de ménage tira vers lui la quarantenaire pour l'éloigner de la porte. Les deux jeunes filles s'agrippèrent l'une à l'autre. Quant à la libraire, elle ne put que contempler avec horreur son collègue se faire attraper les cheveux par une main ensanglantée.

– Arrêtez, arrêtez ! hurlait l'homme.

Mais une deuxième main vint rejoindre la première, suivie par une multitude d'autres. Des grognements animaux leur venaient aux oreilles comme autant d'agressions. Il y eut un cri, bref, du libraire. Le sang gicla dans l'escalier. Un bras tomba sur le sol.

Comble de malchance pour tout le monde, le corps de la victime tomba exactement comme il fallait pour bloquer le passage. Mais déjà, plusieurs créatures s'empressaient de libérer le chemin, attirées comme des mouches par la présence d'êtres humains bien vivants. Emma ne savait ce qui était le pire : les bruits de succion et de mastication, les gémissements affamés, l'odeur de mort et de sang, ou encore la vision de ces choses qui ne répondaient plus à aucun code.

Le point culminant arriva lorsque le responsable de la librairie, un bras et plusieurs kilos de chair en moins, se releva. Ce fut d'abord un tressaillement dans son corps. Puis les zombies se désintéressèrent de lui. Ensuite, ses mains bougèrent. Il ramena un genou sous lui, et essaya de se redresser. Il tomba. Et réessaya. Quand il fut debout, face au groupe de survivants, plus personne ne respirait. Son visage était couvert de sang, sa mâchoire semblait brisée. Ses yeux avaient pris une teinte vitreuse.

Il leva les mains en direction des vivants, comme pour les attraper.

– Vite, suivez-moi !

C'était le gars de l'entretien. Tenant toujours la femme par le bras, il fit signe aux autres en gravissant les escaliers. Tous lui emboîtèrent le pas, même Emma qui avait pourtant eu du mal à s'arracher à la contemplation de ce corps nouvellement zombifié. Ils coururent aussi vite qu'ils le pouvaient. Heureusement pour eux, les morts-vivants n'étaient pas aussi rapides pour monter, et ils parvinrent sans trop de difficultés deux étages plus haut. Directement dans la loge du gardien.

A la dériveWhere stories live. Discover now