Chapitre 221 : Mise en place de l'échiquier

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 Cela faisait à présent dix jours que Syara et Elyazra avait été enlevées par leur mère. Dix jours pendant lesquels elles n'étaient presque pas sorties de leurs chambres qui servaient aussi de cellule. Cependant, ce jour-ci, le programme avait l'air différent. Dans l'après-midi, des gardes étaient entrés dans la chambre de la beast, sans frapper, comme à leur habitude, et lui avaient passé les menottes aux poignets.

Si la violoniste s'était laissée faire, sachant pertinemment qu'elle ne pourrait pas s'échapper à cet instant, Elyazra, elle, avait profité de l'occasion pour déverser un peu de sa frustration. En la rejoignant dans le couloir, la beast vit que les gardes qui l'entouraient avaient le nez en sang. L'un d'eux était aussi rouge et semblaient avoir du mal à marcher. Il avait dû goûter à la botte secrète de son amie.

Malgré tout, ils avaient trouvé un moyen de se venger. Pendant tout le trajet vers une destination qui leur était inconnue, la demi-dragonne ne cessa de se plaindre que ses liens étaient trop serrés. Et en effet, il n'y avait pas besoin d'être un fin observateur pour voir les traces rouges qui commençaient à se dessiner sur ses poignets.

Après seulement quelques minutes de marches dans des couloirs et un escalier en colimaçon qui ne cessait de monter, les gardes firent entrer leurs prisonnières dans une grande pièce circulaire. Les murs étaient d'un blanc immaculé et le plafond en forme de dôme était maintenu par une douzaine de piliers. Devant chacun d'eux, une personne en toge blanche et au visage à moitié masqué par une capuche se tenait bien droit, les mains jointes devant elle.

La plupart d'entre eux étaient apparemment humains. Ceux qui ne l'étaient pas avaient le visage entièrement caché par un masque et portaient des gants blancs pour cacher la couleur de leur peau. Entre deux piliers, un trône massif à la couleur ivoire était présent. Bien sûr, Anela se tenait dessus avec la prestance d'une reine.

De l'autre côté, pile en face de leur mère, cinq piédestaux en pierre finement sculptés et arborant les mêmes teintes que le reste de la salle avaient été installés. Tout ceci n'augurait vraiment rien de bon, réfléchit Syara, un regard vers sa sœur lui apprenant qu'elle n'était pas la seule à penser cela.

Poussées par les gardes, les deux jeunes femmes se retrouvèrent au milieu de la pièce, face au trône. En leur appuyant sur les épaules, les fanatiques d'Anela tentèrent de les mettre à genoux, mais n'y arrivèrent qu'en leur donnant un coup dans les jambes.

— Nous y voici enfin, souffla leur mère avec un large sourire. J'ai attendu ce moment depuis bien longtemps.

— Enfin ! s'exclama Syara.

— Tu es impatiente toi aussi ? s'étonna Anela.

— Oui. Impatiente de voir qu'est-ce que ton esprit malade a essayé de faire et impatiente de voir ta tête lorsque tu te seras rendue compte que tu as fait tout ceci pour finalement échouer.

Apparemment, l'impertinence de sa fille énervait beaucoup Anela au vu de ses phalanges qui blanchissaient tandis qu'elle se cramponnait aux accoudoirs de son trône. Elle retrouva malgré tout son calme assez vite et inspira un grand coup avant de poser son regard sur ses filles.

— Faites-les entrer, ordonna-t-elle.

Obéissant au moindre de ses ordres, les gardes se rendirent à une porte qui se trouvait en face de celle par laquelle elles avaient été amenées ici et l'ouvrir. Cinq démons pénétrèrent alors dans la pièce. Deux hommes, deux femmes et un enfant. Si quatre d'entre eux ne leur disaient rien, le dernier, l'un des hommes, leur était plus que familier.

— Telak ? s'étonna Syara en reconnaissant celui qui l'avait accompagné lors de ses premiers pas en tant que mage et qui l'avait toujours suivie depuis.

— Syara ? répondit le démon.

Visiblement, le bassiste semblait tout aussi étonné de la présence de la beast et de la demie-dragonne en ces lieux.

— Mais qu'est-ce que... Anela, qu'est-ce que cela signifie ! s'emporta-t-il immédiatement. Pourquoi mes amies sont-elles enchaînées ainsi ?

— Et pourquoi sommes-nous là d'abord ? s'énerva l'une des femmes démon. Vous nous avez demandé de venir et vous avez même exigé la présence de mon fils ! Si vous espérez quoi que ce soit de nous, il va falloir nous donner quelques explications.

— Ho, mais je n'espère rien de vous. Vous avez déjà fait votre part en venant ici. À présent, il ne vous reste qu'une seule chose à faire. Disparaître !

À peine Anela avait-elle prononcée ce dernier mot qu'un objet se mit à luire au niveau de leur cœur. Chacun d'entre eux portait un pendentif qui représentait une arme en argent qui brillait de plus en plus. Avant qu'ils n'aient eu le temps de l'enlever ou même de comprendre ce qui se passait, les cinq démons furent pris d'une intense douleur.

Ils se tenaient tous la tête en hurlant à plein poumon. L'enfant avec eux s'était même écroulé par terre et hurlait le nom de sa mère. Celle-ci tentait tant bien que mal de la prendre dans ses bras ou de faire quoi que ce soit pour le soulager, mais sa propre douleur semblait insurmontable.

— Qu'est-ce que tu leur as fait ! hurla Syara par-dessus leurs cris.

— Je leur offre l'ultime récompense ! jubila sa mère.

— Syara, je... Je suis désolé, peina à articuler Telak. Je... Je ne savais pas... Pardonne-moi !

N'en pouvant plus de voir ce spectacle, Syara et Elyazra tentèrent de se relever pour porter secours à leur ami, mais les gardes les maintenaient fermement pour qu'elles ne bougent pas. S'il n'y avait que cela, elles auraient très bien pu se débarrasser de ces gêneurs, même menottées, mais leurs chaînes semblaient être devenues incroyablement lourdes, si bien qu'elles ne pouvaient même plus lever les bras au-dessus de leur taille.

C'est donc totalement impuissante que la beast et la demie-dragonne virent la peau des démons se craqueler sur tout leur corps. De chaque fissure, une lumière éblouissante s'y échappait. Le plus étonnant était sans conteste l'enfant au sol dont le corps entier était pris de spasmes. À chaque soubresaut, il semblait gagner en taille, si bien qu'il finit par devenir aussi grand que les autres démons.

Lorsqu'il y eut plus de craquelures que de peau intacte, la lumière s'intensifia et aveugla tout le monde dans la salle. Syara hurlait pour que sa mère arrête ce qu'elle leur faisait et Elyazra tentait, malgré ses entraves, d'intervenir.

Lorsque la lumière se dissipa et que la beast retrouva la vue. Les cinq démons avaient disparu. Cinq autres personnes avaient pris leur place. Tout de blanc vêtus, trois hommes et deux femmes au teint pâle s'observaient les uns les autres. Dans leur dos, deux larges ailes de plumes blanches se dépliaient et se rétractaient, comme s'ils s'étiraient après un long sommeil. Les démons étaient devenus des anges.

Le violon de cristal : les partitions perdues (suite)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant