Quelques minutes plus tôt, même jour.

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Emma trépignait. Il n'y avait plus que trois personnes devant elle, et elle pourrait enfin échanger quelques mots avec son auteur favori. C'était la première fois qu'il venait dans sa ville, et bien qu'ils aient déjà discuté sur le net grâce aux réseaux sociaux, Emma était aussi excitée qu'une puce de le voir « en vrai ». Elle avait même posé un RTT afin de pouvoir se rendre à la dédicace prévue de longue date. Sa patronne avait été quelque peu agacée de la voir prendre un vendredi, journée chargée au magasin, mais Emma avait tout arrangé en demandant à une collègue de pallier son absence, faveur qu'elle lui revaudrait plus tard. Rien ni personne n'aurait pu empêcher la jeune femme de se rendre au centre commercial ce jour-là. Cela faisait des années qu'elle attendait l'événement. Elle avait découvert l'auteur avec son premier roman, et depuis, elle n'avait jamais manqué une seule parution.


Emma n'était pas une grosse liseuse, au contraire de sa meilleure amie, Louise. Celle-ci dévorait les romans comme s'ils étaient des cupcakes, faisant la joie des libraires dès qu'elle entrait dans leurs magasins. Louise lisait de tout, mais avait une prédilection pour les romans de « SFFF », comme elle les appelait. Emma avait mis du temps à mémoriser ce que cela voulait dire, mais aujourd'hui, elle comprenait quand son amie lui parlait des histoires de « science-fiction, fantasy, fantastique ». Non qu'elle soit capable de bien faire la différence entre les genres, son appréhension de la chose se limitait à : science-fiction= robots et vaisseaux spatiaux, fantasy = elfes et dragons, fantastique = vampires, loups-garous et zombies. Comme vous vous en doutez, Emma n'était pas très fan du genre fantastique.


L'auteur favori d'Emma avait commencé par de la science-fiction, avec des robots ayant presque annihilé l'espèce humaine, réfugiée dans des vaisseaux dans l'espace. La couverture du roman était jolie, et Emma l'avait acheté sans même regarder le résumé au dos. Elle cherchait au départ un cadeau pour Louise. Finalement, alors qu'elle s'ennuyait dans le métro pour rentrer chez elle, elle avait lu les premières pages, et le coup de foudre s'était produit. Rien ne l'avait préparée à tomber amoureuse de mots écrits sur du papier.Elle avait alors suivi de près tout ce que faisait l'auteur. Lorsque enfin, après cinq années de passion dévorante, l'auteur avait annoncé une tournée de dédicaces en France, la jeune femme avait cru défaillir de joie, avant de tressaillir d'horreur à l'annonce de la sortie du roman.


Zombie.


Son auteur venait d'écrire une histoire de zombies.Pourquoi ? s'était-elle lamentée, trahie. Elle aurait tout donné pour lui, et il la récompensait en lui offrant ce qu'elle avait le plus en horreur ? Bien sûr qu'il ignorait tout de sa phobie, mais tout de même, un peu de considération ne faisait pas de mal, non ?


Louise s'était copieusement moquée d'elle. Il fallait dire qu'elle adorait les zombies, elle. Fan ultime de Z Nation et autre Walking Dead, elle ne ratait pas une occasion de répéter à sa meilleure amie tout ce qu'elle manquait en n'étudiant pas les messages portés par ces œuvres apocalyptiques.


Emma s'était résignée. Quand elle s'imaginait ne pas lire le dernier ouvrage de son auteur favori, un grand vide s'emparait de son âme. Bien entendu, elle pouvait toujours se rendre à la dédicace et faire signer tous les autres romans, l'auteur ne s'en formaliserait sûrement pas. Mais Emma se sentait coupable, alors elle l'avait acheté. Par chance, la couverture n'était pas explicite, et était sobrement illustrée de quelques tâches écarlates. Même le titre ne comportait pas le mot honnis. Elle s'était promis de le lire, un jour de grand soleil et bien enfermée dans son appartement. Ce n'était pas encore arrivé, et le jour de la dédicace, elle avait fait la liste des excuses à donner à l'auteur. Comme s'il allait en avoir quelque chose à faire ! s'était-elle dit en riant nerveusement. Elle avait apporté un soin tout spécial à sa tenue, coiffé ses longs cheveux d'une tresse savamment travaillée. Un peu de maquillage, mais pas trop, et hop, direction le centre commercial.

A la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant