Chapitre 200 : Une visite attendue

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Au nord de la chaîne d'Hara, dans une caverne dont l'entrée se trouvait sur la face ouest de la montagne la plus au nord, Shavi s'éveillait en même temps que la lumière du jour pénétrait dans l'habitacle. La nuance était faible entre la nuit totale et l'aube, mais cela était bien assez pour qu'il sente la différence. Sortant de son lit fait de paille, l'homme se rendit à une petite vasque creusée dans la paroi et dans laquelle coulait une source d'eau fraîche.

Recueillant le liquide dans ses mains, il l'utilisa deux fois pour se nettoyer le visage et une fois pour se désaltérer. Dans sa routine quotidienne, il aurait normalement dû sortir de la grotte pour aller chercher de quoi manger, mais pas aujourd'hui. Non, plutôt qu'aller à la cueillette, il préféra se rendre sur le pas de sa grotte et s'asseoir sur la petite corniche devant, un pied se balançant dans le vide et le regard fixant un bout de forêt à l'ouest.

Il patienta pendant près d'une heure, sans bouger, mais ne put s'empêcher de sourire lorsqu'il l'aperçut. De là où il se trouvait, une personne normale n'aurait rien noté de spécial ou bien juste distingué un point sombre qui sortait de la forêt, mais lui la voyait parfaitement.
Habillée d'une robe grise parsemée de pièces de cuir marron, l'elfe noire qui marchait dans sa direction arborait un sourire enfantin et une démarche sautillante qui faisait rebondir à un rythme régulier le bout de ses longues oreilles.

À son bras, la jeune elfe tenait un panier vide. Elle serait à la lisière de la forêt au pied de la montagne dans deux heures, se dit Shavi. En attendant, il avait tout le temps de l'admirer pendant qu'elle traversait la plaine.

Normalement, personne ne venait dans ce secteur. Les habitants de Sendra, la ville la plus proche, avaient entendu parler d'un immense dragon noir qui avait élu domicile dans ces montagnes et carbonisait quiconque s'approchait un peu trop près de son repère. Les imbéciles !
Amusé par cette rumeur dont seulement la première partie était vraie, Shavi s'était diverti en poussant de long grognements assez puissants pour provoquer des éboulements. Ensuite, il s'était amusé à regarder les plus téméraires des habitants prendre leurs jambes à leur cou sans même avoir vu ne serait-ce qu'une écaille de dragon.

Pendant trois ans, il avait donc été tranquille. Personne n'était venu dans le but de pourfendre le dragon noir qui terrorisait tout le monde. Dans la ville, on parlait de cet endroit à voix basse et on défendait toute personne intrépide d'y aller. La plupart du temps, ceux-ci renonçaient en entendant que le dragon avait déjà dévoré trois régiments de mages. Ces villageois étaient décidément d'une stupidité sans borne !

Et pourtant, un matin qui semblait être comme les autres, une jeune elfe noire s'était présentée à la limite de son territoire. Elle n'avait ni la dégaine d'une guerrière, ni celle d'une mage-musicienne.
Intrigué par la présence de cette frêle créature, le dragon s'était retenu de lui faire peur et avait passé la journée à l'observer depuis son perchoir.

Son intuition était bonne. Elle n'était pas venue combattre vaillamment la menace aux ailes sombres, mais simplement cueillir des plantes qui pouvaient rarement se trouver autre part, mais poussaient à foison dans la forêt du dragon.

Depuis ce jour-là, l'elfe était revenue tous les deux mois, jour pour jour, à la même heure pour récolter les précieux ingrédients. Depuis ce jour-la, Shavi l'avait observé remplir son panier en s'imaginant ce qu'elle pouvait bien faire de toutes ses plantes.

Contrairement à son frère, il ne s'était pas intéressé à l'alchimie et n'avait aucune idée de quelles préparations étaient possible avec ces plantes. Il aurait très bien pu se rendre en ville pour le voir de ses yeux, mais préférait de loin garder le mystère et continuer à s'imaginer ces breuvages, leurs goûts et leurs effets.

Alors qu'elle s'approchait peu à peu de la forêt, une pensée traversa l'esprit dragon. Depuis tout ce temps, elle n'avait jamais remarqué sa présence. Elle n'avait même jamais levé les yeux vers la montagne. Pourtant, avec toutes les rumeurs qui circulaient, s'il y avait bien un endroit à surveiller pour éviter de servir de pâté pour dragon, c'était bien le flan de la montagne.

Vu qu'elle disparaissait de son champ de vision, bloqué par le feuillage des arbres, Shavi se transforma en une brume noire qui s'envola et atterrit presque immédiatement sur une autre corniche.

De ce nouveau poste d'observation, il avait une vue imprenable sur la forêt qui s'étendait en dessous de lui. La vue acérée du dragon retrouva facilement la source de son amusement et il resta ainsi, fasciné par les gestes délicats de l'elfe qui choisissait méticuleusement quelle plante elle devait cueillir.

Tout ceci avait quelque chose d'hypnotisant pour lui, si bien qu'il ne remarqua que tardivement la meute de Sorvace, sorte de loup vert capable de se camoufler parfaitement dans les forets venu tout droit du monde des autres races.

Contrairement à son cousin de ce monde, celui-ci ne craignait pas les êtres humanoïdes et n'hésitait pas à les attaquer. Ils étaient déjà tout autour d'elle et continuaient à refermer leur étau sans qu'elle ne se rende compte de rien.

Cela aurait été une autre personne, Shavi n'aurait pas su comment il aurait réagi, mais pour elle, il n'eut aucune hésitation. Sautant de son perchoir, il ne chercha même pas à ralentir d'une quelconque manière que ce soit et brisa quelques branches avant de se réceptionner, sans encombre, sur une branche à quelques mètres du sol.

Imbécile ! Tu aurais dû utiliser tes pouvoirs pour te rendre directement à elle ! Se dit-il tout en sautant de branche en branche dans la direction ou l'elfe se trouvait. Alors qu'il arrivait au dernier endroit auquel il l'avait vu d'en haut, le dragon l'aperçut et se figea, debout sur son arbre.

Il ne l'avait jamais vu d'aussi près et, même avec sa vue sur-développée, n'avait jamais pu détailler tous les traits de son visage. Elle était magnifique. La plus belle femme qu'il n'ait jamais rencontrée dans ses milliers d'années d'existence.

Cependant, alors qu'il continuait à l'observer, presque souriant, Les Sorvaces décidèrent de passer à l'action et sortir de leur cachette. Comme un seul être, ils sautèrent sur la cueilleuse qui poussa un cri de surprise mêlé à de la peur.

Les bêtes ne goûtèrent jamais de sa chair. Avant qu'ils ne soient sur elle, quelqu'un avait crié « Non !» et avait sorti Shavi de sa léthargie. D'un simple mouvement de la main, il avait incinéré toutes les créatures de ses flammes noires et épargné l'elfe.

Perché sur son arbre, le dragon chercha du regard la personne qui avait crié, avant de se rendre compte qu'il ne s'agissait ni plus ni moins que de lui. En revenant sur la cueilleuse, il remarqua une chose. Ses yeux violets le fixaient d'un air étonné, mais sans crainte.

Ne savant pas ou se mettre ou comment réagir, Shavi se contenta de s'enfuir et de disparaître, remontant sur son perchoir sans attendre.

Le violon de cristal : les partitions perdues (suite)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant